
"Médicament miracle" pour certains, risques réels pour d'autres: que sait-on de l'Ozempic et de ses effets?
Un même médicament pour contrôler le diabète, mais aussi perdre du poids, réduire les risques cardiovasculaires, protéger de la maladie d'Alzheimer, prévenir certains cancers? Le sémaglutide, substance active que l'on retrouve dans des médicaments antidiabétiques, est annoncé comme un traitement miracle.
Preuve en sont les nombreux articles qui vantent, dans le monde entier, les mérites de ce médicament. Concrètement, le sémaglutide fait partie des médicaments qui imitent une hormone naturellement produite par le corps qui permet de contrôler la glycémie. Mais il est surveillé par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour certains de ses effets indésirables qui interrogent.
"C'est assez efficace pour le traitement du diabète de type 2", pointe pour BFMTV.com Bruno Vergès, chef du service d'endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques au CHU de Dijon.
En France, environ 600.000 patients ont reçu un médicament de ce genre entre 2021 et 2022, selon les données de l'ANSM. Parmi eux, 215.000 patients ont reçu de l'Ozempic, un antidiabétique injectable produit par le laboratoire danois Novo Nordisk et autorisé depuis 2019. Un médicament qui connaît actuellement d'importantes tensions d'approvisionnement.
"C'est un traitement au long cours qui permet souvent d'alléger les autres traitements du diabète", poursuit Bruno Vergès, également référent diabète et métabolisme de la Société française d'endocrinologie (SFE). "Chez certains patients, il arrive que la prise d'insuline soit diminuée, voire supprimée."
Un autre médicament produit par le même laboratoire, le Wegovy, mais non réservé aux diabétiques, pourrait être prochainement mis sur le marché en France. Il a bénéficié d'une autorisation temporaire entre 2022 et 2023 et réservé à 7000 patients dans le cadre de la prise en charge de l'obésité.
Car un autre effet important du sémaglutide, c'est de faire maigrir -ce qui s'explique par le ralentissement de la vidange de l'estomac. "Il a été observé une perte de poids de 10 à 20%, ce qui est conséquent", explique à BFMTV.com Séverine Carré-Pétraud, directrice éditoriale de la revue médicale Prescrire. Même parfois davantage.
De la taille 48 au 38
Stéphanie Coupigny, 44 ans, a perdu 45 kilos en un an et demi de traitement. "Il y a des personnes qui ne me reconnaissent pas dans la rue", confie-t-elle à BFMTV.com. Elle est ainsi passée, en taille de vêtement, du 48 au 38.
"Ma vie a complètement changé."
Tout commence l'année dernière quand cette habitante du Pas-de-Calais est hospitalisée en urgence après un malaise. Un diabète de type 2 est découvert. Dans la foulée, elle commence les injections d'Ozempic. Elle change de régime alimentaire du jour au lendemain et, rapidement, les kilos disparaissent. "Je n'ai plus honte de mon corps, je porte même des vêtements moulants, chose qui était impossible avant", précise la quadragénaire.
Une transformation physique inespérée pour Stéphanie Coupigny qui affirme avoir été en surpoids "toute sa vie". En obésité morbide, même (IMC supérieur à 40). Elle a bien tenté à plusieurs reprises de perdre du poids, mais en s'affamant et pour finalement reprendre aussi vite les kilos perdus.
Aujourd'hui, plus une seule goutte de soda -"ça me dégoûte"- plus de produits sucrés -"je fais très attention"- ni de féculents -"dès que j'en mange, j'ai l'impression d'avoir une boule dans l'estomac". Mais elle reconnaît que l'Ozempic y est aussi pour beaucoup. "Il y a vraiment un effet coupe-faim, une sensation de satiété. Je n'ai plus les fringales ou les pulsions que j'avais avant."
Anne-Laure Borel, professeure des universités-praticienne hospitalière en nutrition au sein du Centre spécialisé de l'obésité du CHU Grenoble Alpes, prend quotidiennement en charge des patients souffrant d'obésité. Pour cette spécialiste, ce traitement est une bonne alternative à la chirurgie bariatrique (ou chirurgie de l'obésité qui modifie l'anatomie du système digestif), "pas toujours bien tolérée", remarque-t-elle pour BFMTV.com.
