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Menaces, gesticulations et déclarations imprévisibles: six mois de va-et-vient incessants de Donald Trump sur l'Ukraine
C'était l'une de ses grandes promesses de campagne. Vantant sa "bonne relation" avec Vladimir Poutine, Donald Trump avait assuré pouvoir mettre fin à la guerre en Ukraine en "24 heures". Mais six mois après son retour à la Maison Blanche, la paix semble encore très loin. La Russie continue de bombarder massivement l'Ukraine, tuant de nombreux civils, et de grignoter du terrain sur le front de l'est. À la table des négociations, les discussions autour d'une trêve restent au point mort.
Le signe d'un échec de la méthode Trump? Depuis le 20 janvier, le président américain déroute Kiev et ses alliés par sa diplomatie erratique et ses échanges tumultueux avec Vladimir Poutine. Dans cet article, BFMTV retrace et décrypte les prises de positions successives et souvent contradictoires de Donald Trump sur la guerre en Ukraine depuis le début de son second mandat.
"Tordre le bras" des Ukrainiens
À son retour à la Maison Blanche, Donald Trump remet à plat les relations des États-Unis avec Kiev et Moscou. Considérant la guerre comme celle de son prédécesseur Joe Biden, il refuse de désigner la Russie comme l'agresseur. Son objectif: remettre les deux camps à la table des négociations.
"Sa première idée est d'aboutir à une paix extrêmement rapide, sans véritablement s'embarrasser des questions de fond", rembobine Ulrich Bounat, spécialiste du conflit ukrainien et chercheur associé au think tank Euro Créativ.
Mais l'Ukraine est échaudée par les déclarations de l'administration américaine sur l'origine de la guerre, proches du narratif du Kremlin, et réticente à négocier sur un pied d'égalité avec son envahisseur. Pour faire plier Kiev, Donald Trump applique une pression maximale sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
"Donald Trump choisit une approche qui correspond à la façon dont il comprend les relations internationales, qu'il ne voit que comme des rapports de force, c’est-à-dire de tordre le bras de l’interlocuteur sur lequel vous avez le plus de prise — en l'occurrence l’Ukraine — et de ménager au maximum le plus fort des deux, la Russie", explique Ulrich Bounat.
Dans le même temps, Donald Trump se rapproche de la Russie et renoue le contact avec Vladimir Poutine. Les deux hommes se parlent à plusieurs reprises au téléphone, et des délégations des deux pays discutent au Moyen-Orient.
Quand Donald Trump ne décroche pas son téléphone, c'est son émissaire spécial Steve Witkoff qui se rend au Kremlin. Cet ancien promoteur immobilier, à l'expérience diplomatique inexistante, prend des positions proches de celles de Kremlin, affirmant par exemple que "l'écrasante majorité de la population" des régions ukrainiennes envahies par la Russie a "exprimé le souhait de vivre sous domination russe".
Malgré ce rapprochement avec Moscou, les négociations piétinent et l'armée russe continue de pilonner l'Ukraine. Sur ses réseaux sociaux, Donald Trump commence à s'agacer contre l'entêtement du président russe à poursuivre la guerre.
Des menaces... sans conséquences
"Mécontent" de la Russie, Donald Trump se joint aux Européens en réclamant une trêve inconditionnelle, préalable à toute discussion sur le fond. Il menace, une nouvelle fois, la Russie de sanctions. Pourtant, quand Moscou rejette toute trêve, rien ne se passe.
Finalement, le président américain demande aux Russes et aux Ukrainiens de se rencontrer pour négocier eux-mêmes les conditions d'un cessez-le-feu. Mais le Kremlin fait traîner les discussions, campe sur ses positions et aucun accord n'est conclu. Volodymyr Zelensky accuse la Russie "d'essayer de gagner du temps" pour "poursuivre" son invasion.
Pour Ulrich Bounat, si Donald Trump refuse à ce stade de se fâcher avec Moscou, c'est autant pour préserver ses chances d'obtenir un accord que par proximité idéologique avec le maître du Kremlin.
"Donald Trump partage la vision du monde de Vladimir Poutine: un monde basé sur des hommes forts, qui peuvent faire à peu près tout ce qu’ils veulent dans leur étranger proche", décrypte le chercheur. De plus, "il a à ses côtés des gens comme J.D. Vance ou Steve Witkoff qui sont sur une ligne d’apaisement maximal avec la Russie. Cela a forcément une influence sur lui".
Le Kremlin inflexible, Trump s'agace
Lors d'un second round de négociations infructueuses en Turquie, la délégation russe remet à l'Ukraine un "memorandum" récapitulant les exigences russes pour mettre fin à la guerre. Retrait des troupes ukrainiennes des quatre régions envahies par l'armée russe, reconnaissance "internationale" des annexions russes ou encore arrêt des livraisons d'armes occidentales à Kiev: la liste du Kremlin n'a pas changé depuis 2022, voire s'est encore allongée.
"Le Kremlin considère ce qu'il se passe en Ukraine comme quelque chose d'existentiel", avance Ulrich Bounat pour expliquer l'immobilisme de la diplomatie russe. Mais c'est aussi l'absence de mesures de rétorsion américaines qui l'alimente. "Quand vous avez l'impression que militairement, ça se passe pas si mal que ça, et que diplomatiquement, on ne vous met pas une pression de dingue, l'incitation à s'arrêter ou à faire des compromis est inexistante", souligne le spécialiste.
La paix semble alors plus lointaine que jamais, et les Ukrainiens continuent de mourir sous les bombes russes. Fin mai, Donald Trump semble véritablement perdre patience contre son homologue russe, qu'il traite de "fou" qui veut "continuer de tuer des gens".
Mais le président américain semble inéluctablement retomber dans ses travers pro-russes. Comme lorsqu'il évoque sa conversation "enrichissante" avec Vladimir Poutine, quelques jours à peine après son coup de sang contre le président russe. Dans un compte-rendu de leur échange téléphonique posté sur réseau Truth social, le président américain semble se faire le porte-parole de Vladimir Poutine et se résigne à reconnaître qu'il n'y aura pas de "paix immédiate".
Un mois plus tard, la Maison Blanche donne des sueurs froides à Kiev en confirmant la fin de la livraison de certaines armes pour, dit-elle, préserver les stocks du Pentagone. Il faudra de nouveaux bombardements mortels sur la capitale ukrainienne et un appel tendu avec Vladimir Poutine pour que le président américain se résolve à reprendre les livraisons d'armes.
Cette fois, l'imbroglio pourrait trouver ses racines dans des tiraillements à l'intérieur même de l'administration Trump. Selon Politico, c'est l'influent sous-secrétaire à la Défense Edldrige Colby, qui voit dans la Chine une plus grande menace que la Russie, qui aurait pris cette décision sans en référer au président.
Vers un tournant pro-Kiev?
Si Donald Trump reste imprévisible, la signature d'un accord économique avec Kiev, la multiplication des invectives contre Vladimir Poutine et la reprise de l'aide militaire semblent dessiner un tournant pro-ukrainien dans la diplomatie américaine.
Selon le Financial Times, le président américain aurait même demandé à Volodymyr Zelensky lors d'un appel téléphonique s'il pouvait "frapper" les villes de Moscou et Saint-Pétersbourg.
"Si Donald Trump partage sans doute une partie des croyances de Vladimir Poutine, sur l'extension trop importante de l'Otan ou sur son droit d'avoir une sphère d’influence, il pense probablement que le président russe va trop loin dans ses bombardements", avance Ulrich Bounat.
"Les images des civils tués lui reviennent en boomerang et ça devient difficile à porter pour lui", poursuit le chercheur. Le 11 juillet, le tabloïd conservateur New York Post affichait en une la photo d'un nourrisson tué dans une frappe de drone russe.
Pressé par une partie du camp républicain de durcir le ton, Donald Trump a aussi évoqué le rôle de son épouse Mélania dans une certaine prise de conscience de la réalité. "Je suis rentré chez moi et j’ai dit à la Première dame : 'J’ai parlé à Vladimir [Poutine] aujourd’hui. Nous avons eu une conversation formidable'. Et elle m’a répondu: 'Ah oui? Une autre ville vient d’être frappée'", a ainsi raconté le républicain face à la presse.
Donald Trump "humilié"
Mais plus que les pressions politiques ou de ses proches, c'est l'égo blessé de Donald Trump qui pourrait le pousser à se retourner contre Vladimir Poutine. Selon des conseillers de la Maison Blanche cités par The Atlantic, le président américain s'est senti insulté par le président russe. "En ignorant les appels de Trump à mettre fin à la guerre et en intensifiant les combats, Poutine a fait passer Trump pour un partenaire mineur dans la relation", écrit le magazine.
Pour le champion d'échecs et opposant russe Garry Kasparov, Donald Trump "peut faire une déclaration très forte et décider d'aider l'Ukraine, non pas parce qu'il se soucie de l'Ukraine, mais parce qu'il est humilié".
Le 14 juillet, le président américain s'est donné 50 jours avant d'imposer des sanctions "secondaires" aux alliés et partenaires commerciaux de la Russie. "Si nous n’avons pas un accord d’ici 50 jours, c’est très simple, [les droits de douane] seront à 100%", a-t-il annoncé.
Après plusieurs ultimatums sans conséquence, Donald Trump tiendra-t-il sa promesse? Le délai fixé par le président américain a en tout cas fait tiquer les alliés de Kiev. Pour la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, 50 jours représente une durée "très longue" quand des "civils innocents meurent tous les jours".