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TOUT COMPRENDRE - Comment le dossier de la pêche a tendu les relations franco-britanniques

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Accusé de ne pas respecter ses engagements sur la pêche, le Royaume-Uni devait faire l'objet de sanctions françaises à partir de ce mardi. Avec la reprise des négociations, Emmanuel Macron a finalement repoussé l'ultimatum. Retour sur un feuilleton qui envenime depuis des mois les relations entre Français et Britanniques.

Londres et Paris calment le jeu. Le bras de fer engagé entre Français et Britanniques sur la question sensible de la pêche a atteint son paroxysme ces derniers jours alors que le gouvernement menaçait le Royaume-Uni, accusé de ne pas respecter l’accord commercial sur le Brexit, de mesures de rétorsion.

Ces sanctions, censées s’appliquer à compter de ce mardi 2 novembre, ont finalement été repoussées à quelques heures de l’ultimatum fixé par la France pour laisser une chance à de nouvelles négociations. Un geste de bonne volonté qui acte la désescalade pour au moins 48 heures dans un conflit qui couvait depuis des mois.

• En quoi l’accord sur le Brexit chamboule le secteur de la pêche?

Conclu in extremis, l’accord sur le Brexit régissant les nouvelles relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Ce texte de plus de 1200 pages a pourtant bien failli ne jamais voir le jour, en particulier en raison de désaccords sur la question de la pêche qui a agité les négociations entre Londres et Bruxelles pendant quatre ans.

Car en quittant l’UE, le Royaume-Uni a repris le contrôle total de ses eaux dans lesquelles les pêcheurs européens tiraient environ 30% de leurs prises. Pour Bruxelles, il s’agissait de trouver un compromis pour leur permettre de conserver un droit d’accès à ces zones très poissonneuses après le Brexit.

L’accord trouvé non sans mal prévoit finalement une période de transition jusqu’à l’été 2026, date à laquelle les pêcheurs européens renonceront à 25% des captures dans les eaux britanniques, l’équivalent de 650 millions d’euros par an. Le texte prévoit ensuite une renégociation annuelle. Mais pour conserver l’accès à ces eaux d'ici là, les pêcheurs européens doivent réclamer de nouvelles licences. Et c’est l’attribution de ces permis de pêche qui est au cœur des tensions des derniers mois.

• Pourquoi Français et britanniques s’écharpent-ils?

La France reproche au Royaume-Uni de délivrer les licences à ses pêcheurs au compte-goutte. Onze mois après l’entrée en vigueur de l’accord sur le Brexit, la moitié des permis promis aux Français n’aurait toujours pas été attribuée, selon le gouvernement. Ce qui empêche les pêcheurs bretons et normands notamment de se rendre dans la zone des 6-12 miles nautiques britanniques et surtout au large des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey.

De son côté, le gouvernement britannique assure avoir délivré 98% des licences dues aux pêcheurs européens. Faux, rétorque la France: "Les Européens ont demandé 2127 licences, les Britanniques ont donné 1913 licences, ça fait 90,3%", a indiqué la ministre de la Mer, Annick Girardin, la semaine dernière. Et les 10% de permis manquants seraient essentiellement destinés aux pêcheurs français.

La zone très convoitée des 6-12 miles nautiques
La zone très convoitée des 6-12 miles nautiques © BFMTV

Le principe est le suivant: pour pouvoir prétendre à l’octroi d’un permis d’accès aux eaux britanniques, les pêcheurs européens doivent prouver, documents à l’appui, qu’ils naviguaient déjà dans ces zones avant le Brexit. Or, le Royaume-Uni et la France se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.

Côté français, on assure que de nouvelles dispositions non prévues par l’accord commercial ont été introduites par les autorités d’outre-Manche. Certains documents réclamés seraient impossibles à réunir pour les petits navires dépourvus de système de traçage permettant de prouver qu’ils naviguaient dans les eaux britanniques avant le Brexit. Même chose pour les bateaux neufs ayant remplacé une embarcation plus ancienne. Les pêcheurs français dénoncent plus largement le manque de transparence des Britanniques qui refusent d’accorder des licences pour des raisons souvent incomprises.

