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Le ministre russe des Transports, Roman Starovoït ; le PDG de la compagnie pétrolière Lukoil, Ravil Maganov ; l'ancien directeur du service des renseignements extérieurs russe, Vyacheslav Trubnikov.

AFP

Ministres, oligarques: en Russie, les étranges disparitions en série de hauts responsables depuis le début de la guerre

La mort du ministre russe des Transports, Roman Starovoït, pour qui la piste du suicide est avancée, s'ajoute à une longue liste de décès jugés suspects de hauts responsables russes, notamment le début de la guerre en Ukraine en 2022.

Une macabre liste qui ne cesse de s'allonger. Le ministre russe des Transports, Roman Starovoït, a été retrouvé mort dans sa voiture, blessé par balle, a annoncé ce lundi 7 juillet le Comité d'enquête russe. Selon cet organe d'enquête du Kremlin, "la thèse principale est celle d'un suicide".

Moscou s'est dit "choqué". "Une enquête est en cours et c'est précisément cette enquête qui est censée répondre à toutes les questions", a déclaré le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, selon l'agence d'État Tass.

"C'est étrange car il y a eu très peu d'informations étatiques concernant ce décès, cela a été passé sous silence rapidement", constate Carole Grimaud, spécialiste de la Russie et enseignante en géopolitique à l'université de Montpellier, contactée par BFMTV.com.

Roman Starovoït, 53 ans, avait été démis de ses fonctions le jour de son suicide par un décret signé de la main de Vladimir Poutine, sans que des explications publiques ne soient données. Dans la foulée, son remplaçant et ancien adjoint, Andreï Nikitine, a été nommé. "C'est la décision du chef de l'État", s'est borné à dire le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, lors de son point presse.

"Le décret ne contient pas l'expression 'perte de confiance'", a-t-il ajouté, balayant la question d'un journaliste qui lui demandait si le limogeage de Roman Starovoït était lié à une disgrâce du ministre.

"Cela renvoie à la période stalinienne"

Son limogeage est intervenu au moment où des aéroports russes sont soumis à des fermetures temporaires répétées en raison des attaques de drones ukrainiens. Mais selon des médias russes, Roman Starovoït était aussi visé par une enquête pour corruption dans la région de Koursk, qu'il a gouverné entre 2019 et 2024. Cette région russe a été envahie par l'Ukraine en août 2024, quelques mois après son départ, en réaction à l'offensive russe.

"Si ce ministre s'est suicidé, c'est qu'il redoutait une mort violente ou de finir en prison. Le système se durcit. Cela renvoie à la période stalinienne quand les personnes préféraient se donner la mort plutôt que d'être arrêtées", souligne Carole Grimaud, également chercheure en sciences de l’information liée à la Russie à l'université d'Aix-Marseille et auteure des Étudiants face à la guerre russe en Ukraine (Ed. L’Harmattan).

Lundi, la mort d'un autre représentant du ministère des Transports a été annoncée: celle du chef adjoint du département du fonds foncier, Andrei Korneichuk, qui serait décédé d'un arrêt cardiaque, rapporte la chaîne de télévision pro-Kremlin Tsargrad.

Si les "morts suspectes" ne sont pas nouvelles en Russie, la "proportion est très grande" depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, relève la spécialiste. De nombreux hauts responsables russes et oligarques ont trouvé la mort dans des circonstances jugées troubles par les médias russes et les observateurs étrangers. Suicides par balles, noyade, empoisonnement, défenestration... Les causes des décès sont tant multiples que récurrentes.

"Ils ne faisaient pas partie du premier cercle de Poutine"

"Aujourd'hui, il y a une inquiétude au sein des élites politiques", nous affirme Carole Grimaud.

Selon la chaîne russe Tsargrad précédemment citée, "20 fonctionnaires sont morts" depuis 2022 dans des "circonstances" qui "soulèvent des questions troublantes". Comme l'ancien directeur du Service de renseignement extérieur, Vyacheslav Trubnikov, le 18 avril 2022. Ou Pavel Antov, l'un des plus riches député du parti Russie unie de Vladimir Poutine et fondateur d'une importante usine de charcuterie. Ce dernier a été retrouvé mort en décembre 2022 en Inde après être tombé de la terrasse d'un hôtel où il passait ses vacances.

La liste est longue: le directeur général de l'industrie aéronautique pour la Société pour le développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique (KRDV), Ivan Pechorin, est mort noyé; la cheffe du Département des finances au ministère russe de la Défense, Marina Yankina, a chuté d'un balcon; le secrétaire d’État et vice-ministre des Sciences et de l’Enseignement supérieur, Piotr Kucherenko, est mort à bord d'un avion en revenant de Cuba... La chaîne russe Tsargrad date le dernier décès suspect d'un homme politique - local - au mois d'avril dernier.

Si certains auraient critiqué "l'opération spéciale" menée en Ukraine par Vladimir Poutine, la plupart "se sont montrés très loyaux", constate Carole Grimaud, relevant "des portraits très disparates".

Ces personnes avaient toutefois un point en commun à ses yeux: "ils faisaient partie des élites, ils gravitaient autour du Kremlin mais ils ne faisaient pas partie du premier cercle de Poutine".

Les militaires ne sont pas non plus épargnés. En novembre 2023, le lieutenant-général Vladimir Sviridov, ancien commandant de la 6e armée de l’air et de défense aérienne russe, a été retrouvé mort dans une maison au sud de la Russie, selon l'agence de presse russe Ria Novosti. Les circonstances de sa mort n'ont pas encore été établies.

Un autre cas plus emblématique demeure dans les mémoires: celui d'Evgueni Prigojine, patron du groupe paramilitaire russe Wagner mort dans un crash d'avion en août 2023. Quelques semaines après avoir mené une mutinerie contre le sommet de l'État russe.

Le crash d'avion qui a coûté la vie à Evguéni Prigojine, le 23 août 2023
Le crash d'avion qui a coûté la vie à Evguéni Prigojine, le 23 août 2023 © Handout / TELEGRAM/ @grey_zone / AFP

"Peu de choses se passent en Russie sans que Poutine n'y soit pour quelque chose", avait alors déclaré le président américain Joe Biden.

"Le taux de mortalité parmi les proches de Poutine est particulièrement élevé (...) C'est une activité à risque", avait de son côté lancé la ministre française des Affaires étrangères de l'époque Catherine Colonna.

"C’est fou ce qu'il peut y avoir comme fenêtres ouvertes à Moscou"

Outre le monde politique, le secteur russe de l'énergie est particulièrement endeuillé. Le 30 janvier 2022, le directeur général de l'importante compagnie Gazprom, Léonid Shulman, a été retrouvé mort dans la salle de bains de son chalet dans la région de Léningrad.

D’après l’Institut de Varsovie, un think tank polonais, l'homme d'affaires de 30 ans était impliqué dans une affaire de corruption. Au lendemain de l'invasion russe en Ukraine, le directeur financier de l'entreprise, Alexander Tyulyakov, a été retrouvé pendu dans son garage, à proximité de Saint-Pétersbourg.

Le groupe pétrolier russe Lukoil a aussi vu nombre de ses hauts dirigeants disparaître. En septembre 2022, le PDG Ravil Maganov, a été retrouvé mort à l'hôpital du Kremlin de Moscou. Les explications ont été troubles.

En premier lieu, les agences Interfax et Tass ont mentionné "une chute du 6e étage" de la fenêtre de l'hôpital, précisant ensuite qu'il s'était suicidé. Quant à l'entreprise, elle a écrit que Ravil Maganov, 67 ans, avait succombé "des suites d’une maladie grave", rappellent nos confrères de RFI. Son successeur, Vladimir Nekrasov, est également mort en octobre 2023 d'une "insuffisance cardiaque aiguë" selon les médias russes.

Vladimir Poutine et le président du conseil d'administration de la compagnie pétrolière Lukoil Ravil Maganov lors d'une cérémonie de remise de prix au Kremlin à Moscou, le 21 novembre 2019.
Vladimir Poutine et le président du conseil d'administration de la compagnie pétrolière Lukoil Ravil Maganov lors d'une cérémonie de remise de prix au Kremlin à Moscou, le 21 novembre 2019. © MIKHAIL KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

En mars 2024, le vice-président du groupe, Vitaly Robertus a été retrouvé pendu dans son bureau. Selon Vanity Fair, le conseil d'administration du groupe avait exprimé en mars 2022 "sa préoccupation face aux événements tragiques en cours en Ukraine" et se disait "favorable à "une cessation rapide du conflit armé".

Le 4 juillet dernier, le vice-président de Transneft, la puissante société russe d'oléoducs, Andrei Badalov, est mort en tombant de la fenêtre de son domicile à Moscou. Au moins sept hommes d'affaires sont morts en Russie en "tombant d'une fenêtre" depuis 2022, rapporte le journal ukrainien, The Kyiv Independent.

"C’est fou ce qu'il peut y avoir comme fenêtres ouvertes à Moscou, même en février", ironisait en septembre 2022 le directeur de la rédaction et de la publication de Libération Dov Alfon dans la chronique En tout subjectivité de France inter.

Plusieurs hommes d'affaires ont été retrouvés morts aux côtés de leur famille. Comme Vladislav Avayev, l’ancien vice-­président de Gazprombank, la banque du gazier russe. Celui qui fut proche de Vladimir Poutine au Kremlin a été retrouvé mort en avril 2022 dans son appartement de Moscou une arme à feu à la main, son épouse, enceinte, et sa fille, tuées par balle à ses côtés.

Le lendemain, c'est Sergey Protosenya, l'ancien responsable de Novatek, le ­deuxième producteur de gaz russe, qui est retrouvé pendu dans le jardin de sa villa à Lloret de Mar en Espagne. Les corps lardés de coups de couteau de son épouse et de sa fille ont aussi été retrouvés par la police.

"Les raisons sont nébuleuses"

Les décès suspects d'oligarques relèvent davantage pour Carole Grimaud de "règlements de compte" dans un contexte où la guerre en Ukraine "a complétement rebrassé l'élite économique".

Le secteur de l'énergie en Russie "reste un milieu relativement mafieux", nous rappelait en 2022 Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé au think thank Euro Créativ. À noter que les grandes entreprises de l'énergie sont tenues par l'État.

Plus globalement, au-delà des oligarques, si assassinat commandité il y a, "les raisons sont nébuleuses", affirme l'enseignante en géopolitique. "Il n'y a pas forcément la marque du FSB, ce n'est pas forcément le Kremlin qui a ordonné toutes ces morts" mais si ces personnes ont été visées "c'est qu'elles représentaient une menace pour quelqu'un", résume-t-elle.

Juliette Brossault