BFMTV
Les troubles du spectre autistique (TSA) sans déficit intellectuel sont souvent plus tardivement repérés.

PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

TÉMOIGNAGES. "J'ai pu mettre un mot sur ma différence": ils ont été diagnostiqués autistes à l'âge adulte

Ils ont passé leur vie à se sentir différents, en décalage, pour finalement apprendre à l'âge adulte que cette différence avait un nom: un trouble du spectre de l'autisme.

"C'est une chape qui me tombe sur la tête." Il y a deux ans, Yannick Felix a appris qu'il était autiste. Cet homme de 55 ans venait de reprendre une supérette avec son épouse dans un village de Corrèze. Mais au bout de quinze jours derrière la caisse, rien ne va plus. "Le bruit, la lumière, les clients... Je suis devenu très énervé, stressé, extrêmement fatigué", se souvient-il.

De tests en rendez-vous médicaux, comme il le raconte dans son livre Toi, t'es autiste? le "coup de tonnerre" tombe. Mais passé le choc, ce diagnostic met pourtant un mot et une explication sur sa différence. "Tout s'est illuminé", raconte-t-il.

"Trop de trucs qui clochent"

Comme lui, environ 700.000 personnes sont concernées par les troubles du spectre de l'autisme (TSA) en France, soit environ une personne sur 100. Pour rappel, les TSA ne sont pas une maladie, mais résultent d'anomalies du neurodéveloppement. Ils apparaissent au cours de la petite enfance puis persistent à l'âge adulte, détaille l'Inserm. On ne devient donc pas autiste, on l'est de naissance.

Autisme: une prise en charge encore imparfaite
Autisme: une prise en charge encore imparfaite
20:32

"Il y a autant de TSA que de personnes TSA", résume Charlotte Renaux, psychologue spécialisée en analyse expérimentale et appliquée du comportement au Centre Asperger aide France à Alfortville (Val-de-Marne). "Le spectre est très large." Il va du TSA dit sévère avec déficience intellectuelle, parfois non verbal, au TSA modéré sans déficience intellectuelle jusqu'au TSA léger, aussi appelé autisme à haut niveau de fonctionnement - dont le syndrome d'Asperger fait partie - souvent associé à un QI élevé.

L'autisme n'est donc pas systématiquement associé à un retard intellectuel. "Le syndrome d'Asperger, par exemple, est un TSA associé à un très bon développement intellectuel", précise encore l'Inserm. Le patron de Tesla Elon Musk et la militante écologiste Greta Thunberg ont publiquement révélé être autistes Asperger.

Ces TSA sans déficit intellectuel sont souvent plus tardivement repérés. Sylvie Seksek, 56 ans, a été diagnostiquée il y a cinq ans. "Je n'avais jamais soupçonné quoi que ce soit, je pensais que tout le monde fonctionnait comme moi", explique-t-elle. Mais "trop de trucs qui clochent", dont son instabilité professionnelle - elle qui a connu mille métiers - l'ont poussée à consulter un psychiatre.

D'autres découvrent leur TSA à l'occasion du diagnostic de leur enfant: si l'origine de l'autisme est multifactorielle, elle est largement génétique. Nathalie, enseignante de 47 ans, a été diagnostiquée en juillet, dans la foulée de son fils. "Je n'aurais jamais pensé que j'étais autiste", confie-t-elle. Mais en y regardant de plus près, il y avait bien quelques indices. Comme son hyperacousie (une hypersensibilité au bruit), son hypersensibilité et ses "gaffes".

Une "suradaptation permanente"

Les hommes sont aujourd'hui plus fréquemment diagnostiqués - quatre garçons pour une fille. Mais chez les femmes, les TSA sont souvent plus difficiles à dépister, notamment en raison des stratégies que ces dernières mettent en place, souvent inconsciemment, pour se fondre dans la masse.

Louise*, une infirmière de 36 ans, a été suivie pendant dix ans par un psychiatre pour des problèmes de harcèlement au travail et de burn-out sans que son TSA ne soit détecté. "En remontant le fil de ma vie, on s'est finalement aperçu qu'il y avait eu des couacs qui étaient passés inaperçus", explique-t-elle. Comme son intolérance au changement ou ses intérêts envahissants - "quand j'ai appris le tricot, je tricotais des nuits entières, j'oubliais tout le reste, ça m'obnubilait complètement".

Environ 700.000 personnes sont concernées par les troubles du spectre de l'autisme (TSA) en France, soit environ une personne sur 100.
Environ 700.000 personnes sont concernées par les troubles du spectre de l'autisme (TSA) en France, soit environ une personne sur 100. © PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Masquer ses particularités, c'est ce qu'a toujours fait Nella*, 43 ans. Elle qui a longtemps travaillé dans le domaine culturel assure avoir "passé sa vie" à s'adapter. "Mais on ne sait pas qu'on a camouflé pendant des années."

