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Santé

Un an et demi après, le deuil toujours "impossible" des morts du Covid-19

Une soignante s'occupe d'un patient atteint du Covid-19 à l'unité de soins intensif de l'hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, le 29 août 2021 en Martinique

Une soignante s'occupe d'un patient atteint du Covid-19 à l'unité de soins intensif de l'hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, le 29 août 2021 en Martinique - ALAIN JOCARD © 2019 AFP

Depuis 18 mois, le Covid-19 bouleverse le monde. En France, 117.000 personnes ont déjà perdu la vie à cause de l'épidémie. Les proches de ces dernières prennent désormais la parole pour exprimer leur détresse.

La vie a repris sans eux. Un an et demi après la première vague de Covid-19, des personnes endeuillées rapportent leur impossibilité de faire leur deuil et leur sentiment d'abandon. "Le deuil n'est toujours pas fait et c'est normal vu les conditions dans lesquelles on a perdu nos défunts", expose à l'AFP Lionel Petitpas, président de l'association 'Victimes du Covid-19'. "Mon épouse est partie en ambulance, et je ne l'ai jamais revue", souffle le retraité de 71 ans, qui a perdu sa femme, Joëlle, en mars 2020.

Tragédies intimes

Nombreux sont ceux qui, comme lui, n'ont pas pu accompagner leur proche, voir le corps, toucher le cercueil ou assister aux funérailles. Autant d'éléments pourtant indispensables au "travail de trépas" comme le nomme la socio-anthropologue Catherine Le Grand-Sébille, et qui, s'ils sont empêchés, peuvent devenir traumatiques. Depuis le printemps 2020, les personnes endeuillées restent "complètement pétries et de douleur, et de regrets", constate l'universitaire qui a interrogé de nombreuses familles et associations de proches. "Il y a une partie de moi qui est restée au 4 avril 2020 (...) et qui n'avance pas", confie ainsi Corine Maysounabe, 58 ans, dont le père est décédé du Covid.

Un sentiment renforcé par la poursuite de l'épidémie, qui a entraîné "un cumul d'empêchements et de difficultés", note Catherine Le Grand-Sébille. "Au bout de 19 mois, on vient enfin d'enterrer mon père au Portugal", rapporte Sandra Rodrigues, 48 ans. En raison de la fermeture des frontières, son père Joaquim, mort du Covid alors qu'il était en visite en France, a dû être enterré dans une fosse commune, près de Lyon. "On a réussi après trois tentatives à le rapatrier et à l'enterrer dignement le 2 octobre 2021", dans le village où se trouve le tombeau familial.

No Man's Land

Mais les rebonds épidémiques ont également entravé la tenue de cérémonies commémoratives. "Mon papa, (...) il n'a pas eu de Toussaint car il y avait le confinement, donc cela va être sa première Toussaint cette année", explique Léocadie Mendez, éprouvée par le sentiment de s'être fait voler la mort de son père. "On ne s'accoutume pas à ne rien faire pour nos morts", souligne Catherine Le Grand-Sébille, qui souligne l'importance pour les personnes n'ayant pas pu réaliser les rituels classiques de procéder à des "rituels différés". "La Toussaint 2021 va être l'occasion de faire dire des messes, de se réunir", poursuit-elle.

Mais pas pour tout le monde. Leila S. qui a perdu son père de 72 ans, ne s'y risquera pas. "Même si je suis vaccinée, je suis dans une attention permanente". Et ils sont nombreux, estime Marie-Frédérique Bacqué, professeure de psychopathologie clinique à l'université de Strasbourg, en charge de l'étude en cours 'Covideuil'. Parmi les personnes interrogées, "beaucoup ont répondu qu'ils le souhaitaient, mais dans les faits ils ne l'ont pas fait". "J'ai l'impression que les personnes sont dans une espèce de no mans land", analyse-t-elle: "elles devraient pouvoir se réunir de nouveau, mais c'est si difficile à faire". De sorte qu'il faudrait réussir à les "stimuler" pour y parvenir.

Un besoin de reconnaissance

Interrogés, des proches de défunt expliquent se sentir abandonnés et avoir besoin de "reconnaissance". Plusieurs pays comme l'Allemagne, l'Espagne, les Etats-Unis ou la Chine ont organisé des hommages nationaux aux victimes de la pandémie sous forme de minute de silence, cérémonies ou journée de deuil. "La société a envie de passer à autre chose, mais on ne pourra pas se priver de regarder notre histoire", pointe Lionel Petitpas, qui milite pour la tenue d'un tel événement en France, où plus de 117.000 personnes sont mortes du Covid.

"Une commémoration nationale, cela ne fait pas le deuil, mais cela nous permettrait de franchir une étape", assure-t-il, la sidération des premiers instants ayant cédé la place à une "immense colère". Le retraité a écrit près de "400 lettres" aux élus et a été reçu par le cabinet du Premier ministre, mais ses dernières relances restent lettre morte.

Toutefois, l'exécutif envisage de rendre un hommage national aux victimes de l'épidémie, évoquant l'horizon de mars 2020 d'après France Inter vendredi.

R.V. avec AFP