"Il faut que les Britanniques discutent avec nous pour savoir comment ils établissent leur liste de bateaux, quels sont les critères qu’ils nous opposent. Il y a vraiment un grand flou autour de tout cela", explique sur BFMTV Dimitri Rogoff, président de Normandie Fraîcheur Mer.

Et d’ajouter: "Il était bien prévu que pour les plus gros bateaux il y ait de la data à fournir à travers les positionnements par satellite. Les petits bateaux ne possèdent pas cet équipement-là. Donc c’est un faisceau de preuves qu’il faut amener pour justifier de leur antériorité. Nous, côté français, on a bien amené un faisceau de preuves. Après, côté britannique ils font le tri, mais on ne sait pas comment ils font le tri. Ce qui fait que nos listes et leurs listes ne correspondent pas".

• Pourquoi la tension est montée d’un cran ces derniers jours?

Onze mois après l’entrée en vigueur de l’accord sur le Brexit, les pêcheurs français perdent patience: " Aujourd’hui, on a le sentiment que le Royaume-Uni n’est pas très fair-play puisque cela fait dix mois que nos pêcheurs attendent, certains désespérément, leur licence. Il y a une application partielle de l’accord. Pour nos pêcheurs, la situation devient vraiment critique puisque certains enregistrent des chiffres d’affaires qui sont nettement inférieurs à ceux qui ont eu la chance d’obtenir cette licence", a souligné sur BFM Business Jean-Luc Hall, directeur général du Comité national des pêches maritimes et des Elevages Marins.

Déjà en mai, des dizaines de bateaux de pêcheurs normands et bretons s’étaient rassemblés devant le port de Saint-Hélier, la capitale de Jersey, pour protester contre les conditions d’octroi des licences imposées par les autorités britanniques. Cinq mois plus tard et après de multiples appels à satisfaire les demandes de ses pêcheurs, la France a décidé de hausser le ton, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune affirmant que le Royaume-Uni ne comprend que "le langage de la force".

La semaine dernière, Paris a annoncé des mesures de rétorsion qui devaient entrer en vigueur ce mardi, sans changement significatif de Londres. Parmi elles: des contrôles douaniers et sanitaires systématiques sur les produits britanniques débarqués en France et l’interdiction de débarquement de produits de la mer des bateaux anglais dans les ports tricolores.

"Mon souhait ce n'est pas qu'on aille vers des mesures de rétorsion, c'est qu'on trouve un accord pour que nos pêcheurs puissent vivre de leur travail. Mais si les Britanniques continuent d'agir comme s'ils ne voulaient pas mettre en oeuvre un accord qui a été signé, commencer à bouger, je le regretterai mais nous ne pouvons pas ne pas répondre et ne pas défendre nos pêcheurs" a déclaré Emmanuel Macron lors du G20 à Rome ce week-end.

En réponse, la secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Liz Truss, a exigé lundi que la France retire ses menaces "sous 48 heures" jugeant les mesures annoncées "totalement déraisonnables" alors que 80% de la pêche britannique part à l’export en transitant souvent par l’Hexagone.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson aurait par ailleurs été "ulcéré" par une lettre de Jean Castex destinée à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le chef du gouvernement français y indiquait qu’il était "indispensable de montrer clairement aux opinions publiques européennes que le respect de l’engagement souscrit n’est pas négociable et qu’il y a davantage de dommages à quitter l’Union européenne qu’à y demeurer". Une phrase qui a été traduite de manière discutable par une partie de la presse britannique indiquant que la France appelait l’UE à "punir" le Royaume-Uni. Ce qui n’a fait qu’envenimer les choses.

• Pourquoi la France a-t-elle finalement suspendu ses menaces?

