BFMTV
Société

"Français arrogants" contre "Belges limite simplets", ce France-Belgique est plus qu’un match entre cousins

Le Belge Eden Hazard et le Français Olivier Giroud.

Le Belge Eden Hazard et le Français Olivier Giroud. - FRANCK FIFE, Odd ANDERSEN / AFP

La première demi-finale de la Coupe du monde, qui oppose mardi la France à la Belgique, met aux prises deux pays à la relation plus complexe qu’elle n’en a l’air.

Au mieux une cousinade. Au pire un match amical. Avouez que les qualificatifs qui entourent d'ordinaire les matchs entre la Belgique et la France collent assez peu à l’idée que l’on peut se faire d’une demi-finale de Coupe du monde. D’un côté, la rivalité sportive entre les deux pays est assez faible, au point que la présence de Thierry Henry dans le staff des Diables Rouges n’émeut pas grand-monde. De l’autre, les points de convergences sont nombreux: 620km de frontière commune, une même langue utilisée de chaque côté (avec le flamand et l’allemand en plus pour les Belges), sans parler de Johnny Hallyday. Tout cela, et bien d’autres choses encore, font de la relation entre les Belges et les Français un cocktail assez complexe.

Bien sûr, le fond de l’air est à la "proximité" et à la "camaraderie", reconnaît Winoc Coppens. Belge de naissance, ce directeur des services d’information (DSI) travaille en France depuis le début des années 1990. Il est bien placé pour savoir ce qu’il y a dans la tête des uns et des autres à l’évocation du caractère des voisins.

"Les Français pensent souvent que le Belge est naïf, un peu facile à piéger, limite bête ou simplet. Les Belges estiment que les Français se la racontent, qu’ils sont un peu trop sûrs d’eux. C’est d’ailleurs un peu ça notre force pour mardi, que les Français se voient déjà en finale, qu’ils se croient favoris parce qu’ils ne jouent 'que' la Belgique et pas le Brésil", sourit-il.

"Ce que les Belges pensent des Français en général est assez paradoxal"

Les blagues sur les Belges, il les supporte donc depuis toujours, ou presque. "J’ai un collègue qui me chambre depuis une semaine, mais c’est fait gentiment, reconnaît Winoc. Quand c’est fait comme ça, ça passe… Quelque part le Français ne chambre pas pour chambrer, il chambre pour avoir un retour. Quand tu as compris ça, ça se passe bien". Les Belges ont d’ailleurs eux aussi leur lot de vannes sur les Français. "Certaines blagues sur eux ne les font pas rire du tout, assure Mehdi Khelfat, journaliste français installé à Bruxelles depuis 14 ans pour y présenter la matinale radio de la RTBF. Mais ils en ont un paquet sur les Français en échange. Il y a celle-là par exemple: comment fait un Français pour se suicider? Il se tire une blague 2m au-dessus de sa tête dans son complexe de supériorité".

C’est sûrement un stéréotype, mais celui-là est assez ancré dans le cerveau de nos voisins. "Ce que les Belges pensent des Français en général est assez paradoxal. Ils en pensent du bien, mais sans vouloir l’assumer ou le dire, reprend Mehdi. Comme ils ont un complexe d’infériorité par rapport à la France, à l’histoire de France, à l’éloquence des Français, ils sont très admiratifs des Français mais ils ont du mal à l’accepter. Donc ce qu’ils pensent des Français, c’est qu’ils sont arrogants, qu’ils se la pètent, qu’ils parlent trop, qu’ils se sentent le centre du monde. Pour eux francophones dans un petit pays à côté, il y a une forme de petit complexe. Quand on vient du Nord de la France, pour eux on n’est pas des Français, on est des Belges de France. Par contre, ça peut être très compliqué d’arriver en Belgique pour y vivre quand on est Parisien".

"Quelque part, c’est aussi une force d’être un peu plus sûr de soi-même"

Et le foot est désormais un bon moyen de dissiper ce sentiment chez les Belges.

"Ils en ont marre d’être traités comme les petits d’à côté, reprend Mehdi. Pour la Coupe du monde, ils ont vraiment envie de passer pour le petit faible qui va bouffer le gros. Pour les Belges, c’est toujours compliqué d’être favoris, parce qu’ils sont ultra modestes, pas grandes gueules. Il y a un mot qu’on aime beaucoup utiliser en France et qu’eux n’utilisent jamais, c’est la fierté. A la radio, j’ai déjà eu l’occasion de dire 'il faut être fier de ça', et eux répondent 'non, ce n’est pas dans notre vocabulaire'. C’est une vraie grosse différence sociologique entre les Français et les Belges".

Sur ce thème du Français qui aurait une très haute estime de lui-même et de son pays, "j’ai un peu changé d’avis", tempère Winoc Coppens. "J’ai compris un peu la culture et d’où ça vient. Et quelque part, c’est aussi une force d’être un peu plus sûr de soi-même. D’y croire. Mais je ne pense pas que les Belges soient envieux. Moi je n’ai jamais pensé à devenir Français, alors que je pourrais. J’adore la France, c’est un super pays. Mais on a chacun nos spécificités et chacun nos façons de voir les choses. Et puis le Français est aussi extrême en tout: quand ça va bien, c’est la fête, et dès que ça commence à être moins bien, les critiques fusent vite".

"Dès que je prononçais mal un mot ou un nom propre, je me faisais latter"

Les critiques, comme les moqueries, s’attardent aussi régulièrement autour des accents des uns et des autres. "Le mien revient quand je bois un coup ou que je m’énerve au boulot, mais je ne me retiens pas de l’avoir, explique Winoc. Il fait un peu marrer les gens. Même si ça reste sympa, c’est parfois un peu une provocation", avoue-t-il dans un accent belge effectivement très léger. Celui de Mehdi est bizarrement beaucoup plus fort.

"Je baigne dedans, et c’est mon métier de leur parler le matin. Dès que je prononçais mal un mot flamand, ou un nom propre, je me faisais latter par toute la rédaction. Donc à un moment, j’ai essayé à ce niveau-là d’être aussi royaliste que le roi. C’est une sorte de mimétisme obligatoire. Si j’avais dit quatre-vingt-dix au lieu de nonante, j’aurais été viré. Ce sont des petits trucs auxquels ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux", explique le Français.

A ce stade, il faut quand même préciser que Mehdi assistera au match de Saint-Pétersbourg, et qu’il a décidé de soutenir… les coéquipiers d’Eden Hazard. "J’ai envie que la roue tourne. Et puis il y a un état d’esprit qui est vraiment l’antithèse de ce qu’on connait de la Belgique aujourd’hui. Réussir à trouver un langage commun c’est vraiment chouette. Rien que pour ça j’ai envie que la Belgique gagne et que ce soit une sorte d’électrochoc pour le pays. Après, si les Belges perdent, ils redoutent d’en entendre parler pendant 15 ans de la part des Français. Au fond, moi, j’ai une chance au grattage et une chance au tirage". "Je suis de culture et de nationalité belge, c’est mon pays. Donc jusqu’au bout j’y crois pour la Belgique, lui répond Winoc. Après, pour nous, et je pense que c’est partagé, l’air de rien, on se dit que s’il y a défaite ce seront les cousins qui passeront en finale. C’est vrai que quoi qu’il arrive, le résultat sera positif".

Antoine Maes