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Les poignets de participantes à un enterrement de vie de jeune fille, affublés de bracelets et de chouchous assortis.

Siana Lumos

"C'était la folie des grandeurs": baby showers, EVJF, gender reveal… Comment la surenchère des fêtes à l’américaine a gagné la France

Remises de diplômes, fête prénatale, enterrements de vie de célibataire... Une dizaine d'années a suffi pour qu'un éventail de fêtes importées des pays anglo-saxons séduise la jeunesse française. Ces nouveaux rites de passage, souvent instagrammables et très codifiés, ont pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux. Mais derrière l’ambiance festive se cache aussi une pression sociale et financière non négligeable, comme le racontent à BFMTV.com plusieurs Français.

Quand il a fallu organiser l'enterrement de vie de jeune fille de sa soeur cadette, en avril dernier, Marion* a tout de suite compris qu'elle allait devoir calmer les ardeurs des trois autres témoins de la future mariée. Quatre jours à Varsovie, Édimbourg, Bruges ou Londres avec spa, restaurant, striptease et panoplie de goodies? "Au début ça m'a fait très peur. Les propositions étaient plus rocambolesques les unes que les autres", râle cette Alsacienne de 33 ans.

"Je les écoutais parler et je voyais les billets qui défilaient sous mes yeux", plaisante la jeune femme, qui explique avoir dû canaliser sa soeur aînée car les premières estimations du budget tournaient autour de 700 euros par personne pour trois jours.

"Ça me paraissait démesuré, même en terme de timing". "C'était la folie des grandeurs et ça paraissait naturel à tout le monde de 'faire ça pour la mariée', elle méritait bien ça".

Le poids d'une nouvelle pression sociale

Les enterrements de vie de jeune fille et de garçon s’inscrivent dans une tradition européenne assez ancienne, mais connaissent un net regain de popularité en France ces dix dernières années. Depuis peu, ils ont même changé de dimension. Lisbonne, Barcelone, Berlin et même Marrakech... Depuis l'avènement des vols low-cost en Europe, beaucoup ne se contentent plus de quelques gages ou défilés humiliants en ville pour enterrer leur vie de célibataire: on n'hésite plus à changer de pays le temps d'un week-end prolongé.

Un groupe de jeunes femmes en train de trinquer lors d'un enterrement de vie de jeune fille.
Un groupe de jeunes femmes en train de trinquer lors d'un enterrement de vie de jeune fille. © Flickr - CC Commons - Doris Michel

À force d’écoute et de diplomatie, Marion se réjouit d'avoir réussi à ramener le groupe à la raison. Les témoins ont fini par tomber d’accord et convenir que tout le monde ne peut pas se permettre de dépenser plusieurs centaines d’euros pour trois jours. Elles ont donc opté pour un compromis chaleureux: spa, accrobranche, soirée raclette… Un week-end simple mais réussi dans un chalet des Vosges pour une somme plus raisonnable d'environ 200 euros chacune.

"Il y a une pression autour de cet évènement qui n'existait pas du tout il y a encore quelques temps", note tout de même Marion. "Si on n'a pas les moyens, on peut se sentir un peu mis de côté ou se sentir forcé de se plier aux règles par peur du regard des autres".

Une pression sociale que Pauline Bertrand connaît bien. Au mois d'avril l'année dernière, cette habitante de Trilport (Seine-et-Marne) s’est sentie évincée de l’EVJF de sa cousine, faute de pouvoir en assumer le coût. "J'ai senti un décalage tout de suite entre les autres organisatrices et moi", raconte Pauline, encore profondément agacée. "D'emblée, il était hors de question de se contenter d'un truc posé entre nous".

"Il fallait absolument faire les choses en grand et prendre l'avion. On partait sur 500 euros rien que pour le logement et l'avion. Elles n'ont rien voulu entendre, bien que je tente de leur expliquer que je venais tout juste de perdre mon emploi et que je n'arriverais sans doute pas à suivre si on faisait des plans sur la comète".

Toujours plus loin, toujours plus grand

Finalement, la jeune femme de 32 ans, qui se faisait une joie de célébrer l’événement avec sa cousine, n’a pas pu suivre le reste du groupe à Édimbourg, en Écosse. "On m’a clairement fait comprendre que si je ne pouvais pas payer, tant pis", confie-t-elle, encore blessée. Restée chez elle, elle a assisté à distance à l’avalanche de photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux. Depuis, elle admet qu’un lien s’est brisé avec sa cousine. Et le simple mot "EVJF" lui laisse un goût amer.

Un groupe de jeunes femmes en pleine séance photo lors d'un enterrement de vie de jeune fille.
Un groupe de jeunes femmes en pleine séance photo lors d'un enterrement de vie de jeune fille. © Flickr - CC Commons - Lou photo

Désormais au début de la belle saison, les vols Paris-Majorque au départ d'Orly ont des airs de colonie de vacances pour futurs mariés. Couronnes en plastique, écharpes "Bride to be" et t-shirts floqués assortis: fin avril à bord d'un vol low cost, Florian raconte que pas moins de six groupes - l’équivalent d’une soixantaine de passagers – étaient à bord du même avion direction les plages des Baléares pour célébrer un EVJF (enterrement de vie de jeune fille) ou un EVG (enterrement de vie de garçon).

Cet ingénieur parisien de 33 ans et ses douze comparses pensaient avoir mis le paquet en s'envolant à Majorque pour l'EVG de son cousin. Au programme: quatre jours au soleil dans une villa avec piscine, beach-volley, paddle et soirée dans un beach club... Un séjour de rêve pour la coquette somme de 900 euros par personne, à l'exception du futur marié - qui ne se doutait de rien, comme le veut la tradition.

Mais une fois dans l'avion, Florian réalise qu'ils sont loin d'être les seuls à avoir opté pour cette destination haut de gamme. "Je suis tombé des nues. J'avais l'impression qu'on organisait quelque chose d'extraordinaire en allant aussi loin... mais en fait je réalise c'est devenu plutôt quelconque de faire ça", s'étonne encore Florian, qui précise que "le personnel de bord, lui, semblait avoir l'habitude".

Une brochette de nouvelles fêtes made in USA

De la même façon, un tas de célébrations venues des États-Unis gagnent en popularité en France ces dernières années: les baby showers - fêtes prénatales-, les gender reveal parties - où l'on dévoile de façon scénarisée le sexe du futur bébé - ou encore les remises de diplômes à l'Américaine.

Ces rituels, portés par les films, séries et les réseaux sociaux, ont conquis une partie des jeunes adultes de France et d'Europe, tandis qu'à l’inverse, certaines traditions plus anciennes comme les pendaisons de crémaillère, la Sainte-Catherine ou la Saint-Nicolas tendent à disparaître.

Rose et bleu... Pinterest regorge d'images d'inspiration pour les "gender reveal parties".
Rose et bleu... Pinterest regorge d'images d'inspiration pour les "gender reveal parties". © Pinterest

"On assiste à une véritable spectacularisation de l’intime", observe Abdu Gnaba, docteur en anthropologie sociale et fondateur de Sociolab, une société d'études sur les sciences sociales. Selon lui, ces fêtes suivent "des codes très précis, que ce soit au niveau de la déco, des couleurs, des hashtags largement diffusés en ligne. "Elles deviennent des événements-produit, avec une logique de consommation, souvent pris en charge par des prestataires".

"Ces célébrations viennent aussi recréer du rite là où il n’y en a plus, ou plus assez", explique Abdu Gnaba. "Elles permettent de structurer les étapes de la vie dans un monde où les traditions s’effacent et de faire groupe, même autour de moments autrefois privés. Et le tout s’inscrit dans des industries bien établies: celle du mariage, de la parentalité mais aussi du bien-être".

L'envol d'un nouveau marché florissant

L'essor de ces nouvelles fêtes a donc donné naissance à un nouveau marché florissant et à de nouveaux métiers. Marie Duperray s’est ainsi lancée dans l’organisation d’événements pour particuliers dans la région lyonnaise il y a quatre ans. Depuis, son carnet de commandes ne cesse de se remplir: elle planche déjà sur les plannings de 2026 et 2027. Et elle l’assure, les clients sont de plus en plus nombreux à mettre la main au portefeuille pour vivre des moments marquants et instagrammables.

Ainsi, pour organiser une baby shower ou une gender reveal party, Marie Duperray propose des forfaits allant de 800 à plus de 4.000 euros. Magicien, spectacles, pièces montées, arches de ballons… L’enveloppe peut même grimper jusqu’à 15 ou 20.000 euros pour des événements comme les anniversaires ou les baptêmes, laïcs ou religieux.

"C'est fascinant car il y a encore 15 ans, certaines ne faisaient pas du tout partie du paysage en France", rappelle Anaïs Le Fèvre-Berthelot, maîtresse de conférences en études américaines à l’université Rennes 2. Selon elle, des séries et comédies romantiques telles que Very Bad Trip, Bridesmaids, Bachelorette, Sex and the City ou encore Friends ont largement contribué à ancrer ces traditions dans l’imaginaire collectif.

"C'est pour ça qu'aujourd'hui pour les nouvelles générations, ce sont devenus des moments clés, des rites de passage obligés qui sont attendus socialement", poursuit la spécialiste, qui ne peut pas s'empêcher d'y voir "une espèce de repli politiquement conservateur."

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV