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Trois ans après l'attentat, qu'est devenu "l'esprit Charlie"?

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Trois ans après l'attentat qui a décimé la rédaction de l'hebdomadaire satirique, un sondage révèle une érosion de "l'esprit Charlie".

Moins consensuel, voire critiqué. Que reste-t-il de "l'esprit Charlie" ou de "l'esprit du 11 janvier" de ce dimanche historique de 2015, qui a vu près de quatre millions de Français descendre dans les rues? Si les Français se considèrent toujours majoritairement Charlie, ils sont néanmoins en baisse.

Montée d'un sentiment anti-Charlie

Alors qu'ils étaient 71% à défendre la liberté d'expression il y a un an, ils ne sont plus que 61% en ce début 2018, selon un sondage Ifop révélé par Marianne. L'hebdomadaire rapporte même une montée d'un sentiment anti-Charlie.

Trois ans après la mort de 12 personnes dans l'attaque contre l'hebdomadaire satirique - début d'une vague d'attentats qui a fait 241 morts en France - près de quatre personnes interrogées sur dix déclarent ne plus être marquées par les attentats de janvier 2015. Quelque 38% estiment qu'à travers ses caricatures, "Charlie va trop loin" et 19% que "la liberté de caricaturer les religions doit s'arrêter au blasphème".

Les personnes les moins Charlie se retrouvent chez les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon ou Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle mais aussi chez les jeunes et dans les classes populaires.

"À titre d'exemple, entre janvier 2016 et décembre 2017, l'esprit Charlie a reculé de 15 points chez les moins de 35 ans et de 26 points chez les ouvriers", remarque pour Marianne Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop.

"La manifestation du 11 janvier était consensuelle"

A contrario, les pro-Charlie se retrouvent plus fréquemment chez les cadres, habitants de l'agglomération parisienne ou des grandes villes de province ainsi que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron. Pour près de la moitié d'entre eux, cela signifie d'abord défendre la liberté d'expression. Pour 17%, il s'agit également de pouvoir critiquer les religions et leurs représentants, et presque tout autant considère qu'il est important de revendiquer le droit à la caricature.

Que reste-t-il de "l'esprit Charlie"? Pour le politologue Thomas Guénolé, membre de La France insoumise, il est aujourd'hui "polysémique, beaucoup de gens l'invoquent, mais pas dans le même sens". Il déplore une "tentative de privatisation de l'esprit Charlie par des composantes du débat public, ainsi que par des personnalités politiques".

Historien de la laïcité, Jean Baubérot déplore lui aussi que des militants "se rendent propriétaires de l'esprit Charlie alors que la manifestation du 11 janvier était consensuelle". Y étaient présents "tous les partisans de la laïcité avec leurs différences, c'est normal qu'il y en ait", relève-t-il.

Un hommage "Toujours Charlie!" ce samedi

Alors que les journalistes de Charlie Hebdo sont toujours menacés de mort pour leurs écrits et qu'ils vivent sous protection policière, de nombreux soutiens du journal se rassembleront ce samedi aux Folies Bergères à Paris afin de célébrer la liberté d'expression. L'événement intitulé "Toujours Charlie!" est organisé par le Printemps républicain, la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et le Comité laïcité République.

Quelque 1500 personnes sont attendues, parmi lesquelles des politiques, dont l'ancien Premier ministre Manuel Valls, la fondatrice des Femen Inna Shevchenko, l'écrivaine bangladaise Taslima Nasreen ou la philosophe Elisabeth Badinter.

Charlie Hebdo sera notamment représenté par son rédacteur en chef, Gérard Biard, et sa directrice des ressources humaines, Marika Bret. Mais d'autres membres de l'équipe ne seront pas là "pour des raisons de sécurité", selon un organisateur. L'hebdomadaire a décrit dans son numéro paru mercredi son quotidien bunkérisé, ses "trois ans dans une boîte de conserve", sous haute protection.

"Si Charlie disparaît, cela voudrait dire que Daesh a gagné"

"L'hommage" se double d'un esprit de "combat". "Oui, le combat, parce que nous ne pensions pas revivre les débats qu'on a vu ressurgir ces dernières semaines, de manière extrêmement violente", explique le président du Printemps républicain, Amine El Khatmi. "On a constaté que de plus en plus de gens assumaient ouvertement de dire: 'je ne suis plus Charlie', 'ce journal va trop loin'."

La direction du journal satirique déplore quant à elle les coûts exorbitants des services de protection pour assurer sa sécurité. Pour Philippe Val, l'ancien directeur du journal:

"Si Charlie disparaît, cela voudrait dire qu'en France, Daesh a gagné."

Céline Hussonnois-Alaya