Brexit, leadership, services publics: les enjeux des législatives au Royaume-Uni

Boris Johnson, le Premier ministre britannique. - Ben STANSALL / AFP / POOL
Certes, ce sont les troisièmes élections générales auxquelles les Britanniques sont convoqués depuis 2015, alors que les institutions prévoient un renouvellement parlementaire tous les cinq ans seulement. Mais le scrutin organisé ce jeudi au Royaume-Uni tient plus du couperet que du rendez-vous politique galvaudé.
De Glasgow aux Cornouailles, de l'Irlande du Nord à Londres ou Douvres, les électeurs feront davantage que départager les listes des appareils partisans. Ils trancheront dans le vif d'un débat européen qui dure depuis la victoire des sympathisants du Brexit le 23 juin 2016, se prononceront sur le maintien ou non de la confiance au Parti conservateur, qui gouverne depuis neuf ans, formuleront leur réponse à la crise de leurs services publics.
BFMTV.com a examiné, à la veille du vote, les enjeux de ces élections générales britanniques avec Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes, auteur notamment de L'Europe a-t-elle un avenir?
- L'une des élections les plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale
Rien de banal décidément dans ce scrutin, dont le Time remarque qu'il est le premier à se tenir au mois de décembre depuis 1923. Au-delà, Patrick Martin-Genier souligne l'importance cardinale revêtue par cette journée de jeudi au Royaume-Uni:
"C'est une des élections les plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n'est pas exagéré de le dire. Les Britanniques avaient intégré le Marché commun en 1973, là il s'agit de sortir de l'Union européenne. Le Brexit a fortement ébranlé la société britannique. Et il y a des enjeux générationnels. On a enregistré plus de trois millions de nouveaux inscrits depuis les derniers scrutins et beaucoup sont âgés de moins de 35 ans."
L'ambiance est au diapason de cette situation politique bousculée. "On ne reconnaît plus le flegme britannique. On s'insulte, on s'agresse, on est prêt à tous les coups pour l'emporter et ce, dans tous les partis", dépeint notre interlocuteur.
- Le grand retour du bipartisme
Au sein de ce concert disparate, les partitions se répartissent comme suit: le Parti conservateur promet le Brexit coûte que coûte, et dès janvier s'il sortait de ce 12 décembre avec une majorité ; le Brexit Party, comme son nom l'indique, milite lui aussi en ce sens ; les centristes Libéraux-Démocrates, grands partisans de l'Union européenne telle qu'elle va aujourd'hui, soutiennent quant à eux l'idée d'un nouveau référendum, voire l'annulation pure et simple des démarches vers un Brexit s'ils venaient à remporter une majorité absolue (une perspective peu crédible) ; à gauche, le Parti travailliste pousse à un nouveau référendum, sans que son chef de file, Jeremy Corbyn, se prononce sur la position qu'il adopterait si cette consultation avait lieu.
Si ces quatre formations, auxquelles s'ajoutent les écologistes, occupent la scène, toutes ne rencontrent pas le même public. Selon la moyenne de sondages présentée ce mardi sur le site du Guardian, il apparaît que les "Tories" (les conservateurs) devancent largement les travaillistes, avec 43% des intentions de vote contre 33%. Les "Lib Dems", siphonnés par les troupes de Corbyn, plafonnent autour de 13%, tandis que le Brexit Party n'existe plus ou presque, peinant à 3%, le gros du peloton ayant rallié les sirènes conservatrices.
"On en revient au classique bipartisme", observe Patrick Martin-Genier. "Les Lib Dems étaient partis bille en tête et les Brexiters de Nigel Farage se situaient aux alentours de 14%. Maintenant, ils sont à 3%. Et ça tient à une erreur à mon avis: ils ont eu tort de tout focaliser sur la question du Brexit. Les Lib Dems de Jo Swinson n'ont cessé de dire qu'ils étaient contre le Brexit par exemple, mais les Britanniques estiment qu'il y a aussi d'autres choses à faire. En juin 2017, déjà, Theresa May avait perdu sa majorité lors des élections précédentes car elle n'avait parlé que du Brexit. Or, les Britanniques veulent aussi parler santé, sécurité".
- Le thème de la sécurité s'est imposé dans la campagne
Cette dernière s'est imposée avec d'autant plus de force dans la campagne que le 29 novembre dernier un homme a tué deux personnes au moyen de son couteau à Londres, et en a blessé trois autres. Alors que le royaume découvrait avec consternation que l'assaillant, abattu par les forces de l'ordre, avait déjà été condamné pour des faits de terrorisme en 2012, le Premier ministre a mis sur le dos de ses adversaires du Labour (les travaillistes) la responsabilité de sa remise en liberté.
"La raison pour laquelle ce tueur était dans nos rues, c'est le principe de la libération anticipée qui a été institué par un gouvernement de gauche", a-t-il assuré auprès de la BBC. Mais, comme l'a relevé le Time ici, il semble que cet attentat n'ait pas significativement fait bouger les lignes.
- Répondre à la crise des services publics
En revanche, l'avenir du système de santé du Royaume-Uni apparaît bien comme l'autre composante essentielle du débat national. Pièce-maîtresse du Welfare State (ou "Etat-providence" en français) initié après la seconde guerre mondiale, le National Health Service, c'est-à-dire la prise en charge publique des soins, est enfoncé dans un profond marasme. Patrick Martin-Genier fait part d'une anecdote: "Une amie m'a appelé l'autre jour et m'a dit que sa fille avait accouché et qu'on n'avait pas eu de couverture à lui donner." Il développe alors: "Les conservateurs sont très gênés car ils sont au pouvoir depuis près de dix ans et ils ont complètement abandonné le service public. Jeremy Corbyn focalise tout là-dessus car c'est son point fort."
En-dehors des hôpitaux, c'est tout le service public qui vacille. "Le service public est délabré. Il est dans une situation catastrophique. Il est en train d'être démoli. Par exemple, 4000 écoles sont en état de péril imminent parce qu'elles ne sont pas aux normes", pose notre expert.
- L'épreuve de vérité pour Johnson et Corbyn
L'heure est donc grave pour le Royaume-Uni, elle est solennelle pour les deux leaders rivaux. "Très clairement, ils jouent leur tête. Jeremy Corbyn a déjà mené son parti lors de deux campagnes. Il sera menacé en cas de défaite lourde. D'autant plus qu'il est contesté dans son camp car il appartient à son aile gauche, n'est pas clair sur le Brexit, a été accusé d'avoir laissé l'antisémitisme s'installer chez les travaillistes." Boris Johnson, quant à lui, joue par définition ses fonctions de chef du gouvernement.
Une dernière possibilité, celle qu'aucune majorité ne se dégage des élections, subsiste. En pareil cas, les partis des marches du royaume, comme les formations du Pays de Galles ou l'Ecosse, pourraient bien dicter leur mesure. "S'il n'y a pas de majorité, les Gallois et les Ecossais feront la loi", décrit ainsi Patrick Martin-Genier.
Les élections générales britanniques fixeront de nouveaux rapports de force. Les Britanniques souhaitent surtout qu'elles établissent un nouvel équilibre.