"L'Ozempic fait partie d'une famille de médicaments que l'on connaît bien, on a du recul important en vie réelle et une bonne appréciation des effets. C'est un traitement utile pour normaliser la glycémie et perdre du poids."
Moins de risques d'AVC?
Un médicament qui ferait perdre du poids sans effort, de quoi emballer les réseaux sociaux où le produit rencontre un franc succès. Anonymes et influenceurs se filment ainsi en train de s'injecter le produit et affichent leur impressionnante transformation physique en quelques semaines. Elon Musk, le patron de SpaceX et Tesla, s'en est lui-même vanté sur son réseau social X.
Il faut cependant préciser qu'en France, l'Ozempic n'a d'autorisation de mise sur le marché (AMM) que pour les patients diabétiques. L'ANSM rappelle ainsi que ce médicament "doit être prescrit uniquement dans le diabète de type 2 insuffisamment contrôlé".
Autre promesse de ce type de médicament: diminuer les accidents cardio-vasculaires. "Les patients sous Ozempic ont moins d'infarctus et d'AVC", assure Bruno Vergès, également chercheur et chef d'équipe à l'Inserm sur le métabolisme. Une baisse de l'ordre de 20 à 25% chez les personnes souffrant de surpoids ou d'obésité, précise-t-il, évoquant également la diminution de certains cancers, "comme le cancer du côlon."
Bruno Vergès évoque par ailleurs "de premières études" qui semblent montrer "des effets bénéfiques potentiels" sur Alzheimer et Parkinson, tout en ajoutant que "ce n'est pas un traitement révolutionnaire".
"L'Ozempic présente un intérêt médical certain. Mais parler de traitement miracle, c'est excessif."
Pour Séverine Carré-Pétraud, les effets indirects bénéfiques du sémaglutide n'auraient rien de miraculeux. "Avec une telle perte de poids, il est tout à fait logique que les risques cardiovasculaires diminuent."
Une analyse que partage Cédric Moro, directeur de recherche à l'Inserm, spécialiste de physiopathologie et des maladies du métabolisme. "Tous les effets positifs évoqués sont des complications majeures de l'obésité", remarque-t-il pour BFMTV.com. Il met ainsi en garde contre une force de vente "assez appuyée" du produit.
"Si on a une perte de poids importante, jusqu'à 25% dans certains cas, il est tout à fait logique que les risques de complications de l'obésité diminuent également."
Des effets indésirables
Séverine Carré-Pétraud, de la revue Prescrire, va même plus loin et dénonce une forme de "spéculation" sur ces produits. "Il y a de gros enjeux autour de l'obésité, comme autour de la maladie d'Alzheimer. Les attentes sont fortes, mais il faut rester prudent." Elle nuance également les bénéfices sur les risques cardiovasculaires.
"Il y a certes une baisse de la fréquence des accidents cardiovasculaires, mais d'après ce qu'on relève, c'est de l'ordre de 1,5%. Ce qui reste tout de même intéressant. Mais sans baisse démontrée de la mortalité" (revue Prescrire, février 2024).
En revanche, certains effets indésirables sont avérés. Sur les réseaux sociaux et les groupes consacrés au sujet, c'est d'ailleurs le point d'inquiétude qui revient le plus souvent. Parmi les effets indésirables "très fréquents", selon le dictionnaire médical Vidal: nausées, diarrhées et hypoglycémie. Des effets indésirables "fréquents" sont également listés: "diminution de l'appétit, vertiges, vomissements, douleur abdominale, constipation, digestion difficile, brûlure d'estomac, reflux gastro-œsophagien, ballonnements, rots, fatigue, calcul biliaire, perte de poids".
"Chez la plupart des patients, les effets disparaissent après plusieurs semaines", note le médecin Bruno Vergès. "Mais chez certains, ces effets persistent. Ce qui pousse environ 6% des patients (17% dans une autre étude citée par la revue Prescrire, NDLR) à arrêter le traitement".
