"Beaucoup d'éléments manquent": le procès de Laurent Bigorgne renvoyé, d'autres investigations ordonnées

Laurent Bigorgne a démissioné de ses fonctions de directeur de l'Institut Montaigne après avoir été mis en cause par une collaboratrice. - BFMTV
Rendre la justice dans un climat serein. Ce jeudi matin, devant le tribunal correctionnel de Paris, les différentes parties ont simplement réussi à se mettre d'accord sur ce fait, à l'heure où Laurent Bigorgne, ex-directeur de l'Institut Montaigne et proche d'Emmanuel Macron, devait être jugé pour avoir drogué à son insu une collaboratrice de son think tank libéral. Ce proche d'Emmanuel Macron, hospitalisé depuis lundi, était absent des débats. Son procès est renvoyé au 10 novembre: la juge a ordonné de nouvelles investigations.
D'un côté, la plaignante Sophie Conrad dénonce une enquête volontairement bâclée sur des faits remontant au 22 février dernier. Cette femme de 40 ans, responsable du pôle "politiques publiques" de l'Institut Montaigne, accuse Laurent Bigorgne d'avoir mis dans son verre de la drogue lors d'un dîner à son domicile. Les analyses sanguines réalisées sur la victime ont permis d'établir qu'on lui avait administré de l'ecstasy, un fait reconnu par le prévenu.
Mais "beaucoup d'éléments manquent et ils sont essentiels pour juger ce dossier", tranche d'emblée l'avocate de la plaignante, Me Rachel Klaric.
Elle cite alors l'absence de certificat établissant le nombre de jours d'ITT, l'incapacité totale de travail, ou l'absence d'expertise psychologique qui permettrait également d'établir ces ITT. La procureure le note: cette donnée est essentielle pour fixer la peine, car si le nombre d'ITT est supérieur à huit jours, la peine passe de 3 à 5 ans de prison. La partie civile s'étonne: comment expliquer que cet examen n'ait pas été réalisé pendant l'enquête menée après le dépôt de plainte de Sophie Conrad le 22 février dernier?
"L'enquête doit être poussée au maximum"
En creux, dans ce débat, ce sont les investigations menées par les enquêteurs de la police judiciaire parisienne qui sont visées, après qu'une plainte a été déposée par la victime pour "faux en écriture publique" et "obstruction à la manifestation de la vérité" à l'encontre de la procureure de Paris et du directeur de la police judiciaire.
Ce mercredi, Le Canard enchaîné révèle que les expertises ADN n'ont pas été réalisées empêchant l'inscription de Laurent Bigorgne dans plusieurs fichiers policiers comme c'est d'usage.
"Le PV de synthèse a été modifié à la demande de la direction de la PJ", affirme Me Klaric, qui réclame que le tribunal renvoie le dossier au parquet pour tenter d'obtenir l'ouverture d'une information judiciaire et la nomination d'un juge. "Seule l'instruction est de nature à permettre de faire ce qui n'a pas été fait. Il y a un faisceau d'indices qui permet de douter de la qualification qui a été choisie."
À l'issue de sa garde à vue, Laurent Bigorgne, 45 ans, il était convoqué devant le tribunal pour "administration de substance nuisible suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne agissant sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants".
Pour la plaignante, le mobile sexuel, qui n'a pas été retenu, est évident: elle souhaiterait que Laurent Bigorgne soit poursuivi pour une infraction, celle d'"administration de substance nuisible afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle". La peine encourue reste identique même si le symbole est fort.
"Toute la complexité de l'affaire est qu'il y avait une intention, il n'aurait jamais donné du MDMA à un homme juste pour lui parler", estime son avocate. "L'enquête doit être poussée au maximum."
"Ni passe-droit, ni traitement de faveur"
"Le Code pénal ne peut pas se mettre dans la tête des gens", souffle un spécialiste du droit à BFMTV.com qui rappelle que dans cette affaire il n'y a que des "suppositions", Laurent Bigorgne n'étant pas accusé d'avoir eu des gestes équivoques ou des paroles d'ordre sexuel.
Face aux critiques de la partie civile sur le déroulé de l'enquête et le choix des poursuites engagées, le ministère public dit "ne pas avoir à rougir".
"Cette enquête est dense, il y a eu beaucoup d'investigations, un examen médical a été demandé par le parquet, le parquet a demandé d'accélérer les examens compte tenu de la possible disparition des preuves, de nombreux témoins entendus, un transport à Nancy (où réside Sophie Conrad, NDLR) a été organisé", liste la procureure Valérie Cadignan.
La magistrate rappelle également que Laurent Bigorgne a été interpellé à 6 heures du matin à son domicile, qu'un appartement perquisitionné à l'aide d'un chien renifleur, que sa garde à vue a été prolongé et qu'il a été placé sous contrôle judiciaire dans l'attente de son procès.
"Il est où le passe-droit", interroge-t-elle. "Il n'y a eu ni passe-droit, ni traitement de faveur, ni volonté d'étouffer quoique ce soit. (...) L'ouverture d'une information judiciaire serait justifiée car on aurait à faire à une affaire complexe. La gravité et la complexité sont deux notions différentes. Dans cette affaire, il y a un fait unique dont la matérialité n'est pas constatée par le prévenu."
Simple "fait divers"
Sophie Conrad, cheveux noirs au carré, col roulé et pantalon sombres, écoute les débats. Tête basse, recroquevillée sur elle-même, elle secoue la tête quand elle entend le conseil de Laurent Bigorgne lui dire qu'elle veut "faire de ce fait divers une affaire d'État", dénonçant "la mise à mort insupportable" de son client.
"On est dans une affaire grave mais qui est simple, on essaie de rajouter de la complexité", déplore Me Sébastien Schapira. "On s'est expliqué plus que sur les faits. Il faut mettre un terme à cette petite musique complotiste." Il déplore "l'instrumentalisation de la justice" par la partie civile.
Me Schapira livre alors un début d'explication sur les faits alors Laurent Bigorgne n'est pas là pour s'expliquer. Son client, consommateur régulier de cocaïne pouvant acheter un à deux pochons de droue par semaine comme il l'a admis devant les enquêteurs, est dans un état de "grande fragilité". "Il a besoin de dialogue" quand il glisse de la MDMA dans la coupe de champagne qu'il tend à Sophie Conrad, collaboratrice mais aussi ex belle-soeur.
"Il ne contrôle plus ce qu'il fait par rapport à sa prise de drogue, il avait confiance en elle, il voulait que ça s'arrête", dit l'avocat lisant le témoignage d'une amie de la plaignante.
En attendant les explications de Laurent Bigorgne prévues pour le 10 novembre prochain, la juge a ordonné de nouvelles expertises. Un examen médico-psychologique sera réalisé sur Sophie Conrad afin d'établir les ITT et le retentissement psychologique engendré par les faits. Laurent Bigorgne subira lui une expertise psychiatrique.
Insuffisant pour la partie civile qui réclamait l'ouverture d'une information judiciaire. Sophie Conrad envisage aujourd'hui de déposer une plainte avec constitution de partie civile, entraînant automatiquement la nomination d'un juge pour "tentative de viol".