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"Les Raisins du IIIe Reich": des vins de l'Allemagne nazie vendus à la carte d'un restaurant à Paris

La carte des vins du restaurant "Vantre", situé dans le XIe arrondissement de Paris.

La carte des vins du restaurant "Vantre", situé dans le XIe arrondissement de Paris. - Twitter

Un restaurant du 11e arrondissement de Paris a suscité l'indignation de certains clients en proposant sur sa carte des bouteilles de vins du IIIe Reich. Contacté par BFMTV.com, le gérant de Vantre plaide une "maladresse" et annonce retirer les références.

La carte du restaurant parisien "Vantre" a de quoi surprendre: des clients ont ainsi constaté que des vins du "IIIe Reich" y figuraient. Trois bouteilles d'époque étaient bien proposées à la vente, a indiqué le gérant de l'établissement à BFMTV.com, confirmant une information de Libération. Et ce "depuis environ un an et demi, sans que personne ne s'en émeuve", assure-t-il.

Sur la carte, partagée jeudi 19 octobre sur X (ex-Twitter) par Antonin Iommi-Amunategui, deux de ces bouteilles de vin rouge - datées de 1940 - sont présentées sous l'appellation des "Raisins du III Reich". "C’est quoi ce fétichisme nazi, Vantre?", interpelle le journaliste spécialisé.

Le sommelier "abasourdi" par cette polémique

Contacté par BFMTV.com, le sommelier et gérant de l'établissement plaide "la maladresse". Si les bouteilles apparaissent bien dans son inventaire des vins, il affirme que ce registre n'est proposé qu'à ses clients les plus intéressés. Interrogé sur leur provenance, Marco Pelletier affirme avoir les avoir "chinés ces bouteilles chez un collectionneur à qui il restait quelques bouteilles".

"Alors oui, quand on m'a proposé 3 bouteilles allemandes de 1940, que je n'avais jamais goûtées, je les ai acquises", développe le sommelier dans un message publié mardi sur son compte Instagram.

"Acquises pour moi et pour d'autres, pour compléter notre connaissance des vins", se défend-t-il. "Car le vin défie le temps et les idéologies."

Marco Pelletier, "abasourdi" et "très affecté" par la polémique, plaide "la naïveté" ou "la maladresse" et se défend de promouvoir une quelconque idéologie nazie en vendant ces vins dans son restaurant, récompensé en 2021 par la Revue du vin de France pour sa carte. "On parle de trois bouteilles sur les 45.000 de notre cave", justifie le sommelier, pour qui cette acquisition s'apparentait plus à "une quête encyclopédique".

Des crus largement distribués aux troupes allemandes

"Oui, ces 3 bouteilles correspondent à l'une des parts les plus sombres de notre Histoire, indéniablement", écrit-il sur le réseau social. "C'est pour cela que ces vins ne sont pas mis en avant auprès du grand public. Ces vins sont uniquement présents à 'l'origine de la carte du restaurant', un registre compilant l'ensemble des vins stockés dans notre cave, qui n'est consulté que par les plus fins connaisseurs et passionnés de vins."

Les "Hechler-Erben Kabinett", produits dans la région viticole de la Hesse rhénane, dans l'ouest de l'Allemagne (à l'époque 4e plus gros producteur au monde), sont des vins alors assez courants dans le pays. Vantre les affichait à 750 et 980 euros la bouteille.

"Ce n'étaient pas des vins de luxe", précise Christophe Lucand, auteur du livre Le vin des nazis.

L'historien explique qu'ils étaient largement distribués aux hommes dans les cantines militaires aux troupes d'officiers et sous-officiers pendant la Seconde guerre mondiale.

Le spécialiste, qui n'a pas vu les bouteilles de ses propres yeux, s'interroge tout de même sur leur authenticité. "Énormément de fausses bouteilles circulent en vente sur internet, notamment sur Ebay. À ma connaissance, la plupart des bouteilles d'origine ont été bues, détruites, et un certain nombre emmenées en URSS par l'armée rouge".

"Après, il n'est pas impossible que quelques-unes aient pu demeurer dans des caves ou chez des particuliers tout ce temps", nuance-t-il. Le restaurateur Marco Pelletier, lui, n'a pas de doute sur l'authenticité: ce sommelier, "fort de son expertise", affirme qu'il est capable de reconnaître une bouteille vieille de 83 ans, en analysant son état de conservation, l'état des bouchons, mais aussi à l'odeur.

"Un vin, ça se raconte"

En France, rien dans la législation n'interdit de détenir ou de collectionner des objets nazis, même avec des emblèmes tels que des croix gammées, comme cela semble être le cas sur l'étiquette originale des "Hechler-Erben Kabinett". Il est également possible et autorisé par la loi de les vendre, à condition de ne pas les exposer.

Christophe Lucand rappelle toutefois que pendant la Seconde guerre mondiale, "le vin participait à l'effort de guerre et entretenait la mondanité nazie". "Vendre de telles bouteilles et potentiellement les poser sur la table d'un restaurant n'est tout de même pas anodin, surtout si l'étiquette avec la croix gammée n'était pas dissimulée", estime l'historien.

"Collectionner de tels objets peut s'expliquer pour des raisons historiologiques", avance-t-il.

"Ce qui pose davantage question, c'est le fait de les proposer sans aucune perspective historique, comme s'il s'agissait d'un produit comme les autres", regrette Christophe Lucand.

"Il y a quand même un symbole nazi sur l'étiquette, ce n'est pas anodin", poursuit-il. C'est un peu déplacé, et il est naïf de penser que poser ça sur une table sans cadre pédagogique n'a pas d'impact".

"Un vin, ça ne se déguste pas seulement, mais ça se raconte", défend encore le spécialiste des vins nazis. "Une vente comme ça, ça se prépare. Et si ces bouteilles sont des vraies, leur histoire aurait sans doute mérité d'être racontée et replacées dans leur contexte." "Face à la polémique", Marco Pelletier a tout de même décidé de "retirer ces trois bouteilles de (son) inventaire".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV