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Ombres chinoises sur le sommet Trump-Kim Jong-un de Singapour

Kim Jong Un et Xi Jinping, le 8 mai 2018, à Dalian (Chine)

Kim Jong Un et Xi Jinping, le 8 mai 2018, à Dalian (Chine) - KCNA VIA KNS / AFP

Si les Chinois n’ont pas participé directement à la mise sur pied de la rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un, ils surveillent de très près l’évolution du dossier nord-coréen.

Mais où sont passés les Chinois? Alors que Donald Trump et Kim Jong-un - qui doivent se rencontrer dans la nuit de lundi à mardi - sont arrivés depuis lundi à Singapour, la diplomatie chinoise fait profil bas. Interlocuteur historique de la Corée du Nord, Pékin n’a matérialisé sa présence qu’une seule fois: c’est à bord d’un avion d’Air China que le leader nord-coréen est arrivé sur place.

"Les Chinois sont dans un rôle qui a été marginalisé, ils ne sont pas rentrés dans le jeu pour le moment. Ils n’ont pas joué un rôle majeur dans ce sommet. A l'inverse des Etats-Unis, quoi qu’on pense de la stratégie ou de l’absence de stratégie de Trump, ainsi que les Sud-Coréens, qui ont joué un rôle très important en terme de go-between", indique Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur de La Puissance chinoise en 100 questions (éd. Taillandier).

"Pour la Chine, le pire des scenarios ce serait qu’il n’y ait aucun accord"

La Chine de Xi Jinping, qui a reçu deux fois Kim Jong-un cette année, regarde tout de même avec un immense intérêt les discussions entre les deux leaders. Et encore plus les applications concrètes qui pourraient en découler dans les mois à venir. "Je ne dirais pas qu’ils sont inquiets, mais ils sont attentifs, estime Antoine Bondaz, docteur associé au Ceri-Science Po, spécialiste de la Chine et des deux Corée. Pour la Chine, le pire des scenarios ce serait qu’il n’y ait aucun accord, et que dans quelques jours se déclenche un nouveau cycle de tension dans la péninsule. On reviendrait à la situation de 2017. Ce n’est clairement pas dans l’intérêt de la Chine et c’est quelque chose qu’elle redoute. Mais ce n’est pas le scenario le plus crédible à court terme".

S’il est à ce stade encore très hypothétique, un autre scenario est redouté côté chinois. "Ils ne souhaitent absolument pas une disparition de la Corée du Nord, qui leur ôterait cette espèce d’état tampon", reprend Valérie Niquet. Selon elle, la Chine pourrait également s’inquiéter d’un débouché moins radical: "un vrai rapprochement entre la Corée du Nord et les Etats-Unis, consécutif à un abandon du nucléaire, puis un développement économique de la Corée du Nord avec des aides qui reprendraient, ce qui libérerait Pyongyang de ce partenariat exclusif avec Pékin. Mais ce n’est pas du tout ce que les Chinois envisagent à mon avis", relativise Valérie Niquet.

"Si cette rencontre n’est pas un succès dans la durée, la Chine n’en souffrirait pas trop"

Même s’il faut toujours se montrer prudent avec des dirigeants aussi imprévisibles que Kim Jong-un et Donald Trump, personne ne croit d’ailleurs vraiment au fameux "renversement des alliances". "La Corée du Nord n’acceptera jamais des milliards de capitaux américains. Si vous voulez déstabiliser le régime, c’est la meilleure façon de faire. Ils veulent un équilibre entre augmentation du niveau de vie et survie du régime politique", assure Antoine Bondaz.

"La Chine aurait tout lieu de se réjouir d’une ouverture de la Corée du Nord qui ne s’accompagne pas d’une espèce de révolution. Même si Pékin n’est pas à l’origine de ce rapprochement, si la Corée du Nord s’ouvre elle va avoir besoin de capitaux et d’investisseurs, et c’est la Chine qui va dérouler", reprend Barthélémy Courmont, maître de conférences à l’Université catholique de Lille et directeur de recherche à l’Iris.

Selon lui, la position chinoise, certes "paradoxale" serait tout de même "relativement confortable". "Si cette rencontre n’est pas un succès dans la durée, la Chine n’en souffrirait pas trop, puisque elle resterait le partenaire privilégié de la Corée du Nord. Si on a une véritable détente, un dialogue qui se prolonge et qui conduit à une normalisation de la relation avec la Corée du Nord, la Chine évidemment va en bénéficier. Le long de la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, vous avez une multitude d’investisseurs qui attendent le feu vert pour pouvoir s’engager". Voilà qui explique "une position très pragmatique côté chinois", où on aurait compris "de manière assez intelligente que s’ils forçaient la main à la Corée du Nord, ça pouvait entraîner une crispation dans la péninsule".

"Les Nord-Coréens ont eu l’impression que les Chinois les lâchaient"

C’est d’ailleurs cette stratégie qui aurait en partie décidé Kim Jong-un à discuter directement avec Donald Trump, mais aussi Moon Jae In, le président sud-coréen.

"Quand les sanctions les plus sévères ont été appliqué à la Corée du Nord, la Chine a appliqué de manière un peu plus sérieuse les sanctions et a multiplié les déclarations sur le fait que la Corée du Nord n’était pas un régime très responsable, assure Valérie Niquet. Les Nord-Coréens ont eu l’impression que les Chinois les lâchaient pour renforcer leur propre image de grande puissance qui remet dans le droit chemin un petit état vassal".

Pour Antoine Bondaz, la Chine et la Corée du Nord sont donc "des otages mutuels": "La Chine a besoin que la Corée du Nord ne s’effondre pas. Et la Corée du Nord a besoin de la Chine pour ne pas s’effondrer". Mais "l’idéal pour la Chine ce serait qu’en échange de vagues promesses de dénucléarisation, il y ait une sorte de normalisation des relations avec la Corée du Nord", assure Valérie Niquet. Car le jour où la menace nord-coréenne serait réduite, cela "rendrait injustifiable la présence américaine dans la péninsule. Paradoxalement, ce sont les Etats-Unis qui risquent de disparaître s’il n’y a plus de menace nord-coréenne", estime Barthélémy Courmont.

Antoine Maes