TOUT COMPRENDRE - Pourquoi la situation migratoire est à nouveau si critique à Calais?

Trois morts en quelques jours. Depuis le début de la semaine, la situation humanitaire se tend encore davantage dans la région de Calais, accompagnée de drames. Deux personnes sont mortes après avoir tenté de traverser la Manche pour rejoindre l'Angleterre entre mercredi et jeudi. Jeudi soir, c'est un groupe de migrants qui a été percuté par un TER à Calais. Un accident qui a fait un mort et trois blessés.
Cinq ans après le démantèlement de la "jungle de Calais", la question migratoire reste particulièrement sensible dans le Pas-de-Calais, où les tentatives de traversées ont battu des records ces derniers jours.
• Quelle est la situation dans le Calaisis?
Les tentatives de traversées ont battu des records ces derniers jours. En l'espace de 48 heures, ce sont près de 800 personnes qui ont été secourues en mer, selon la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord. Des traversées effectuées sur des embarcations de fortune, parfois très précaires.
"Depuis une petite semaine on a une nette recrudescence des tentatives de traversées de la Manche par les migrants (...). Ça devient infernal. On va chercher des nourrissons en mer, c'est épouvantable", résume sur BFMTV Bernard Barron, président de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
"Le phénomène n'est pas nouveau mais on a l'impression que c'est exponentiel", abonde auprès de l'AFP Pierre Roques, coordinateur de l'Auberge des Migrants. Pour lui, la hausse des traversées de ces derniers jours peut s'expliquer par la météo.
"Il y a eu un redoux avant l'hiver, je pense qu'il y a une volonté de passer le plus vite possible avant les grands froids", ajoute-t-il, alors que de grandes marées sont attendues pour les prochains jours.
• Multiplication des évacuations de campements
A terre, les candidats à la traversée se regroupent dans des campements. Jeudi soir, les migrants percutés par un TER remontaient la voie ferrée, un axe fréquenté quotidiennement pour rejoindre certains campements à proximité des rails.
A Calais, à Marck ou à Grande-Synthe ces campements vivent au gré des évacuations organisées par les autorités. Ces derniers mois, les associations ont dénoncé le traitement des migrants par l'État dans le Calaisis.
En février, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a déploré dans un avis la destruction quasi-quotidienne des camps de migrants. Plus récemment encore, le mois dernier, Human Rights Watch dénonçait dans un rapport le traitement des migrants par l'État et le "harcèlement" à l'égard des migrants. Derrière ces évacuations quasi-systématiques, la crainte de la reformation d'une "jungle".
"Vous avez les forces de l'ordre qui viennent tous les jours sur les lieux de vie des personnes exilées, qui viennent les repousser et confisquer leurs affaires, c'est quotidien", déplore sur BFMTV Nikolaïs Posner, coordinateur de la communication Utopia56.
Des évacuations et des confiscations qui précarisent davantage les migrants et qui surtout, n'ont pas contribué à faire diminuer les traversées. "La situation s'aggrave constamment. Depuis la jungle de Calais, depuis le démantèlement, le harcèlement est permanent et le nombre de traversées explose. Plus de 20.000 personnes ont traversé cette année (...) Les passeurs n'ont jamais autant profité de ces traversées", poursuit Nikolaï Posner.
• Une crise humanitaire doublée d'une crise diplomatique
En parallèle de cette crise humanitaire, se joue une crise diplomatique. La crise migratoire dans le Nord-Pas-de-Calais se joue dans un contexte de très forte tension entre le Royaume-Uni et la France, qui s'écharpent aussi en parallèle sur le dossier de la pêche dans le cadre du Brexit.
Sur la question migratoire, l'enjeu repose notamment sur la gestion de la frontière franco-britannique. Cette question est régie par les accords du Touquet, signés en 2003. Ces accords permettent aux autorités françaises et britanniques d'effectuer des contrôles dans les deux pays. Mais en pratique, ces accords sont accusés d'avoir "déplacé" la frontière franco-britannique sur le sol français, chargeant de fait les autorités françaises de garder la frontière pour les Britanniques.
"Nous tenons la frontière pour eux et ça fait plus de 20 ans que les habitants de Marck, de Calais, de Dunkerque, de Grande-Synthe tiennent la frontière pour les Britanniques", déplorait en octobre Gérald Darmanin.
Ces derniers mois, le Royaume-Uni a accusé la France de ne pas tenir suffisamment la frontière. La France considère au contraire que le Royaume-Uni ne respecte pas les accords bilatéraux, qui prévoient notamment que les Britanniques contribuent financièrement à la lutte contre l'immigration illégale.
"La pression de l'Angleterre qui a été mise sur la France pour bloquer la frontière se répercute directement sur les personnes, ce qui crée toujours plus d'errance et des personnes", constate Nikolaï Posner d'Utopia56.
Régulièrement, les élus locaux réclament la renégociation des accords du Touquet. Natacha Bouchart, maire LR de Calais en a encore fait la demande cette semaine, appelant sur RTL à engager un "bras-de-fer" avec Boris Johnson. "Les Anglais ça commence à bien faire", s'agaçait également dimanche dernier sur BFMTV Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France. Candidat au congrès LR en vue de la présidentielle, l'élu souhaite "dénoncer les accords du Touquet" s'il est élu à l'Elysée.
• Quelles solutions proposées par l'Etat?
Tant que la crise diplomatique n'est pas réglée, que faire sur le terrain? Face à la situation qui s'aggrave, le ministère de l'Intérieur a mobilisé un médiateur. Le patron de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) Didier Leschi s'est rendu à Calais le mois dernier pour négocier avec plusieurs associations et notamment les militants engagés dans une grève de la faim en soutien aux migrants.
Il a annoncé cette semaine que les personnes évacuées des campements seront "systématiquement" hébergées, mais hors de la ville de Calais. L'État a décidé de créer un "sas" de "mise à l'abri" permettant d'accueillir 300 migrants la nuit, avant de les rediriger vers des hébergements pérennes.
Une solution qui ne convainc pas les élus. "Il est hors de question d'ouvrir ce sas à Calais. J'y suis farouchement opposée (...). Il faut un sas, mais en-dehors du département", a indiqué Natacha Bouchart à BFM Grand Lille.
L'idée de ce sas ne convainc pas davantage les associations:
"C'est normalement une obligation qu'une solution d'hébergement soit proposée à chaque démantèlement", fait d'abord remarquer Nikolaïs Posner. "Il y a beaucoup de gens qui sont prêts à aller un peu plus loin, mais il n'y a pas d'accompagnement", juge le coordinateur de la communication Utopia56.
Outre la fin du "harcèlement" pratiqué par les forces de l'ordre à l'encontre des migrants, son association réclame d'autres solutions humanitaires. "Nous ce qu'on demande, c'est qu'il y ait un campement qui soit mis à la frontière, où les gens puissent à la fois demander une demande d'asile en France et en Angleterre", ajoute-t-il, un campement qui pourrait être mis sous la gestion du HCR, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, "qui fait ça très bien" dans d'autres pays soumis à des crises migratoires. Mais là encore, cette proposition nécessiterait des discussions avec les Britanniques: "Ça demande du courage politique de renégocier les accords qui ont été mis en place avec l'Angleterre", conclut-il.