Pour plus d'un Européen sur quatre, un viol est parfois justifié

Des jeunes filles menant une expérience pour dénoncer le harcèlement de rue. - Capture d'écran Youtube.
Ce sont des chiffres accablants, quelques jours seulement après la journée de lutte contre les violences faites aux femmes. La Commission européenne vient de publier un rapport sur les violences liées au genre, après avoir mené une enquête auprès de plus de 27.000 citoyens européens, dans les pays membres de l'Union européenne et les autres Etats du Vieux continent.
Si l'enquête s'intéresse aux violences en général, étudiant à la fois les violences physiques, psychologiques et sexuelles, la partie concernant le viol est particulièrement parlante.
Part des européens qui pensent que certaines situations justifient le viol
Les femmes "inventent ou exagèrent"
Il en ressort tout d'abord qu'au sein de l'Union européenne, plus d'une personne sur cinq (22%) est d'accord avec l'idée que les femmes inventent ou exagèrent souvent les accusations de mauvais traitement ou de viol qu'elles expriment.
"Les personnes sondées à Malte (47%), à Chypre (44%) et en Lituanie (42%) sont les plus susceptibles d'être d'accord avec cette affirmation, contre seulement 8% en Suède et 13% en France et en Italie", note le rapport, qui pointe de grosses disparités en fonction des pays.
Ensuite, 17% des sondés, soit presque une personne sur cinq, estiment que la violence à l'égard des femmes est souvent provoquée par la victime. En Lettonie, 57% des gens sont d'accord avec cette affirmation, contre 45% en Lituanie et 40% à Malte. A l'opposé, seules 6% des personnes interrogées aux Pays-Bas et 9% en Suède adhèrent à cette idée.
La tenue ou l'alcool justifient le viol pour certains
Enfin, de manière générale, 27% des Européens interrogés déclarent qu'un viol peut se justifier dans certaines circonstances. Parmi les situations évoquées, le fait pour la victime d'être ivre ou sous l'effet d'une drogue justifie pour 12% des sondés qu'elle soit violée. Le fait de se rendre volontairement chez quelqu'un justifie le viol pour 11%. Celui de porter une tenue "légère, provocante ou sexy", de ne pas dire clairement "non" ou de ne pas riposter physiquement justifie un viol pour 10% des personnes interrogées au total.
Là aussi, les résultats diffèrent beaucoup en fonction des pays. Le pourcentage de gens ayant évoqué au moins une de ces situations est particulièrement haut en Roumanie (55%) et en Hongrie (47%). Il est au contraire très bas en Suède (6%) et en Espagne (8%). La France, elle, se situe dans la moitié supérieure du classement, avec 31%.
Des stéréotypes très prégnants en France
Des chiffres qui rappellent ceux d'une étude, publiée en mars dernier, sur les représentations des Français sur le viol. Réalisée par l'institut Ipsos pour l'association Mémoire traumatique et victimologie, l'enquête a interrogé 1.001 personnes en ligne. Une grande partie des personnes interrogées déresponsabilisait le violeur en fonction du comportement de sa victime.
Pour 40% des Français sondés, la responsabilité du violeur était ainsi atténuée si la victime avait eu une attitude provocante en public, et 38% déresponsabilisaient l’agresseur dès lors que la victime avait flirté avec lui. Plus d’un Français sur trois (36%) tendait également à trouver des circonstances atténuantes au violeur si une adolescente avait adopté une attitude séductrice avec lui ou si la victime avait par exemple accepté d’aller seule chez un inconnu.
Culture du viol
Pour Muriel Salmona, la fondatrice de Mémoire traumatique et victimologie, qui a dirigé cette étude en décembre 2015, les résultats de l'enquête européenne ne sont malheureusement pas étonnants.
"Ces chiffres correspondent à la réalité de la culture du viol", explique-t-elle, contactée par BFMTV.com. "La culture du viol, c’est le fait de nier le viol, de dire que ça n’est pas arrivé, de dire aussi que c’est la faute de la victime, et de penser que finalement, les femmes aiment être forcées", développe la psychiatre.
Dans les deux enquêtes, certains résultats sont toutefois contradictoires. Dans l'étude européenne, il est par exemple généralement admis que la violence domestique, le harcèlement sexuel et d'autres actes de violence de genre sont inacceptables ou répréhensibles. La majorité pense aussi que la violence de genre est inacceptable en général. Dans l'étude d'Ipsos, 95% des sondés affirmaient que le viol avaient des conséquences très graves pour la victime.
Fausses représentations
Pour Muriel Salmona, ce décalage dans les réponses est dû à de fausses représentations sur le viol, que les personnes interrogées ne reconnaissent pas forcément pour ce qu'il est.
"Les gens ont une certaine idée du viol, ils s’imaginent que c’est forcément le fait d’un inconnu et que c’est fait avec violence, mais la réalité c’est que dans 90% des cas, le viol est commis par une personne connue pour les victimes adultes", explique-t-elle. Chez les enfants victimes, ce taux est encore plus élevé.
"Les représentations que les gens ont du viol ne correspondent ni à la réalité ni à la loi", regrette la psychiatre. Elle insiste donc sur la nécessité de démonter les stéréotypes, d'expliquer par exemple qu'une victime en état de sidération n'est pas en mesure de se débattre, et de donner toute sa place à la notion de consentement éclairé, c'est-à-dire la possibilité de pouvoir faire un vrai choix, de ne pas être sous emprise. "Le viol est le seul crime où on met en cause les victimes", dénonce Muriel Salmona.
Une exception nordique?
Dans l'enquête de la Commission européenne, un groupe de pays du nord de l'Europe sort du lot: l'Islande, le Danemark, la Suède, mais aussi la Finlande sont quasi systématiquement parmi les premiers du classement, là où les stéréotypes négatifs sont les moins présents. Muriel Salmona a une explication.
"Les résultats sont plus encourageants car la protection de l’enfance y est très développée, il y a beaucoup de travail de prévention et beaucoup plus d’éducation au respect des droits et des personnes" dans ces pays, avance la psychiatre.
"Une meilleure égalité aussi, sachant que les inégalités favorisent les violences, que les personnes handicapées par exemple, ou d'autres personnes discriminées, subissent beaucoup plus de violences", souligne-t-elle aussi.