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"J'étais pétrifié": le témoignage de victimes présumées de l'artiste Mason Ewing, visé par 13 plaintes pour viols et agressions sexuelles

L'artiste Mason Ewing au HollyRod 2023 DesignCare Gala à Los Angeles, le 15 juillet 2023.

L'artiste Mason Ewing au HollyRod 2023 DesignCare Gala à Los Angeles, le 15 juillet 2023. - Rodin Eckenroth / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Mason Ewing, créateur de mode et réalisateur malvoyant, est visé par 13 plaintes pour "viols" et "agressions sexuelles". Une enquête préliminaire est en cours au parquet de Meaux (Seine-et-Marne). Plusieurs jeunes hommes racontent à BFMTV.com les agressions dont ils disent avoir été victimes et le "système" mis en place par l'artiste.

Créateur de mode, producteur, réalisateur, auteur... Le CV de l'artiste malvoyant Mason Ewing en jette. Si bien que lorsqu'on lui propose de passer un casting pour le nouveau projet de ce Franco-Camerounais, en 2019, Damien décide de tenter sa chance. Le réalisateur lui demande de venir faire un essai chez lui. Il accepte, loin de se douter que tout ne va pas se passer comme prévu.

Selon le témoignage de Damien, le réalisateur lui demande de rester dormir chez lui "afin de s'imprégner de son acteur". D'après lui, Mason Ewing lui propose ensuite d'aller se coucher dans son lit, puis le rejoint une heure plus tard. Là, il lui aurait fait subir des faits constitutifs d'un viol. "J'ai senti mon cœur battre dans mes oreilles. J'ai fixé un lampadaire à travers la fenêtre, j'étais tétanisé", confie Damien. Le lendemain, Mason Ewing lui dit qu'il "n'a pas ce qu'il faut pour être acteur". Le jeune homme rentre chez lui.

"J'ai la boule au ventre quand je pense que d'autres garçons peuvent subir la même chose", lance encore Damien, qui a depuis abandonné l'idée de faire du cinéma.

Au total, 13 personnes dont Damien ont porté plainte pour "viols" ou "agressions sexuelles" à l'encontre du réalisateur, confirme le parquet de Meaux (Seine-et-Marne). Présumé innocent, Mason Ewing nie toutes les accusations. "Il ne se reconnaît pas dans les comportements qui sont décrits. La seule certitude, c'est qu'il n'a jamais eu un comportement de violeur. Il ne sait même pas de qui il s'agit, donc il attend sa convocation", indique son avocat Me Samir Lassoued.

Pour l'heure, une enquête préliminaire est en cours, confiée au commissariat de Meaux. Si les éléments recueillis par l'enquêteur lors de ces premières investigations sont jugés suffisants par le parquet, une information judiciaire pourra être ouverte. Là, un juge d'instruction pourra décider ou non de mettre en examen le suspect, puis de le renvoyer devant la justice.

"L'objectif, c'est l'ouverture d'une information judiciaire", commente de son côté Me Géraldine Vallat, avocate de plusieurs plaignants. "Il ne faut pas que ça reste à l'état d'enquête préliminaire. Un mandat d'arrêt doit être prononcé", le réalisateur vivant désormais aux Etats-Unis.

D'autres hésitent à porter plainte

S'ils sont aujourd'hui 13 à avoir porté plainte, d'autres jeunes hommes expliquent qu'ils ont l'intention de le faire. C'est le cas de Nicolas. En 2016, âgé de 18 ans et "plein de rêves dans la tête", le jeune homme en études de théâtre tombe sur une annonce pour un casting. Il prend contact avec le réalisateur, Mason Ewing. Au cours de leur appel, la conversation dévie du cadre professionnel.

"Il m'a posé des questions sur ma sexualité, sur mon rapport au corps", raconte-t-il. Même s'il trouve ces interrogations déplacées, il décide de passer outre: "J'avais l'espoir de percer dans le milieu artistique."

Malgré les réticences de ses parents, Nicolas finit donc par accepter une invitation du réalisateur à venir faire un essai chez lui. Un après-midi, il se rend à son appartement et découvre que Mason Ewing vit avec deux très jeunes hommes, selon ses dires. "Je me sentais observé, j'étais mal à l'aise. Mason m'a dit qu'on allait s'isoler pour discuter", témoigne-t-il.