Lors du G20 de Rome ce week-end, Emmanuel Macron et Boris Johnson se sont rencontrés pour tenter de résoudre le conflit sur la pêche. A l’issue de ce tête à tête, le président de la République a dit avoir transmis une "méthode" pour une "évolution progressive" sur les licences demandées par la France. "La balle est dans le camp des Britanniques. (…) S’ils ne font aucun mouvement, les mesures du 2 novembre devront se mettre en place car ce sera une fin de non-recevoir", a-t-il ajouté.

Lundi à Glasgow, où se tient la COP 26, des sources diplomatiques ont fait savoir que des réunions entre Français et Britanniques étaient en cours au sujet de la pêche. En fin de journée, Emmanuel Macron a finalement annoncé qu’il renonçait à appliquer les sanctions prévues à minuit pour "donner une chance" aux discussions.

"Ce n'est pas pendant qu'on négocie qu'on va mettre des sanctions", a affirmé le chef de l'Etat devant la presse. "Les prochaines heures sont des heures importantes", a-t-il assuré. L'Elysée a par la suite précisé que la France n'appliquerait pas de sanction au moins jusqu'à jeudi, date prévue d'une réunion à Paris entre le secrétaire d'Etat britannique chargé du Brexit, David Frost et Clément Beaune qui l'a invité.

"Nous avons reçu de premiers signaux de la part des autorités britanniques pour accélérer les échanges. Une réponse aux dernières propositions des autorités françaises est attendue d'ici mercredi", a souligné la présidence française.

Le gouvernement britannique a de son côté "salué" le report des sanctions, disant se "féliciter que la France reconnaisse que des discussions approfondies sont nécessaires pour résoudre l'ensemble des difficultés de la relation entre le Royaume-Uni et l'UE". Et David Frost "se réjouit des discussions qui auront lieu à Paris jeudi", a ajouté Downing street, signant ainsi une désescalade de la situation.

Emmanuel Macron a également dit faire "confiance au Premier ministre britannique Boris Johnson pour prendre sérieusement" les propositions françaises et pour que les discussions débouchent sur un "résultat". "Pendant 10 mois les résultats ont été trop lents, si cette nouvelle méthode permet d'avoir un résultat, je souhaite qu'on lui donne une chance", a-t-il ajouté.

• La pêche est-elle le seul motif de tensions?

Si le conflit autour de la pêche entre Français et Britanniques a pris de telles proportions, ce n’est vraisemblablement pas pour des raisons économiques: le secteur de la pêche ne représente que 0,1% du PIB britannique et 0,06% du PIB français. Mais ce dossier est très vite devenu un symbole de la souveraineté retrouvée pour le Royaume-Uni. Et la dépendance des pêcheurs européens aux eaux britanniques est l’un des seuls leviers dont dispose le gouvernement de Boris Johnson dans son rapport de force avec l’UE depuis le début des négociations sur le Brexit.

La poussée des tensions entre la France et son voisin autour de la pêche s’inscrit de surcroît dans un contexte de relations dégradées entre les deux pays. En juillet, la crainte du variant Bêta du Covid-19 avait poussé le gouvernement britannique à maintenir la quarantaine obligatoire pour les voyageurs revenant de l’Hexagone. Une décision jugée incompréhensible par le gouvernement français alors que le variant Bêta circulait essentiellement à Mayotte et à La Réunion.

Plus récemment, c’est l’abandon par l’Australie du contrat portant sur 12 sous-marins français qui a de nouveau refroidi les relations franco-britanniques. Et pour cause, le gouvernement australien a annoncé rejoindre l’accord de défense Aukus aux côtés des Etats-Unis et… du Royaume-Uni. Persiste enfin un autre sujet de tensions post-Brexit entre l'Union européenne et le Royaume-Uni autour de l'Irlande du Nord alors que Londres exige la renégociation des mesures douanières spécifiques à la province britannique.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco