Pourquoi la presse allemande tire à boulets rouges sur l'Italie

Siège de l'hebdomadaire allemand "Der Spiegel" - JOHANNES EISELE / AFP
C'est peu dire que la presse allemande a accompagné de tout son mépris les premiers pas du gouvernement Conte, qu'elle accuse de vouloir déroger à l'orthodoxie économique fixée au sein de l'Union européenne, qui vient de prendre en main les destinées italiennes. Vendredi, alors que la nouvelle équipe, constituée de l'attelage du Mouvement Cinq Etoiles et de la Lega, prêtait serment avant d'entamer sa mandature après un long blocage politique, le plus grand hebdomadaire allemand dévoilait sa Une sur Twitter.
"Ciao amore!"
Des dents d'une fourchette, descendent des spaghetti qui dessinent un nœud n'attendant plus que le cou du pendu. Au-dessous, le titre expédie directement le lecteur par-delà les Alpes: "Ciao amore".
Le même jour, le journal économique allemand Handersblatt ne se montrait pas plus agréable. En couverture du dernier numéro, une péninsule italienne plantée de parasols et de produits de luxe se détachent de l'Europe et s'enfoncent dans la méditerranée la botte napolitaine la première.
Un imaginaire "biaisé"
Lenny Benbara, directeur de la publication du site d'information Le Vent se lève, consacré principalement à la question européenne, et qui suit de près la situation italienne, note auprès de BFMTV.com que ces Unes traduisent "un imaginaire biaisé" que les Allemands et leur presse nourrissent au sujet des Transalpins: "Ils projettent un pays de 'feignasses', de gens pas sérieux, endettés, pas capables de gérer un budget alors que les Italiens dégagent un excédent primaire depuis vingt ans".
Remarquant que la question "raciste et ethnique est sous-jacente" dans ce traitement médiatique au vitriol, Lenny Benbara poursuit: "Ces médias allemands disent tout haut ce que beaucoup d'Allemands pensent tout bas. Et ça traduit la position de toute la droite conservatrice allemande mais pas seulement car, par exemple Der Spiegel est situé au centre-gauche." Pour l'observateur, quand ce discours très dur contre l'Italie ne s'étale pas en Une ou ne sort pas directement de la bouche d'un politique, il est a minima entouré d'une "forme d'assentiment masqué" au pays d'Angela Merkel.
Le réflexe "pavlovien" de la presse allemande
Guillaume Duval, éditorialiste au sein du magazine Alternatives Economiques et auteur notamment de Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, nous explique que la critique allemande est d'autant plus malvenue qu'elle porte à faux:
"Les Italiens appliquent une politique d'austérité budgétaire depuis longtemps déjà et ils se sont particulièrement serrés la ceinture depuis 2009. Ils ont fait tout ce que leur demandent les Allemands, et leur situation économique ne s'arrange pas. Il n'est donc pas étonnant qu'ils cherchent d'autres voies. Et là-dessus, les journaux et les élites d'Allemagne ont un réflexe pavlovien sur le mode: 'L'Italie, c'est le Club Med', 'on les a aidés et ils ne sont pas reconnaissants'".
Le plus grave, pour Guillaume Duval, pourrait résider dans l'écho trouvée en Italie par ces médias allemands. "Il se pourrait que ça tienne de la prophétie autoréalisatrice. Dire 'ce n'est pas grave si les Italiens sortent de l'euro' pourrait amener les Italiens à se dire qu'ils n'ont pas d'autre solution que d'en sortir. Ce serait la fin de l'euro et de la construction européenne."
La réaction italienne
Lenny Benbara examine aussi les effets du traitement médiatique allemand sur l'Italie. "Il y a quelques jours, Luigi Di Maio et Matteo Salvini (NDLR: respectivement patrons du M5S et de la Lega, ministre du Développement économique et du travail pour l'un, de l'Intérieur pour l'autre) ont déjà adopté une rhétorique très dure à l'égard de l'Allemagne, présentée comme une puissance faisant preuve d'ingérence sur la politique italienne", dit-il avant d'analyser: "Les Italiens sont déjà très conscients d'évoluer en régime de souveraineté limitée et ils ne l'acceptent plus." Et ce sentiment ne risque pas de se dissiper au vu de la déclaration du commissaire au Budget de l'Union européenne, l'Allemand Günther Oettinger. Au début de la semaine dernier, escomptant de nouvelles élections en Italie, ce dernier avait ainsi développé, comme le relaie ici Libération:
"Ce qui me préoccupe et que j’espère, c’est que dans les prochaines semaines, l’évolution des marchés, de l’économie et des bons italiens auront tellement de conséquences que cela pourrait être finalement un signal aux électeurs de ne pas voter pour les populistes de droite comme de gauche."
Résumée par un lapidaire "les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter", la sortie a fait grand bruit en Italie ou elle a ulcéré la population. "Oettinger est une catastrophe nationale mais il est assez représentatif de l'Allemand moyen", affirme Guillaume Duval.
Religion et Europe du sud
Comment expliquer l'attitude offensive des sphères médiatique et politique allemande dans le dossier italien? La controverse a une coloration religieuse, répond Lenny Benbara qui rappelle qu'en Allemagne, les mots 'dette' et 'pêché' ou 'faute' sont les mêmes. L'éditorialiste d'Alternatives économiques appuie: "La racine du problème, c'est que les Allemands ont une réaction morale et religieuse et non pratique". Guillaume Duval ajoute qu'en Allemagne la dureté à l'égard de l'Italie s'étend à l'ensemble de l'Europe du sud: "Les Allemands n'ont jamais accepté que les pays d'Europe du sud soient présents dans la zone euro".
En 2015, la presse et la classe politique à Berlin n'avaient pas été plus tendres au moment de la crise grec et avaient usé d'images et de termes similaires. A ceci près, se souvient Lenny Benbara, qu'ils "prenaient encore moins au sérieux les Grecs".