La visite sous contrôle chinois du dalaï-lama en France

Une chose est sûre: tout déplacement du dalaï-lama est scruté à la loupe par Pékin, qui souhaite limiter au maximum les contacts du chef spirituel tibétain avec les hauts responsables occidentaux. - ANTHONY DEHEZ / BELGA / AFP
Cinq ans après son dernier séjour sur le sol français, le dalaï-lama est de retour en France à partir de ce lundi et jusqu'à dimanche. Au programme de cette petite semaine: une série de séminaires autour de la préservation de la langue tibétaine, du dialogue interreligieux, des sciences ou encore de l'écologie, d'abord à Paris puis à Strasbourg.
Le point d'orgue de cette visite devait initialement être une conférence à Sciences Po, prévue mardi. Selon une enquête de L'Obs, le 14e chef spirituel tibétain, Tenzin Gyatso, avait été chargé de donner la traditionnelle leçon inaugurale, qui marque chaque année la rentrée des classes pour les élèves de la prestigieuse institution parisienne. Mais l'événement, rendu public par une dépêche AFP début juillet, a finalement été annulé dans la plus grande discrétion à la fin du mois. Selon la journaliste Ursula Gauthier, ancienne correspondante en Chine, c'est Pékin qui aurait directement fait pression sur la grande école pour obtenir l'annulation de la conférence.
Contactée par BFMTV, la direction de Sciences Po dément toute forme de pression et affirme avoir, de son plein gré, pris la décision d'annuler l'événement. Motif: il était jugé "redondant" par rapport à un autre colloque au programme du leader tibétain.
"Il s'agissait d'une conférence sur le thème du dialogue interreligieux à l'occasion du lancement d'Emouna, notre nouvelle formation pour les ministres du culte. Or, nous avons appris que le collège des Bernardins avait prévu la même chose de manière concomitante. Il nous a semblé logique d'inviter les candidats d'Emouna à la première conférence et d'annuler la seconde."
Selon l'école, il n'a en tout cas jamais été question de confier la leçon inaugurale, "qui s'est d'ailleurs déjà tenue, le 28 août", au dalaï-lama.
Des coups de fils
Un argumentaire peu crédible pour Nicolas Tournadre, professeur de linguistique à l'université d'Aix-Marseille et spécialiste des langues tibétiques. Selon lui, dans un contexte de durcissement de la politique du régime chinois, "les pressions exercées sur les institutions d'accueil, centres de conférence et universités à chaque déplacement du dalaï-lama sont énormes".
"Les établissements concernés reçoivent des coups de fils qui les menacent de manière à peine détournée, arguant que la tenue d'un tel événement nuirait à la bonne entente entre la France et la Chine", explique-t-il.
Selon L'Obs, la direction de l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), où une autre conférence du dalaï-lama doit avoir lieu cette semaine devant 200 personnes, aurait ainsi reçu la visite de plusieurs diplomates chinois mécontents.
Des déplacements scrutés à la loupe
Une chose est sûre: tout déplacement du dalaï-lama, en France ou ailleurs, est scruté à la loupe par Pékin, qui souhaite limiter au maximum les contacts entre le dignitaire bouddhiste, accusé d'œuvrer sous cape pour l'indépendance du Tibet, et les hauts responsables occidentaux. En juin, la Chine avait ainsi fait savoir qu'elle était "fermement opposée" à l'idée d'une rencontre entre le dalaï-lama et le président Barack Obama, avançant qu'elle "enverrait un mauvais signal aux forces séparatistes recherchant l'indépendance du Tibet". En 2008, la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Tenzin Gyatso, en Pologne, avait elle aussi fortement déplu à Pékin, qui avait dénoncé "une provocation" et menacé la France de sanctions commerciales.
Pour éviter un nouvel incident diplomatique, cette nouvelle visite du dalaï-lama en France, initiée par la fédération du bouddhisme tibétain, a dès le départ été axée sur le thème de la spiritualité davantage que sur la politique. Ainsi, le haut dignitaire bouddhiste ne rencontrera aucun officiel français de premier plan au cours de ces sept jours. Il ne serrera pas la main de François Hollande et ne rencontrera aucun membre du gouvernement, seulement une poignée de parlementaires membres du groupe d'information pour le Tibet au Sénat.
Les revendications des députés Noël Mamère et Jean-Patrick Gille, qui ont écrit au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères pour les appeler à recevoir le Tibétain, sont demeurées lettres mortes.
"La Chine dicte ses lois"
Selon le professeur, cette frilosité qui confine à la censure tiendrait davantage "à ce que représente le dalaï-lama qu'à ce qu'il dit réellement". "Le dalaï-lama a renoncé à demander l'indépendance en 1989. Maintenant âgé de 81 ans, il a laissé la direction politique à M. Lobsang Sanggay, Premier ministre de l'administration tibétaine en Inde, en 2011. Il préfère désormais parler de l'avenir de l'humanité, de spiritualité ou d'écologie plutôt que de politique. Mais pour Pékin, il sera toujours 'le loup qui se présente en brebis', pour reprendre la rhétorique officielle."
Et si les puissances occidentales acceptent sans broncher ce statu quo, c'est sûrement qu'elles savent ce qui est en jeu pour qui ose contrarier cette grande puissance économique mondiale.
"La Chine est extrêmement puissante sur le plan économique et c'est elle qui dicte ses lois aux grandes entreprises, qui à leur tour font pression sur le gouvernement", déplore Nicolas Tournadre. Et la bascule se fait d'autant plus facilement que l'engouement pour la cause tibétaine, un temps très médiatisée, a aujourd'hui perdu de sa force.
Dans un entretien accordé au Monde samedi, le dalaï-lama lui-même semble ne pas se formaliser de ne pas être reçu par les officiels français: "Où que j'aille, je ne souhaite pas créer de malaise pour les dirigeants. Donc, pas de souci. En fait, le but de mes visites n'est pas de rencontrer des chefs politiques mais le public, les gens. Je n'ai rien à dire aux officiels."