L’école à la maison entre patience et culpabilité

L'école à la maison , semaine 1 - Magali Rangin
Ce texte n’a qu’une valeur de témoignage, le mien. Peut-être - sans doute - vivez vous autre chose. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir télétravailler, ni de pouvoir aider ses enfants. Ces quelques jours permettent en tout cas de mesurer les trésors de patience et de pédagogie des enseignants. Faire cours à la maison à ses enfants, quand on n’est ni prof ni vraiment disponible.
Lundi, premier jour de confinement. Premier jour sans école, à la maison avec deux enfants, un garçon de 13 ans en cinquième et une fille de 10 ans, en CM2, qui ont soif de travailler. Pour l’instant.
9h02: Tout le monde est douché, habillé, nourri.
9h06: On s’installe sur un bureau. On a de la chance, chacun dispose d’un ordinateur. Je les laisse commencer seuls, pour me livrer à une séance de javelisation de notre environnement - poignées de portes, de fenêtres, cuisine, toilettes - assez frénétique.
9h07: “Maman, ça marche pas”. Je regarde, en effet, ça marche pas. L’espace numérique de travail - ENT, pour ces grands amateurs d’acronymes que sont les membres de l’Education nationale - est en rade. Pas grave on va essayer les cours du Cned.

9h10: L’aîné se lance sur les exercices du Cned. Il y a des exercices sur les fractions en maths et un QCM en français. Il cesse rapidement de me demander de l’aide.
9h15: Il s’agace sur les QCM, les cases qui ne sont “pas facile à cocher”, recommence quand il s’est trompé. Pas sûre de l’efficacité pédagogique du dispositif.
9h15: La plus jeune se lance dans un exercice de français qu’elle maîtrise normalement et qui doit être effectué en 20 minutes.
10h15: L’aîné a "tout fini". La petite pleure à chaudes larmes. “Je n’y arriverai jamais, je suis nulle”. Je ne sais pas quoi faire. Je crie, je câline, je rassure, je menace.
10h38: SMS du collège nous signalant que l’ENT est en rade.
12h35: On fait une pause pour déjeuner. Cordons bleus coquillettes réconcilient tout le monde avec la vie.
13h44: Le maître de la petite envoie un mail de “continuité pédagogique”, avec des fiches et un plan de travail pour les semaines à venir. C’est un vrai soulagement de sentir qu’il y a encore quelqu’un de l’autre côté.
Trop de larmes
L’après-midi, je dois télé-travailler. Je m’exile dans le salon. On décide de laisser tomber les exercices. Trop de larmes, trop d’angoisse. La plus jeune s’installe à côté de moi, je lui imprime le dessin cadavre exquis de Pénélope Bagieu, qu’elle commence à dessiner. Elle réalise aussi une petite BD que j’envoie à son maître, pour lui montrer que les enfants ne sont pas totalement en jachère.
Mardi, à 10h, les enfants sont à peine levés, encore en pyjama. Je dois télétravailler en journée, je les laisse donc se débrouiller. Je prends mes quartiers dans la cuisine.
L’ENT est finalement accessible aux collégiens mais il y a des horaires à respecter pour éviter la surcharge. Les 6e et 5e peuvent y accéder le matin de 8 heures à midi et les plus grands l’après-midi. C’est plutôt rassurant de constater que ça fonctionne.
Les jours commencent à se mélanger
Le mercredi, l’aîné a drôlement bien avancé dans son livre d’heroic fantasy. A 11h, il est toujours dans son lit, en pyjama. "J’ai fait tout ce qui était disponible pour les cinquièmes", assure-t-il. Je n’ai pas le temps de vérifier. La petite a peur de "devenir bête" si elle ne va plus à l’école. Elle avance désormais de façon assez autonome grâce aux fiches que son maître envoie plusieurs fois par jour. Il nous passe même un coup de fil, pour savoir si tout va bien. Chaque jour, il envoie des corrigés des exercices. Le collège de l’aîné appelle aussi tenter d’évaluer ce qui nous manque pour la fameuse continuité pédagogique.

Jeudi, pyjama jusqu’à midi. Les jours commencent à se mélanger, tant ils se ressemblent.
Le maître de la petite envoie une vidéo réalisée par un enfant de sa classe. "Vous me manquez tous. Et je n’aime pas tellement faire l’école à la maison. C’est difficile de travailler dans ces conditions. J’aimerais bien sortir", raconte le petit N, 10 ans face à la caméra. J’ai un gros coup de blues, toute seule dans ma cuisine-bureau.
À midi, brèves courses au magasin en face. Je croise une autre mère que je connais de vue. "Et avec les enfants, c’est pas trop dur?", se lance-t-on à distance. Le mot "patience" est lâché. Pas le mot "culpabilité". Pourtant il est bien là, pas loin en embuscade.
Jeudi soir je découvre sur ma table de nuit ce petit mot de la petite: "Pour ma super maman, merci d’être patiente avec moi. De m’aider dans mes devoirs, c’est pas facile (pour personne). On va essayer de bien profiter du week-end. Il faut tenir encore quelques semaines."
"La semaine, elle passe beaucoup plus lentement"
Vendredi, reprise en main des troupes. Les enfants sont réveillés à 8h30, pour profiter de l’accès à l’ENT des 5e. Dans sa chambre, le grand travaille en écoutant un podcast de France Inter conseillé par la documentaliste du collège.
La petite avance désormais avec plus de facilité et moins d’angoisse, je crois, dans son "plan de travail". “La semaine, elle passe beaucoup plus lentement qu’avec les profs”, me dit-elle. Installée à côté de moi dans la cuisine, elle fait office de nouvelle collègue, m’écoute participer aux conférences de rédaction, m’interroge sur mes collègues - les vrais - commente avec humour.
On a survécu à la première semaine sans disputes ni portes claquées. Mais le plus dur reste sans doute à faire. Je me rends compte que cette chronique de confinement, qui se voulait plutôt légère dans un premier temps, ne l’est pas du tout. Je pensais qu’être enfermée chez moi avec mari et enfants nous permettrait de passer plus de temps ensemble. Mais si nous sommes physiquement réunis, chacun a ses propres préoccupations: le travail à faire, l’envie d’aller faire du basket dehors, et la fatigue.