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Vers une reconnaissance nationale des victimes du coronavirus?

Des députés réclament l'élargissement du statut de pupille de la Nation pour les enfants des personnels soignants morts du covid-19.

Des députés réclament l'élargissement du statut de pupille de la Nation pour les enfants des personnels soignants morts du covid-19. - AFP

Le gouvernement va étudier les dispositifs existants pour aider les enfants des personnels soignants morts du Covid-19, alors que des députés réclament l'extension du statut de pupille de la Nation. Dans le même temps, un hommage national est réclamé par des familles de victimes.

Le 5 avril dernier à Lyon, les chauffeurs de taxis de la ville se sont mobilisés pour rendre hommage à leurs collègues morts du Covid-19. Cette semaine, ce sont les musiciens sapeurs pompiers volontaires des Yvelines qui ont repris L'hymne à l'amour d'Edith Piaf pour saluer la mémoire de l'un des leurs, victime lui aussi de l'épidémie. Des témoignages spontanés qui se multiplient pour les victimes du coronavirus, alors que la maladie empêche les familles d'accompagner leurs proches, de les serrer dans leurs bras ou d'assister à leurs funérailles.

Alors que le nombre de victimes du Covid-19 en France est d'au moins 24.087 d'après le bilan diffusé ce mercredi soir, certains réclament qu'un deuil national soit décrété et en appellent à la présidence de la République. "Il faut leur rendre hommage, leur redonner un visage, certains sont morts dans l'anonymat absolu, dans la solitude, c'est un comble abominable", plaide Arash Derambarsh. Le père de cet avocat parisien est décédé au mois de mars dans un hôpital du 13e arrondissement. Dans une tribune intitulée Pour un hommage national aux victimes du Coronavirus, il évoque le test positif de son père à la maladie, l'appel matinal de l'hôpital pour annoncer la nouvelle de sa mort puis l'impossibilité de lui dire un véritable au revoir.

"Même si les larmes inondent le visage de ma mère, nous devons garder une distance ainsi que pour le défunt, confie Arash Derambarsh dans sa tribune. Aucun contact, aucun réconfort. (...) Nous n’avons ni le droit de le prendre dans les bras, ni de l’enserrer contre notre cœur; cette chaleur humaine est strictement interdite. (...) Un adieu bref pour un grand homme. L’interne nous informe que nous n’avons que cinq minutes seulement à cause d’un virus très contagieux."

"Des familles dans la solitude"

L'épreuve de l'enterrement se fait dans la même "froideur". "Nous ne serons que quatre alors que plusieurs centaines d’amis proches souhaitaient honorer sa mémoire pour un ultime adieu, confie encore l'avocat. Le confinement empêchant tout rassemblement. Personne n’a pu se prendre dans les bras, se soutenir, ni s’embrasser. Un deuil solitaire, presque glaçant." La prise de parole dans les médias d'Arash Derambarsh a suscité de nombreuses réactions. "Des familles dans la même détresse, la même solitude, dans une situation abominable", explique-t-il à BFMTV.com. 

Au nom des "Julie, Christian, Paul, Catherine, Jeanne, Mohamed, Paul, Jeanne, Colette ou encore Jean-François", toutes des victimes du coronavirus, Arash Derambarsh réclame pour eux "un enterrement digne", "un accompagnement pour leur dernier repos". "Ce sujet peut rassembler tout le monde, il faut prendre soin, rendre hommage à nos morts et se reconstruire ensemble, poursuit-il. Il faut que le président de la République décrète un deuil national au même titre que pour les victimes des attentats de 2015." En Chine, par exemple, une journée de deuil national a été décrétée le 4 avril dernier avec un moment de recueillement national.

"Toute victime a besoin de reconnaissance"

L'idée de créer une dimension mémorielle pour les victimes du Covid-19 trouve un appui auprès des fédérations de victimes. "On peut considérer que tout ce qui va dans le sens du souvenir et de la commémoration après un événement d'ampleur, comme une crise sanitaire, va dans le bon sens, estime Sophia Seco, directrice générale de la Fenvac, la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs. Toute victime a besoin de reconnaissance, surtout de la part de l'Etat."

