BFMTV
Police-Justice

L'affaire de la crèche Baby Loup fera-t-elle jurisprudence?

La décision de la cour de Cassation va faire jurisprudence, expliquent deux avocats.

La décision de la cour de Cassation va faire jurisprudence, expliquent deux avocats. - -

La cour de Cassation vient d'annuler le licenciement d'une salariée qui avait refusé d'enlever son voile dans la crèche privée Baby Loup. L'affaire fera-t-elle jurisprudence? BFMTV.com a posé la question à deux avocats.

L’affaire de la crèche Baby Loup n’est pas terminée. Mardi, la cour de Cassation a annulé le licenciement en 2008 d’une employée de l’établissement privé, qui s’était vu reprocher par son employeur de refuser d’ôter son voile islamique. Comment est justifiée cette décision, et quelles conséquences va-t-elle avoir? BFMTV.com a posé la question à deux avocats.

Quelle justification pour la cour?

"S'agissant d'une crèche privée", la plus haute juridiction judiciaire a estimé que le licenciement de cette salariée constituait "une discrimination en raison des convictions religieuses" et devait être "déclaré nul". L'affaire sera rejugée devant la cour d'appel de Paris.

Pour justifier l’annulation du licenciement, la cour de Cassation s’appuie sur le règlement intérieur. C'est lui qui régit les rapports entre salariés et employeurs dans l'entreprise. Or le règlement de Baby Loup indique que "le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup (…)".

Cette clause, qui impose aux salariés de Baby Loup une neutralité semblable à celle des fonctionnaires, est jugée par la cour de Cassation comme une "restriction générale et imprécise", qui ne répond donc pas aux exigences du code du travail (article L-1321-3). "Mais si le règlement avait été rédigé autrement, la décision de la cour aurait peut-être été différente. Ou en tout cas, elle aurait dû se trouver une justification différente", explique l’avocate Nathalie Lailler, spécialisée en droit du travail.

Comment l'interpréter?

Pour le professeur de droit public Pascal Jan, en condamnant une "restriction générale et imprécise", la cour de Cassation souligne l’impossibilité de dérogation ou d’assouplissement du règlement intérieur.

"La cour dit qu'en étant trop générale, cette clause ne tient pas compte de la liberté - dont la liberté d'exercer sa religion, explique Pascal Jan. Or la laïcité, c’est le respect de tous les cultes. La cour définit donc par cet arrêt à quelles conditions on peut porter atteinte ou pas à une liberté religieuse.

Vers une jurisprudence?

Puisque la décision de la cour s'appuie sur le règlement intérieur de la crèche, "elle va faire jurisprudence partout", explique Me Lailler. Les établissements privés qui accueillent du public, comme c'était le cas de Baby Loup, ne sont donc pas les seuls concernés: "toutes les entreprises privées qui disposent d’un règlement intérieur le sont", explique Nathalie Lailler, qui rappelle que le règlement intérieur "n'est obligatoire que dans les entreprises de plus de 20 salariés".

"Pour éviter d’être confrontées à des cas comme celui de Baby Loup, les entreprises devront donc se poser la question de savoir si elles ont dans leur règlement intérieur des clauses interdisant par exemple le port d'un vêtement et comment elles le justifient, poursuit Me Lallier. Les raisons qui peuvent justifier le port ou l’interdiction du port de certains vêtements sont principalement liées à l'hygiène ou à la sécurité: par exemple, on impose le port des bottes spéciales lorsqu’on travaille dans un entrepôt glissant."

Mais adapter l'argument de la sécurité à une telle affaire semble compliqué. Pour les entreprises, il faudra donc trouver une façon de rédiger le règlement intérieur pour contourner l'arrêt de la cour. Sinon, ce genre de litiges pourraient se multiplier.


A LIRE AUSSI

>> Crèche Baby Loup: Manuel Valls regrette "une mise en cause de la laïcité"

>> Aux Prud'hommes pour le port du voile intégral