Des effets indésirables qui s'expliquent par le principe même du sémaglutide: le ralentissement de la vidange de l'estomac. Le Vidal signale ainsi le risque d'interactions de l'Ozempic avec d'autres médicaments. L'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé belge a notamment évoqué le cas de grossesses involontaires chez des femmes qui prenaient un contraceptif oral.
Parmi les effets peu fréquents (moins de un patient sur dix): altération du goût, augmentation du rythme cardiaque, pancréatite. D'autres effets sont également évoqués: obstruction de l'intestin, réaction allergique. L'ANSM a ainsi alerté sur les "effets indésirables potentiellement graves" de ce médicament.
"Si j'avais continué à en prendre, je ne serais plus là"
L'agence a ainsi mis en place un comité scientifique temporaire et un programme d'études de pharmaco-épidémiologie sur ces effets indésirables graves va ainsi être lancé. L'ANSM prend l'affaire au sérieux et estime que lorsque les tensions d'approvisionnement prendront fin, "un plus grand nombre de patients pourront avoir accès aux traitements, ce qui pourrait entraîner une nette augmentation des cas d'effets indésirables graves".
Parmi ces effets qui vont faire l'objet d'une surveillance particulière: pancréatite, occlusion intestinale, gastroparésie (un trouble qui fait que l'estomac se vide trop lentement) mais aussi "la possibilité d'un risque accru d'idées suicidaires", ainsi que les effets indésirables à long terme, "actuellement non-connus ou très rares", comme le risque de cancer de la thyroïde ou de cancer gastro-intestinaux.
Une surveillance "absolument nécessaire qu'il s'agisse de l'Ozempic ou de tout autre médicament", appuie la professeure des universités Anne-Laure Borel, "compte tenu des précédents avec le Mediator (un médicament indiqué dans le traitement du diabète de type 2 qui a causé chez des milliers de peronnes pathologies graves et décès, NDLR) ou le rimonabant" (un médicament anorexigène contre l'obésité retiré du marché, NDLR). Mais elle estime que les éléments dont elle dispose sur le sémaglutide sont "rassurants jusqu'à présent et même encourageants".
Des effets indésirables que Taniela, 58 ans, a connus. Il y a un an, son médecin lui prescrit de l'Ozempic pour traiter son diabète de type 2. "À partir du moment où j'ai commencé le traitement, ça a tout déréglé", témoigne-t-elle pour BFMTV.com.
D'abord des maux de ventre, perte d'appétit, constipation. "J'avais tout le temps l'impression d'avoir une pierre dans l'estomac", se souvient cette cuisinière de métier. Elle perd 40 kilos, effet qui n'était pas recherché dans son cas.
Mais surtout, des symptômes plus graves apparaissent: vertiges, problèmes de thyroïde (elle souffre d'hypothyroïdie et prend un traitement quotidien), de foie, de pancréas et des troubles cardiaques. Elle qui souffre d'hypertension voit son rythme cardiaque osciller de 30 (ce qui est très bas) à 180 battements par minute (trop élevé pour son âge). Elle est hospitalisée.
"Pour mon médecin, c'était clairement lié à l'Ozempic."
Le traitement est arrêté. Rapidement, les symptômes de Taniela disparaissent. Elle se dit aujourd'hui convaincue que les choses auraient pu dégénérer de manière bien plus dramatique. "Je crois que si j'avais continué à en prendre, je ne serais plus là."
"Il y a beaucoup d'incertitudes sur ce produit"
En 2023, une étude publiée dans le reconnu Journal of the American Medical Association a conclu que l'utilisation de ce type de médicament était bel et bien associée à un risque "accru" de pancréatite, d'occlusion intestinale et de gastroparésie. "Ce qui est alarmant, c'est ce que ce sont des effets indésirables certes rares, mais graves", pointe le chercheur Cédric Moro.
Isabelle, une femme de 51 ans, a récemment raconté au Parisien le calvaire qu'elle dit vivre depuis sa prise d'Ozempic. Même après l'arrêt du traitement, elle assure continuer de souffrir de gastroparésie et devait d'ailleurs se faire opérer afin de soulager ses symptômes.