Le 27 mars, Philippe Gosselin, député Les Républicains de la Manche, a déposé une proposition de loi, soutenue par 80 signatures d'élus de différents partis, "visant à étendre le statut de 'Pupille de la Nation' aux enfants des personnels de toutes catégories, civils et militaires, décédés des suites directes de leur engagement contre le Covid-19". "Ce sont des gens qui ont donné leur vie pour en sauver d'autres, ils méritent notre reconnaissance, il ne faut pas les oublier, estime l'élu auprès de BFMTV.com. Il ne faut pas laisser leur famille dans la difficulté, il faut la reconnaissance de la Nation, mais aussi protéger leurs enfants." 

"On est face à une guerre, cela nécessite le soutien de l'Etat à ceux qui se sont sacrifiés avec un véritable accompagnement dans la durée", abonde-t-on à la Fenvac, tout en restant attentif aux détails pratiques et aux contours donnés à cette reconnaissance.

A l'origine le statut de "pupille de la Nation" a été créé pour les "orphelins de guerre". Au fil des ans, il a été élargi aux enfants des policiers, gendarmes, aux personnels de l'administration pénitentiaire ou des douanes, morts en service. Depuis les attaques de 2015 en France, les enfants de victimes d'attentats peuvent également en bénéficier. Ce statut permet aux enfants de moins de 21 ans d'obtenir des aides financières, des subventions pendant leurs études, pour leur projet professionnel ou bien des aides à l'embauche pour certains emplois.

Le gouvernement étudie les dispositifs existants

Plus récemment, 80 députés de tous bords ont lancé un appel à l'Etat pour un élargissement du statut de pupille de la Nation ou la création d'un statut semblable pour les enfants des personnels soignants décédés du Covid-19. "La noblesse de leur combat doit être saluée", insiste François Jolivet, à l'initiative de cet appel. Ce mercredi, lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le sujet a été abordé avec une question posée par le député LaREM de l'Indre qui a cité le témoignage que lui a adressé une infirmière, justifiant, selon lui, une mise en place rapide de ce statut. 

"Si ça existait (un statut protecteur, NDLR), on s'inquiéterait moins pour l'avenir de notre famille, comme en ce moment", rapporte François Jolivet, qui a tenu à rendre hommage à une aide-soignante de 48 ans de son département, veuve et mère de quatre enfants, décédée du Covid-19.

Lors de cette séance dans l'Hémicycle, la secrétaire d'État auprès de la ministre des Armées s'est prononcée en faveur d'une aide apportée aux ayants droit des personnels soignants, dont la maladie professionnelle sera reconnue, morts pendant la crise. "Le gouvernement est en train de travailler pour vérifier si les dispositifs existants sont adaptés à toutes les situations, compte-tenu des circonstances absolument exceptionnelles, a fait savoir Geneviève Darrieussecq. Le cas échéant nous les compléterons, notamment, nous étudierons votre proposition sur les pupilles de la Nation qui peut venir compléter ces dispositifs qui viendront en soutien à ces familles."

Recensement des victimes

"50% du chemin est fait", se réjouit François Jolivet, qui va demander une rencontre avec la secrétaire d'Etat pour déterminer un calendrier pour la mise en oeuvre de cette reconnaissance. Reste aussi à déterminer quelle forme prendra ce statut de pupille de la Nation, dépendant du ministère des Armées, et dont l'élargissement nécessiterait une modification législative. "Si cela pose un problème de gouvernance, on pourra créer un statut à côté", estime le député de l'Indre. Philippe Gosselin, son collègue de la Manche, plaide aussi pour l'attribution du statut "Mort pour la France" aux personnels engagés dans la guerre contre le Covid-19.

"Ça peut paraître dérisoire à certains, mais ce sont quelques dizaines de personnes qui sont emblématiques, qui ont donné leur vie et pour les familles, l'un des leurs est mort au front du Covid", insiste le député de la Manche.

La mise en place d'une reconnaissance va passer par un recensement des victimes et de leur famille. A ce jour, on compte 27 personnels soignants morts du Covid-19, mais ce nombre pourrait être bien plus important. De son côté, la Fenvac a lancé elle-aussi une opération de recensement de toutes les victimes de la crise sanitaire actuelle. En moins d'une semaine, environ 40 personnes se sont déjà manifestées, principalement des proches de victimes mortes dans les hôpitaux ou les Ehpad, sans parfois avoir confirmation d'un décès lié au Covid-19. "C'est un point d'interrogation délétère dans une période de deuil", estime Sophia Seco, qui assure que "le périmètre est large autour des victimes directes de l'épidémie". "Nous n'avions pas anticipé de détresse", conclut la directrice générale de la Fenvac.

Justine Chevalier