BFMTV
États-Unis

Le port d'armes ne sera jamais interdit aux Etats-Unis

Le débat sur le port d'armes a été relancé une nouvelle fois après la fusillade de Newtown.

Le débat sur le port d'armes a été relancé une nouvelle fois après la fusillade de Newtown. - -

Trois jours après la fusillade de Newtown, de nombreuses voix s’élèvent contre le port d’armes aux Etats-Unis. Dans un pays où l’arme est devenue un objet de consommation, peut-on envisager une telle décision ? BFMTV.com a posé la question à un spécialiste des Etats-Unis.

La fusillade de Newtown a traumatisé les Etats-Unis : 20 enfants et 6 adultes ont trouvé la mort, tués par un jeune homme armé d'un fusil d’assaut.

A peine la tragédie connue s’élevaient déjà les premières voix pour réclamer une nouvelle législation sur le port d’armes. Barack Obama lui-même a promis de s’atteler au problème. Le peut-il vraiment ? BFMTV.com a posé la question à Thomas Snogaroff, historien spécialiste des Etats-Unis.

Après Newtown, que peut faire Barack Obama ?

Obama lui-même ne peut rien faire personnellement. Mais il peut pousser le Congrès à agir, comme Bill Clinton l’avait fait en 1993, pour limiter la détention d’armes d’assaut (avec la loi Brady). A mon avis, il peut en appeler directement aux citoyens pour qu’ils fassent pression directement sur leurs élus.

On a aujourd’hui deux lobbys : celui de la NRA [National Rifle Association - l'organisation pro-armes la plus importante du pays], qui ne veut pas faire avancer la législation sur les armes, et celui de l’émotion, avec les nombreuses personnes touchées par le drame - le 116e en milieu scolaire depuis 1966, selon mes chiffres. C’est un rapport de force qui peut faire évoluer les choses. Les enfants tués à Newtown sont très jeunes, et issus d’un milieu plutôt bourgeois : le phénomène d’identification peut jouer.

• Est-il possible de revenir sur le deuxième amendement ?

Revenir sur le deuxième amendement de la Constitution - celui qui garantit à chaque Américain le droit de porter une arme - est impossible. On peut l'expliquer par trois points-clé des mentalités américaines :

- L’importance accordée à la liberté individuelle d’abord, qui fait dire à un Américain que personne ne peut l’empêcher de faire ce qu’il veut. Le père d’une petite fille tuée à Newtown a même déclaré que le tueur avait "exercé son libre-arbitre", c'est dire à quel point c'est une valeur essentielle.

- La méfiance par rapport à l’Etat : l'institution est vue comme une entrave à la liberté, et incapable de protéger ses citoyens – d’où la nécessité de s’armer. Et puis les Américains se méfient les uns des autres : un Américain pense exercer sa liberté de façon vertueuse, mais ne pensera pas la même chose de son voisin.

- La consommation : les Américains ont développé une fascination pour la propriété privée, le consumérisme. Les armes s’offrent pour Noël, elles sont des objets de consommation.

Donc il n'y aura jamais d'interdiction du port d’armes aux Etats-Unis ?

Non. Mais cela ne veut pas dire que les Américains ne peuvent pas agir sur l’encadrement du port d’armes. Mais pour cela, l’Etat doit jouer un rôle fort, ce qui n’est pas toujours bien vu : c’est l’un des nombreux paradoxes du pays.

Nous avons un point de vue très français sur la législation des armes aux Etats-Unis. Ainsi, on n’est pas dans le schéma de l’autorisation contre l’interdiction. Des lois existent déjà aux Etats-Unis pour limiter le port d’armes - comme la loi Brady, citée plus haut. Il en existe beaucoup, et nous les connaissons peu.

 • Peut-on voir également un lien avec l’histoire des Etats-Unis ?

Oui, ne serait-ce que dans la valeur accordée par les Américains à la Constitution. Le second amendement a été voté le 15 décembre 1791. Pour les Américains, c’est un texte parfait qui permet d’envisager le présent et l’avenir. Encore aujourd’hui, ils accordent une révérence totale aux Pères fondateurs, à l'origine de l'amendement.

Et puis les Américains adorent rejouer leur Histoire, se remettre dans la peau des pionniers, ceux qui étaient en contact permanent avec le danger. L’arme revêt un caractère viril, symbole de l’indépendance. Cette image est devenue un mythe, repris et diffusé par Hollywood et les westerns.

Propos recueillis par Ariane Kujawski