Migrations: l'aveuglement égoïste des Européens

- - Jean-Christophe Magnenet - AFP
Lorsqu'on regarde du côté du Liban, de la Turquie, de la Jordanie, et du reste des pays arabes considérés comme un bloc, les ordres de grandeur sont clairs: un million de réfugiés syriens dans chacun de ces pays. Le cas libanais est le plus criant: une personne sur quatre sur le sol libanais aujourd'hui est un réfugié syrien.
Et la France est ébranlée par quelques milliers de réfugiés apparaissant à Menton, ou à Calais. Certes, aucun citoyen français ordinaire ne voudrait vivre en proximité des campements semi-sauvages. Notre ordre civique bien rangé serait perturbé, c'est évident et l'on n'a pas à s'excuser de ce sentiment pour peu que l'on propose une solution.
Fuite inévitable des migrants
Les migrants fuient un cocktail de fléaux: des guerres ouvertes, des guerres larvées, des dictatures terribles comme l'Érythrée, ou encore la sécheresse chronique, et enfin la pauvreté rampante. Les migrants sahéliens n'ont pas besoin d'être convaincus de la véracité des alertes sur le climat.
Ainsi, l'on peut s'attendre à voir un accroissement de ces vagues de migrants bravant les flots en toute connaissance de cause. Comme pendant la Deuxième Guerre Mondiale, il y avait les bons passeurs et les mauvais, et les risques physiques, et personne n'ignorait ces risques. Les Européens, sur fond de toutes ces certitudes, ont laissé l'Italie et la Grèce, et naguère l'Espagne, faire face tous seuls à ces vagues migratoires sur leur territoire si délicatement manucuré.
Le moins serait que les autres États, la France et tous les États d'Europe centrale et nordique, se partagent les arrivants par simple quota. Puis ensuite accélérer les pressions diplomatiques et militaires pour défaire les Chebab en Somalie et au Kenya, Boko Haram au Nigeria et au Cameroun, les jihadistes de tout poil au Mali, et Daesh au Levant.
Puis il faudrait investir en Afrique et au Moyen-Orient, et dans le cas de l'Afrique, s'y expatrier plus nombreux pour encadrer les économies locales. Et acheter les produits agricoles africains, et fabriquer des produits qui sont fabriqués aujourd'hui en Chine. Et puis il faudrait s'attaquer sérieusement au dérèglement climatique qui grève le Sahel tout entier.
La forteresse Europe nous asphyxierait moralement
Bref, on ne pourra pas s'emmurer dans une Europe forteresse sans voir encore davantage de migrants fuir des États et des économies en faillite. Si l'Europe se projetait vers ces zones, autrement qu'en dernière heure pour contenir des terroristes ou pour distribuer une aide publique détournée par des régimes locaux cupides, alors on aurait une petite chance de donner aux migrants de ces pays la possibilité matérielle d'y rester.
L'idée de priver nos hôpitaux d'accès à ces migrants, comme le suggère Marine Le Pen, reflète une vieille vision malthusienne et pseudo-darwinienne de la nature: il n'y a pas assez pour tout le monde. Que les surplus de population disparaissent dans le néant, voilà ce que n'osent pas dire les partisans du repli. Or ce n'est pas vraiment cela que les valeurs de la civilisation européenne d'esprit et d'intelligence. Utiliser nos qualités pour résoudre le problème serait une belle aventure, et non une angoisse, car nous vivons déjà dans l'angoisse.