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Internationalisation, parti politique: quel avenir pour le mouvement "Nuit debout"?

Des manifestants de "Nuit debout" dimanche 15 mai, place de la République, à Paris

Des manifestants de "Nuit debout" dimanche 15 mai, place de la République, à Paris - Geoffroy Van der Hasselt-AFP

Le mouvement "Nuit debout", né fin mars de la contestation de la loi Travail, semble en perte de vitesse: baisse de sa popularité auprès des Français et échec de sa tentative de s'internationaliser. S'il veut perdurer, quel pourrait être l'avenir de ce mouvement? Le sociologue Albert Ogien livre son analyse.

Depuis le 31 mars, la place de la République est occupée chaque soir par le mouvement "Nuit debout", qui s'était réuni pour la première fois après une manifestation contre la loi Travail. Depuis, le mouvement s'est trouvé d'autres causes et a essaimé un peu partout en France. Mais après un mois et demi d'existence, aucune proposition n'a encore vu le jour. Le mouvement semble même s'essouffler: le nombre de participants a baissé et "Nuit debout" perd progressivement en popularité.

Après l'expulsion d'Alain Finkielkraut et les violences qui ont émaillé certains de ses rassemblements, le mouvement suscite même les moqueries de nombreux politiques de droite qui demandent son interdiction. Cinq ans après Occupy Wall Street aux Etats-Unis ou 15-M en Espagne, quel pourrait être l'avenir de ces "indignés" français? 

La place de la République, convergence des combats

Etudiants, précaires, chefs d'entreprises, retraités: "Nuit Debout", c'est autant de profils différents que de revendications. A l'origine, le mouvement est né de la mobilisation nationale contre la loi Travail. Mais le débat s'est rapidement élargi.

"La première revendication, c'est de pouvoir discuter, analyse Albert Ogien", sociologue et directeur de recherches au CNRS joint par BFMTV.com. "Mais globalement, toutes les protestations ont à voir avec le refus des politiques d'austérité. La loi El Khomri a été l'occasion pour que ces mécontentements s'expriment dans la rue. Et Nuit debout a été le prétexte pour exprimer ces différents malaises."

Selon lui, la place de la République est à l'image d'une bourse des luttes, où chacune d’entre elles porte ses propres revendications.

Des propositions concrètes?

La lutte contre le chômage, le statut des intermittents, la baisse des hauts revenus mais aussi la défense des sans-papiers, l'urgence climatique, les violences policières et le manque d'enseignants remplaçants dans les écoles sont autant de causes qui ont émergé dans les rangs de "Nuit debout". "Ecologie", "économie", "numérique", "féminismes" mais aussi "vocabulaire", "France Afrique", "Construire la grève générale" ainsi que "Temps libéré": pas moins de 80 commissions débattent quotidiennement. Mais en un mois et demi de discussions, aucune proposition concrète n'a émergé. Pas surprenant pour Albert Ogien.

"Il n'y aura pas de grande résolution qui sera prise à l'unanimité, cela irait à l'encontre de l'esprit de ce mouvement. Il n'y aura pas de consensus: le principe même de 'Nuit debout' est de laisser libre court à la pluralité des avis. C'est une parole libre, jamais réduite ni contrainte. Et une parole qui n'était jusqu'alors pas exprimée, que ce soient par les syndicats ou les partis politiques. Et c'est cela qui fait son originalité."

Vers une internationalisation?

  • Un début d'internationalisation pourrait être l'occasion de donner un nouveau souffle au mouvement, alors qu'un sondage Odoxa pour Le Parisien montrait que, alors qu'elles étaient 60% le mois dernier, seules 49% des personnes interrogées soutiennent "Nuit Debout". De même, pour 65% des sondés, il devrait rapidement s'essouffler. Le mouvement a ainsi appelé à une mobilisation internationale dimanche, sous le nom "Global debout". La journée coïncidait justement avec le cinquième anniversaire des "Indignés" espagnols. Mais l'appel a été peu entendu en Europe: environ 150 personnes se sont retrouvées à Bruxelles et une centaine de personnes se sont rassemblées à Berlin. A Paris, si des militants étrangers étaient bel et bien présents, la place de la République n'a attiré que 1.500 à 2.000 personnes, selon la police.

De nouveaux combats

La multitude de causes a engendré une grande variété d'actions: du blocage de fast-foods à l'occupation d'un théâtre, en passant par un "apéro chez Valls". Ces initiatives sont toutefois restées symboliques. Lors de la journée de mobilisation internationale dimanche, "Nuit debout" a décidé de faire bataille commune et de partir en guerre contre les marques "qui se comportent mal". En quête d'un second souffle, le mouvement citoyen a appelé à une "campagne globale pour identifier les sociétés qui se comportent le plus mal et proposer des alternatives". Avec cette opération baptisée "NOlist", des "actions concrètes" seront menées. Dans le viseur: Coca-Cola et McDonald's. En plus d'une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, "Nuit debout" entend viser les sites physiques des deux enseignes et pirater leurs sites web.

  • Un avenir politique?

La question de l'avenir politique de "Nuit debout" est posée mais pas encore tranchée. En Espagne, les Indignés ont mis plusieurs années avant de se traduire par Podemos. Dans le cas français, officiellement, personne ne dirige le mouvement qui bannit la hiérarchie et prône une organisation horizontale avec une assemblée citoyenne quotidienne. Mais pour Albert Ogien, l'avenir de "Nuit debout" ne passera pas par une représentation politique.

"Ce mouvement rend public un bouillonnement. Ce sont des moments où les gens se rencontrent, où ils apprennent à militer et renforcent dans leur lutte. Mais il n'a pas vocation à durer."

Selon lui, il s'agit avant tout de faire émerger des idées et bouger les lignes. Il voit même déjà une influence de "Nuit debout" dans la ténacité des frondeurs lors de la récente motion de censure. Un mouvement citoyen pour faire évoluer les mentalités: c'est également ce que considère le journaliste François Ruffin, réalisateur du documentaire Merci patron!, invité dimanche sur BFMTV. "Ce n'est pas parce que 'Nuit debout' s'épuiserait ou s'essoufflerait que ça n'a pas semé des graines."

Céline Hussonnois Alaya