"Je lutte contre ma nature", livre Eric, un enseignant à la retraite de 63 ans qui a découvert son TSA il y a quelques années. "Je sais qu'il ne faut pas, par exemple, rester assis tout seul sur une chaise pour ne pas choquer, ne pas paraître trop extraterrestre ou inconvenant." Il décrit une "suradaptation permanente" que bien des porteurs de TSA partagent.

Si l'expression des symptômes de l'autisme est très variable d'une personne à l'autre, rappelle l'Institut Pasteur, certains traits sont courants. Comme les troubles du comportement: comportements répétitifs, intérêts restreints, réactions sensorielles inhabituelles. Yannick Felix fait par exemple du flapping - il bat des mains rapidement. "À 55 ans, ça peut paraître bizarre." Alors il essaie de se cacher quand il en ressent le besoin.

"Si je devais vraiment être comme je suis, plus personne ne me parlerait", assure-t-il.

Beaucoup évoquent leur manque de flexibilité mais aussi leur aversion pour les imprévus. Plusieurs se disent incapables d'ouvrir au facteur qui sonne à la porte ou à la connaissance qui passe à l'improviste. D'autres font part de leur besoin de rituels, d'organisation - toujours de la même manière. Qu'il s'agisse de vider le lave-vaisselle, de la routine du matin, de l'ordre pour faire les courses ou de la place de la tasse de thé.

"Je n'ai jamais compris les autres"

Concrètement, les TSA sont associés à des altérations dans les interactions sociales. Ce sont des difficultés pour comprendre les intentions, identifier les émotions, déchiffrer les expressions... Des difficultés démultipliées dès qu'il s'agit de communication non verbale, de non-dit, de sous-entendu ou de second degré.

"Ce qu'un enfant apprend par imprégnation et imitation, chez un autiste, cet apprentissage naturel ne se fait pas", détaille Danièle Langloys, présidente de l'association Autisme France.

"Si j'ai un rendez-vous, je me prépare mentalement à l'avance, j'anticipe les questions et les réponses", témoigne Lou, 31 ans, diagnostiquée il y a six ans. "Rien dans la communication ne m'est inné."

C'est souvent dans les petites conversations informelles que ça coince. Nombre de témoins interrogés se disent ainsi plus à l'aise dans les sujets profonds, philosophiques, scientifiques, voire métaphysiques, que dans le bavardage social qui les déstabilise totalement. "Je n'arrive jamais à m'insérer dans ce genre de discussion, je ne sais pas où est le fil conducteur", confesse Eric. "Alors je fais celui qui écoute et je souris."

"Il y a toujours eu un décalage, je n'ai jamais compris les autres", admet Esther Borie, 37 ans, une ancienne saisonnière qui fabrique dorénavant des marionnettes, diagnostiquée il y a sept ans. "Quand quelqu'un faisait une blague, je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas non plus les limites des gens, ce qui m'a fait me retrouver dans des situations maladroites."

Beaucoup expliquent avoir de grandes difficultés à nouer et entretenir des amitiés. "Depuis la maternelle, je n'ai jamais réussi à me faire des amis", raconte Sofia, une traductrice de 34 ans diagnostiquée en décembre dernier. "J'ai toujours été à côté de la plaque."

"Déni" ou "libération"

L'annonce du diagnostic n'est pas toujours facile à accepter. Car le mot fait peur. "Au début, j'étais dans le déni, je refusais", se remémore Laurie, diagnostiquée il y a quatre ans. Je me disais que ce n'était pas possible." Elle reconnaît avoir eu "beaucoup de préjugés sur l'autisme".

"Pour moi, un autiste, c'était quelqu'un qui se tapait la tête contre les murs ou alors Rain Man (le personnage autiste du film du même nom, NDLR). Et moi, je ne correspondais à aucun des deux."

Le choc passé, le diagnostic fait toutefois souvent sens. Pour Marlène Lou Dit Athian, formatrice en langue des signes de 51 ans, diagnostiquée à 47, "ça n'a pas été une surprise", mais "presque une libération". "C'est comme si je l'avais toujours su", abonde Sofia.

Lou se rappelle aussi avoir "toujours eu le sentiment" qu'elle n'était "pas normale", qu'elle était "le vilain petit canard". "J'ai pu mettre un mot sur ma différence." Un mot qui lui permet aussi d'expliquer aux autres qu'elle ne fait "pas la comédie", "que ce n'est pas de la mauvaise volonté de ma part". D'autant que le diagnostic permet d'obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé qui donne droit à des aménagements de travail, rappelle la Maison de l'autisme.

Beaucoup de personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA) disent avoir de grandes difficultés à nouer et entretenir des amitiés.
Beaucoup de personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA) disent avoir de grandes difficultés à nouer et entretenir des amitiés. © PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Tous racontent avoir ensuite refait le film de leur vie à l'aune du TSA. "C'est très perturbant", explique Sofia. "À mon âge, on est censé avoir une idée précise de qui on est. Là, ça remodèle tout."