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D'après son récit, l'artiste l'emmène dans sa chambre. Évacuant toutes les questions du jeune homme sur le casting qu'il est venu passer, il lui pose à nouveau des questions très personnelles. Puis il se serait mis à toucher diverses parties de son corps, pour en arriver aux parties intimes. "J'étais pétrifié, tétanisé. Je ne pouvais plus rien dire. Ça a duré un long moment, j'essayais de penser à autre chose", relate Nicolas.

Il repartira de l'appartement de Mason Ewing en début de soirée. "J'ai vécu cinq heures d'un moment extrêmement perturbant." Il n'aura ensuite plus jamais de nouvelles du réalisateur. Pendant huit ans, il n'en parle à personne, enterrant l'épisode au fin fond de sa mémoire.

En mai 2024, tout refait surface lorsqu'il reçoit le message d'un autre homme déclarant avoir été victime. Méfiant au début, il finit par s'ouvrir au fil des échanges et découvre peu à peu que d'autres personnes racontent avoir subi des agressions similaires.

"Je ne m'attendais pas à ce que ma petite histoire fasse partie de tout un système de prédation", commente Nicolas.

"Il me faisait culpabiliser"

Si Nicolas n'a plus eu de nouvelles de Mason Ewing après cet épisode, ce n'est pas le cas de toutes les victimes. Certains jeunes hommes ont continué à avoir des contacts réguliers avec l'artiste, ne parvenant parfois pas immédiatement à poser des mots sur leur traumatisme. Julien raconte avoir subi des attouchements chez le réalisateur lorsqu'il avait 17 ans, là encore à l'occasion d'un casting pour le tournage d'une série. Perturbé, il continue par la suite néanmoins à répondre aux appels de Mason Ewing pendant quelques temps.

"Quand je ne pouvais pas répondre parce que j'étais au lycée par exemple, il me faisait culpabiliser", décrit-il.

Julien a eu un déclic en imaginant que l'artiste pouvait s'en prendre à d'autres personnes. "Un jour, il est venu me voir jouer dans une pièce de théâtre. À la fin, il m'a demandé les numéros des autres jeunes de la pièce", relate-t-il, ajoutant avoir décidé de couper les ponts à ce moment-là.

Lui non plus n'en parle pas immédiatement à son entourage. Ce n'est que l'année dernière, inspiré par le discours de Judith Godrèche aux César et par l'émergence du #MeTooGarçons, qu'il ose pour la première fois en parler à ses proches, puis à porter plainte pour "agression sexuelle".

Sur les réseaux sociaux, il entre en contact avec un certain Fabio. Lui aussi dit avoir subi des violences sexuelles de la part de Mason Ewing en 2017. Les deux jeunes hommes finissent par se rencontrer.

Un "système sectaire"?

C'est Fabio qui a commencé à tisser des liens entre les différentes victimes présumées. Début 2024, il se met à écumer les réseaux sociaux de Mason Ewing et contacte de nombreux proches du réalisateur. Petit à petit, certains s'ouvrent à lui et confient avoir subi des agressions, des viols ou du harcèlement.

Auprès de BFMTV.com, Fabio décrit un "système sectaire" et associe l'artiste à un "gourou": "Il va mettre en place des appels quotidiens, très longs. Si je ne lui répondais pas, il disait que je n'étais plus son meilleur ami. Il va aussi faire en sorte de couper la personne de sa famille. Il donne l'impression que ce qu'il fait est important, et on se dit 'il s'intéresse à moi, je ne peux pas passer à côté'."

"Il s'accroche aux rêves des autres et les pompe jusqu'à plus soif", lance encore Fabio.

Enquêtant sans relâche de son côté, il a créé une conversation WhatsApp dédiée aux personnes se disant victimes de Mason Ewing ou témoins de ses agissements. "C'est tentaculaire", commente-t-il. Selon lui, d'autres jeunes hommes vivent toujours avec Mason Ewing aux Etats-Unis.

La défense de Mason Ewing affirme qu'elle n'a pour l'heure pas été officiellement informée du dépôt de ces plaintes. "Mon client a demandé à être entendu. On est en pleine absurdie. On ne lui laisse pas la possibilité de s'exprimer", commente Me Samir Lassoued. Depuis un premier article, paru dans Le Parisien, le réalisateur "reçoit des menaces de mort". Des internautes "le traitent de pédophile, de violeur, s'attaquent à son handicap", explique l'avocat. "On va poursuivre chaque menace et chaque insulte proférée."

*Le prénom a été modifié.

Elisa Fernandez