Pour Cédric Moro, ces molécules restent encore largement méconnues. "On manque de preuves scientifiques tangibles sur les effets propres de ce traitement." Il regrette le peu d'études sur les effets indirects du sémaglutide. "Pour le moment, on n'a pas assez de recul."
Précautions similaires pour Séverine Carré-Pétraud, de la revue Prescrire, qui rappelle que le profil des effets indésirables sur le long terme reste inconnu. "Pour l'instant, il y a beaucoup d'incertitudes sur ce produit et les risques sont encore mal cernés."
"Les effets indésirables à vingt ou trente ans, on ne les connaît pas."
Ce traitement, en principe réservé aux personnes diabétiques, est pourtant parfois prescrit aux non diabétiques (2185 bénéficiaires hors affection de longue durée diabète entre octobre 2021 et septembre 2022, selon l'Assurance maladie). Soit 1,4% des personnes utilisant l'Ozempic considérées en mésusage. Une pratique que l'ANSM condamne. Et une prise de risque "disproportionnée pour quelques kilos à perdre", prévient Séverine Carré-Pétraud. "C'est une exposition inutile à un danger."
"La banalisation de l'utilisation de ce type de médicament incite à la prudence. Pour l'instant, on ne connaît pas de médicament efficace et sans danger pour perdre du poids."
Anne-Laure Borel, du Centre spécialisé de l'obésité de Grenoble, nuance cette notion de mésusage. "Le vrai mésusage concerne les personnes qui ne souffrent ni de diabète, ni d'obésité et qui arrivent à se procurer de l'Ozempic et à s'en injecter, de manière sauvage, sans indication ni aucun accompagnement médical."
Car pour cette spécialiste, ce médicament ne peut être pris seul sans équipe pluridisciplinaire et sans modifier profondément les habitudes de vie et alimentaires. Mais elle l'assure: "L'Ozempic comme le Wegovy sont tout à fait adaptés pour lutter contre l'obésité et les complications liées à l'obésité".
"Je me suis vue devenir folle"
Adèle, une Niçoise de 42 ans, regrette quant à elle d'avoir pris de l'Ozempic. Elle n'est pas diabétique, mais souffre d'obésité "depuis toujours". Après l'échec de deux ballons gastriques et d'une sleeve endoscopique -un geste chirurgical qui permet de réduire le volume de l'estomac- qui ne lui ont pas fait perdre de poids, son médecin lui propose de prendre de l'Ozempic.
"Je savais que ce produit s'adressait aux diabétiques mais on m'a dit qu'il ne fallait pas que je m'inquiète", se rappelle-t-elle pour BFMTV.com. "On m'a répondu que les seuls effets indésirables seraient des nausées et des maux de ventre. Et qu'avec le temps, ça se tasserait."
Dès le lendemain de sa première injection, "j'ai été malade comme un chien", confie Adèle. Nausées en continu, soif excessive, sècheresse cutanée et fatigue intense. Au bout d'un mois, bien que les symptômes n'aient pas disparu, la dose est augmentée. "Quand vous êtes gros et désespéré, vous êtes prêt à tout", se justifie la quadragénaire.
"Je me suis piquée le jeudi, le samedi, je me suis vue devenir folle."
Elle évoque une cascade d'effets indésirables: anxiété, crises d'angoisse, insomnies, incapacité à rester assise, troubles de l'élocution et pertes de mémoire. "On me disait quelque chose, un quart d'heure après je l'avais oubliée."
Assistante dentaire de métier, Adèle raconte qu'un matin, elle se retrouve dans l'incapacité de faire fonctionner l'équipement qui sert à stériliser, une machine qu'elle manipule quotidiennement depuis des années. "Je ne savais plus. Comme si j'étais en panne."
Après quatre mois de traitement, elle arrête de s'injecter le produit. Mais il faudra encore trois mois pour que les symptômes disparaissent. "Ce que j'ai vécu, je ne le souhaite à personne. On joue aux apprentis sorciers", estime-t-elle. Difficile d'attribuer avec certitude ces effets indésirables au traitement, remarque le chercheur Cédric Moro. Mais il insiste: "Le médicament miracle, ça n'existe pas."