"Ça donne un éclairage à tout un tas de comportements qui ont toujours été considérés comme étonnants", estime Marc, un statisticien de 60 ans diagnostiqué alors qu'il en avait 48. Comme sa passion pour l'affaire Dreyfus depuis ses 12 ans, le fait qu'il ne supporte pas être touché ni même effleuré dans les transports en commun ou encore qu'il faille impérativement que le volume de la radio soit réglé sur un chiffre pair.

Sandrine, a découvert être porteuse d'un TSA en décembre, à 38 ans. "Ce diagnostic a été la dernière pièce qui m'a permis de tout rassembler et de reconstituer le puzzle de ma vie" confie cette dentiste, qui a eu pendant des années "l'impression d'être folle".

"C'est un gâchis immense"

"On aurait pu le savoir plus tôt", regrette Virginie, 51 ans. D'autant qu'elle a été diagnostiquée agoraphobe à tort à l'âge de 20 ans. Réaction similaire pour Céline, une intermittente du spectacle de 49 ans, "soulagée mais aussi abattue." "Abattue parce que j'ai perdu près de cinquante ans de ma vie sans me comprendre", estime-t-elle. "Mais soulagée parce que je ne vais plus m'imposer un carcan qui n'est pas pour moi."

Le drame, considère Danièle Langloys, de l'association Autisme France, ce sont ces dépistages tardifs.

"On a laissé ces personnes en baver toute leur vie, sans aide, sans soutien, sans réponses à leurs questions", se désole-t-elle. "Elles se sont fait jeter pendant des dizaines d'années, sont allées d'échec en échec sur les plans professionnel et affectif C'est un gâchis immense."

Pire, dans certains cas, ces TSA non dépistés ont généré des troubles anxieux, des épisodes dépressifs, voire des idées suicidaires. Certains ont été diagnostiqués à tort schizophrène ou bipolaire, ont pris en vain des anti-dépresseurs, reçu des traitements par électrochoc.

Après la mort du petit Marciano, comment mieux prendre en charge l'autisme en France ?
Après la mort du petit Marciano, comment mieux prendre en charge l'autisme en France ?
17:11

Une fois le diagnostic officiel, encore faut-il l'annoncer aux proches. Et la réaction n'est pas toujours à la hauteur de ce qui serait espéré. Le mari de Céline ne veut "pas en entendre parler", "je crois que ça lui fait peur". Sofia s'en est ouverte à son frère, mais "il m'a rigolé au nez", raconte-t-elle. "Ça a été très dur pour moi, c'était comme une négation, une manière de me rejeter."

D'autres minimisent. Comme le père de Louise pour qui "c'est une mode", "la lubie du moment". Muriel, 58 ans et diagnostiquée il y a cinq ans, a quant à elle été très blessée par la réaction d'un ami de longue date. "Je lui ai dit que j'étais en train de passer des tests pour l'autisme. Il m'a répondu: 'Tu te cherches encore des excuses'. C'est violent."

"C'est un handicap invisible", éclaire Elaine Hardiman-Taveau, présidente et fondatrice de l'association Asperger aide France.

"On ne comprend pas qu'une personne intelligente ne comprenne pas les codes sociaux, le savoir-être. Mais c'est comme si vous étiez dans un pays étranger sans connaître ni la langue ni la culture."

"J'accepte de ne pas rentrer dans le moule"

Esther Borie n'est ainsi qu'à moitié soulagée depuis l'annonce. Si le diagnostic donne "un sens à toutes ces galères", "le quotidien reste un parcours du combattant", assure-t-elle. "Pendant toutes ces années où je cherchais ce que j'avais, je pensais que le jour où je saurai, on me soignerait, je guérirais. Mais l'autisme ne se guérit pas."

Certains essaient néanmoins de cohabiter tant bien que mal avec leur TSA. "Maintenant je m'accorde un peu de souplesse, je suis plus douce avec moi-même", confie Aurélie Bertrand, une entrepreneuse âgée de 30 ans, diagnostiquée il y a quelques semaines. "J'accepte de ne pas rentrer dans le moule."

Sans compter que le diagnostic a rendu certains incapables de continuer à masquer leurs particularités. C'est le cas de Sandrine, pour qui tous les signes autistiques se sont "multipliés". Ce que Muriel appelle "le deuxième effet" du diagnostic. "J'ai passé toute ma vie à m'adapter. Là, tout s'est écroulé."

"Je ne peux plus continuer à faire semblant. Depuis le diagnostic, je suis réellement devenue qui je suis."

*Le prénom a été modifié à la demande des personnes interrogées.

Toutes les personnes citées dans cet article ont réalisé les tests et bilans nécessaires et ont été diagnostiquées porteuses de TSA par un médecin.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV