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Pourquoi la NSA espionne-t-elle la France?

Siège de la NSA, l'agence de sécurité nationale américaine

Siège de la NSA, l'agence de sécurité nationale américaine - -

Le scandale né de l'espionnage mondial pratiqué par les Etats-Unis a resurgi lundi avec les révélations du "Monde" sur l'interception de millions de données téléphoniques des Français et qui ont provoqué la colère de Paris.

La révélation a fait l'effet d'une bombe. Le quotidien Le Monde qui a pu consulter une partie des documents internes de l'agence de sécurité nationale américaine (NSA) apportés par Edward Snowden, prouvent que les Français sont massivement surveillés par les services secrets américains.

Selon le journal français, la NSA a, par exemple, effectué 70,3 millions d'enregistrements de données téléphoniques de Français entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013.

Si l'objectif de la NSA est d'espionner les pays liés au terrorisme, pourquoi alors surveiller à ce point la France?

> La NSA, la plus puissante agence de renseignement américaine

Parmi les 16 agences de renseignement américaines placées sous l'autorité du Directeur national du renseignement (DNI), la NSA est considérée comme la plus puissante. Outre ses analystes et traducteurs, elle est essentiellement constituée de spécialistes des réseaux informatiques et de mathématiciens et ingénieurs travaillant dans des bureaux.

En 2013, le budget débloqué pour la NSA s'élève à 52,6 milliards de dollars, soit l'équivalent de tout le budget français de la Défense, selon un comparatif international. Et ce chiffre n'inclut pas les 21,5 milliards de dollars pour le renseignement militaire.

Le nombre de ses employés est lui aussi classifié. Il est situé "quelque part entre 37.000 et un milliard" s'est amusé en 2012 son directeur adjoint Jophn Inclis. Et c'est sans compter sur les milliers de consultants travaillant pour l'une des 484 entreprises recensées par Priest et Arkjin qui sont liées à la NSA, comme l'était Edward Snowden.

Selon Wired James Banford, auteur de plusieurs ouvrages sur la NSA, "il ne fait aucun doute qu'elle est devenue la plus importante, la plus secrète et potentiellement la plus intrusive agence de renseignement jamais créée".

> Des activités qui vont au-delà la traque du terrorisme

Avec un tel budget et un tel réseau, il ne fait donc aucun doute que les activités de la NSA ne se limitent pas à l'espionnage des pays liés au terrorisme. Les documents apportés par Edward Snowden donnent suffisamment d'explications pour penser que les cibles de la NSA en France concernent aussi bien des personnes suspectées de liens avec des activités terroristes que des individus visés pour leur simple appartenance au monde des affaires, de la politique ou à l'administration française.

La première cible serait ainsi les politiques français. "On écoute les politiques pour savoir ce qu'on va faire dans les négociations internationales, les préparer, savoir comment elles vont se passer", révèle Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE.

La deuxième cible concerne logiquement les grandes entreprises françaises. "Le renseignement économique est accumulé contre les entreprises concurrentes des entreprises américaines", poursuit Alain Juillet. Grâce à ces mêmes documents, on sait par exemple que l'agence américaine s'est intéressée de près à Alcatel-Lucent.

Née de la fusion, en 2006, entre le groupe français Alcatel et l'américain Lucent Technologies, cette entreprise, qui emploie plus de 70.000 personnes, œuvre dans le secteur sensible de l'équipement des réseaux de communications. Elle possède des pépites comme les routeurs de cœur de réseau qui organisent le transport des données numériques ou l'activité de pose des câbles sous-marins par lesquels transite l'essentiel des flux de communications mondiaux.

Fin 2012, Bercy a étudié la reprise totale ou partielle par Orange d'actifs d'Alcatel. Selon Fleur Pellerin, ministre en charge des PME, cette activité représente un intérêt "stratégique", notamment en ce qui concerne "la cyber-surveillance" et "la sécurité du territoire".

> Des mesures d'urgences

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a convoqué lundi l'ambassadeur américain à Paris, Charles Rivkin, qualifiant ce type de pratiques de "totalement inacceptable". Il a également indiqué qu'il demanderait "de manière extrêmement rapide, des éclaircissements, des explications, des justifications" à son homologue américain, John Kerry, à l'occasion d'une rencontre ce mardi matin à Paris.

Hormis les discussions diplomatiques, la France déploie déjà des moyens techniques pour éviter un nouvel espionnage de grande ampleur et la fuite de données hautement confidentielles. Cela passe par "l'installation de serveurs dédiés qui permettent de protéger autant que possible ou de crypter les communications officielles", explique Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

Cela pourrait donc éviter de nouvelles écoutes, notamment au plus près du pouvoir. Cependant, l'affaire était déjà connue depuis juin, c'est la profusion des détails apportés par ces nouvelles révélations qui a contraint les autorités françaises à réagir fermement.

"Un groupe de travail États-Unis-Union européenne a été mis en place en juillet", dès les premières révélations, indique le Quai d'Orsay, soulignant que ce groupe s'est réuni "deux fois" depuis.

Anne-Laure Baulme