Ukraine: d'un conflit entre extrémistes à une guerre entre États

L'est de l'Ukraine, devenu un terrain de guerre en un an. - JOHN MACDOUGALL / AFP
Le 6 avril 2014, les drapeaux russes, jusqu'alors quasiment absents de l'Ukraine, ont fait leur apparition sur une majorité des hôtels de ville et de région dans l'est et le sud du pays. Quelques semaines auparavant, la Russie avait déjà annexé la Crimée et cela apparaissait donc comme la suite des événements.
Mais le parallèle s'arrête là: l'enthousiasme pro-russe en Crimée, réel quoique magnifié par les agents du Kremlin sur place, ne s'est pas aussi nettement reproduit dans l'est de l'Ukraine. L'est de l'Ukraine est d'ailleurs un concept qu'il faut expliquer.
La double identité ukrainienne
Les Ukrainiens ont depuis des siècles deux visages, divisés entre l'est et l'ouest. À l'ouest, la langue ukrainienne prime sur la langue russe, la religion orthodoxe coexiste avec une vigoureuse minorité religieuse gréco-catholique (rattachée au Pape), et les liens sont forts avec la Pologne et l'Amérique du nord. C'est le berceau du nationalisme ukrainien. À l'est, la langue russe prime sur l'ukrainienne sans l'éliminer; au niveau religieux, c'est l'orthodoxie qui la dispute à l'athéisme, et les relations sont fortes avec la Russie.
Toujours est-il que les Ukrainiens dans leur ensemble reconnaissent une chose: ils sont Ukrainiens. C'est la définition même de cette identité qui suscite débat. Chacun est mélangé, par ascendance ou mariage. La lutte nationale divise donc les familles. Enfin, il y a des minorités classiques, des Juifs, Tziganes, Hongrois, Tatars, mais ils n'ont qu'un second rôle dans les débats actuels.
Aujourd'hui, chaque camp voit le pire chez l'autre. Il y aurait, vu de Moscou, des hordes de néo-nazis ukrainiens, et, vu de Kiev, il y aurait que des terroristes et des militaires russes. Séparons le vrai du faux.
Les néo-nazis, sans forte assise populaire
En matière d'extrémisme, seuls des groupuscules dans l'ouest, qualifiés à Moscou de fascistes ou de néo-nazis, professent une pureté raciale antirusse, antisémite, anti-musulmane. Ils se sont énergiquement distingués dans la lutte contre le régime de Ianoukovitch. Mais ils n'étaient pas seuls, ni majoritaires. Et ils ont fait des scores ridiculement petits aux législatives du 26 octobre.
Aujourd'hui, ces extrémistes sont présents dans la Garde nationale, cette force auxiliaire de volontaires mal équipés qui épaule et souvent surpasse en combativité les Forces de défense officielles. La majorité de la Garde est cependant faite de jeunes idéalistes dans l'esprit Maidan -- démocratie, ouverture, Europe.
Côté forces régulières ukrainiennes, les militaires essuient de lourdes pertes et se battent dans une situation difficile, sous-armés, mal commandés et parfois manquant de patriotisme.
Sur ces entrefaits, les Occidentaux proclament publiquement leur refus à fournir l'Ukraine en armes lourdes. Cela "déstabiliserait la situation, et la solution ne peut être que politique", disent John Kerry, Angela Merkel et Laurent Fabius. Le gouvernement de Kiev ne peut ainsi reconquérir l'est, et doit compter sur la Garde nationale pour tenir.
Les séparatistes de l'est: vrais ukrainiens, mercenaires ou militaires russes?
Depuis un an les "séparatistes" surgissent à l'est, à Donetsk ou Lougansk, par exemple. En avril 2014, des quadra et quinquagénaires, chassant leurs maires officiels à coups de balais, ont posé de modestes barrages ici ou là pour stopper l'avancée des "troupes fascistes de l'ouest" venues supposément les liquider par haine raciale.
Ces locaux ont vite laissé la place à des bandes armées servant deux républiques rebelles autoproclamées et pro-russes, celle de Donetsk et celle de Lougansk. Parfois des locaux, plus souvent des aventuriers ou mercenaires russes, tchétchènes, ou d'ailleurs. L'armement et les munitions ont tout de suite afflué comme par magie. Toujours du matériel soviétique, et même post-soviétique. Autant dire russe. Avec des missiles anti-aériens, des chars d'assaut, des canons, ces rebelles ont totalement interdit le ciel aux forces ukrainiennes qu'ils ont même défait plusieurs fois au sol notamment à Donetsk.
Les militaires russes aident-ils les séparatistes?
Enfin, ces séparatistes du Donbass comptent dans leur rangs des militaires russes purs et durs. En effet, des soldats russes, fictivement démobilisés par leur hiérarchie, traversent la frontière, et se joignent par unités entières aux séparatistes. L'absence de troupes russes dans l'est ukrainien est donc une légende peu crédible.
Le Kremlin injecte constamment des armes et des hommes dans l'armée séparatiste, jamais assez pour marcher sur Kiev mais toujours assez pour faire avancer le front. L'avenir de ce front entre forces ukrainiennes et forces séparatistes et russes relève donc du politique: l'Occident doit persuader Poutine de se retirer. C'est le choix des arguments -- diplomatiques ou militaires -- qui est le seul problème des Européens et des Américains. En attendant, on meurt dans l'est de l'Ukraine.