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Alice Weidel, coprésidente du groupe parlementaire de l'AfD ("Alternative für Deutschland"), lors d'un congrès du parti d'extrême droite à Riesa (Allemagne), le 11 janvier 2025.

JENS SCHLUETER / AFP / PIERRE-OSCAR BRUNET

Lesbienne, fan de Thatcher et anti-"woke": Alice Weidel, le visage de l'extrême droite en Allemagne

À 46 ans, Alice Weidel est devenue le visage emblématique de l'extrême droite en Allemagne. Depuis son élection au Parlement en 2017, l'AfD (Alternative für Deutschland) connaît une ascension fulgurante, se positionnant aujourd'hui en deuxième place avec 20% d’intentions de vote à quelques jours des législatives.

"Alice für Deutschland": sous un slogan aux apparences anodines, Alice Weidel, figure de proue de l'extrême droite en Allemagne, affiche sans peine sa radicalité. Tout au long de la campagne des législatives anticipées, organisées ce dimanche 23 février, la coprésidente du groupe parlementaire de l'AfD a laissé ses partisans scander cette formule, qu'outre-Rhin beaucoup comparent à "Alles für Deutschland" ("Tout pour l'Allemagne"), un slogan nazi interdit dans l’espace public.

Née en Allemagne de l'Ouest, docteure en économie et ancienne banquière pour Goldman Sachs, cette femme de 46 ans a réussi à s'imposer en seulement quelques années comme une personnalité incontournable de la vie politique allemande. Aujourd'hui candidate à la chancellerie, Alice Weidel a été élue pour la première fois députée au Bundestag - le Parlement fédéral allemand - en 2017, avant d'être réélue en 2021.

"La princesse de glace"

Au sein de l'AfD (Alternative für Deutschland, "Alternative pour l'Allemagne"), où elle entre en 2013 "sur la base du rejet de l'Europe", elle a réussi à éclipser progressivement toutes les autres personnalités, résume Hélène Miard Delacroix, historienne spécialiste de l'Allemagne contemporaine à la Sorbonne.

À l'époque, le parti est "plutôt constitué de professeurs et d'économistes persuadés que l'Allemagne ne devrait pas rester dans l'Union européenne ni dans l'Euro", détaille l'experte. Admiratrice de Margaret Thatcher, Alice Weidel s'y situe alors "plutôt sur une ligne libérale-nationale".

Mais le ton se durcit en 2015 pendant la crise migratoire, au cours de laquelle l'Allemagne d'Angela Merkel accueille un million de réfugiés. "Le parti abandonne alors son crédo libéral centré sur les questions européennes pour se centrer quasi exclusivement sur les questions d'immigration et de sécurité", relate Hélène Miard Delacroix.

Durant la campagne, elle a ainsi appelé à "fermer complètement les frontières et refouler tous les clandestins et les sans-papiers", "quitter le système d'asile de l'UE" et "procéder à des expulsions à grande échelle".

"Si cela doit s'appeler remigration, alors cela s'appellera remigration", a martelé Alice Weidel dans l'est du pays début janvier, assumant ce concept d'expulsion massive de personnes étrangères ou d'origine étrangère.

La stratégie de la radicalité

Aujourd'hui, la cheffe de file du parti se définit comme une libérale conservatrice et très traditionaliste: Alice Weidel est décrite par Hélène Miard Delacroix comme "anti-immigration, anti-féministe, anti-islam, pro-russe et également atlantiste sur la ligne de Donald Trump". Mais elle est aussi "anti-woke, anti-féministe, anti-écologie", ajoute Martin Baloge, enseignant-chercheur de l'Université catholique de Lille et spécialiste de la vie politique allemande.

De par son style tiré à quatre épingles, sa voix grave et son ton cassant et glacial, elle est régulièrement surnommée "la princesse de glace" (Eisprinzessin en allemand, NDLR). Très médiatique, Alice Weidel sait parler à son électorat, qui l'adore. "À l'AfD, c'est la star", résume Hélène Miard Delacroix. "C'est indéniablement une oratrice de talent, bien qu'elle soit d'une violence verbale inouïe: en quelques mots, elle cloue le bec à ses adversaires politiques et ça, c'est jubilatoire pour certains qui lui trouvent du charisme."

"Elle ne retient pas ses coups ni ses prises de position", abonde Martin Baloge. Contrairement au RN de Marine Le Pen, Alice Weidel n'est "pas dans une stratégie de normalisation du parti", compare-t-il.

"Elle fait plutôt le constat que la radicalité paye", estime le spécialiste. "Elle fait tout pour déplacer le curseur politique vers la droite et l'extrême droite."

Son profil n'est toutefois pas exempt de contradictions. D'abord, celle qui n'a de cesse de s'en prendre au "système" et aux "élites mondialistes" a d'abord fait carrière dans la finance internationale et a exercé en Chine, à Singapour ou encore au Japon. Contre toute attente, cette fervente défenseure de la famille traditionnelle allemande vit en couple avant une femme d'origine sri-lankaise, avec qui elle élève deux jeunes garçons.

Ouvertement lesbienne, elle est contre le mariage pour tous et prend soin de se tenir à distance des défenseurs des droits LGBT et queer qu'elle exècre, dénonçant une "folie woke".

Et bien qu'elle déclare officiellement résider sur la rive allemande du lac de Constance dans le sud de l'Allemagne, des critiques lui reprochent de vivre principalement dans un village en Suisse, avec sa conjointe et leurs deux enfants, comme le raconte la RTS. "J'ai mon domicile en Allemagne, je paie mes impôts ici", a-t-elle balayé lors d'un débat télévisé le 16 février.

Un personnage pétri de contradictions

"Il est clair que c'est un personnage qui détone dans le sens où elle n'est pas tout à fait à l'image de ses électeurs", tente d'expliquer Martin Baloge. "Mais ce n'est finalement pas très surprenant et c'est constitutif des personnalités politiques dans nos démocraties. Il y a une distance entre ce qu'ils sont en privé et ce qu'ils défendent publiquement. Si on compare, Marine Le Pen n'est pas non plus cette femme du peuple qu'elle prétend être."

"C'est un personnage très étonnant, je dirais même détonant", abonde Hélène Miard Delacroix. Comme Martine Baloge, elle considère qu'au sein de l'AfD, l'homosexualité d'Alice Weidel est "une ressource ou une arme politique". "Il y a un usage très stratégique, utilitariste et cynique de ce qu'elle est. C'est-à-dire que chaque fois qu'on va leur reprocher leur homophobie ou leur conservatisme, ça va être facile pour eux de rétorquer qu'ils ne sont pas ce dont on les accuse".

Un supporter du parti d'extrême droite Alternative für Deutschand ("Alternative pour l'Allemagne", AfD), tient une pancarte de soutien à Alice Weidel, candidate à la chancellerie, le 1er février 2025 à Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
Un supporter du parti d'extrême droite Alternative für Deutschand ("Alternative pour l'Allemagne", AfD), tient une pancarte de soutien à Alice Weidel, candidate à la chancellerie, le 1er février 2025 à Francfort-sur-le-Main (Allemagne). © Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

À chaque fois que le parti fait un pas à droite, Alice Weidel suit le mouvement. "Elle a toujours su se maintenir et s'imposer car elle a adopté au fur et à mesure les lignes toujours plus à droite du parti", analyse Hélène Miard Delacroix. "Elle a complètement transformé sa ligne, quitte à toujours suivre la figure centrale et ultra-radicale du parti Björn Höcke", avec qui elle entretient néanmoins une relation ambivalente.

Si elle ne s'est jamais totalement distancée de lui sur l'Europe, l'économie ou l'immigration, elle tient des propos moins provocateurs sur l'histoire allemande et évite de s'associer explicitement à ses positions révisionnistes - pour lesquelles il a été condamné à deux reprises.

"Elle est très habile dans sa communication et ses positionnements sur ces questions-là", estime Hélène Miard Delacroix. "Elle parvient à donner un visage fréquentable à l'AfD".

"Elle veut donner l'impression qu'avec elle ce n'est pas pareil, mais en réalité elle a toujours couvert ces propos", poursuit-elle. "C'est simplement un bon moyen de couvrir tous les groupuscules de la nouvelle droite et groupes néonazis qui se trouvent sous la surface du parti."

L'AfD désormais soutenue par Elon Musk

Une enquête du journal allemand Welt am Sonntag a révélé que pendant la Seconde guerre mondiale, son grand-père avait été un des juges nazis directement nommé par Adolf Hitler. Alice Weidel n'a jamais publiquement évoqué ce sujet, si ce n'est pour répondre au journal qu'elle ignorait tout du passé de son aïeul.

Il y a encore quelques mois, son positionnement à l'extrême droite avait tendance à isoler le parti sur la scène internationale. Mais depuis l'élection de Donald Trump à la présidence américaine, la droite nationaliste se sent pousser des ailes en Europe. Il y a quelques jours, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a accueilli Alice Weidel à Budapest, la décrivant comme "le futur de l'Allemagne".

Un peu plus tôt fin janvier, le milliardaire américain Elon Musk avait lui apporté son soutien à l'AfD en participant à un meeting de campagne par visioconférence. Il n'hésite pas non plus à booster la campagne du parti grâce à l'algorithme de son réseau social X, selon des chercheurs allemands.

À quelques jours du scrutin provoqué par l'implosion du gouvernement d'Olaf Scholz, le parti d'extrême droite se place ainsi en deuxième position derrière les conservateurs. Il est désormais crédité de 20% des intentions de vote - deux fois plus que lors du précédent scrutin, en 2021. Une telle performance représenterait une percée historique pour l'extrême droite en Allemagne, 80 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, qui permettrait à l'AfD d'envoyer plus de 120 députés au Bundestag.

Pour autant, à ce stade, l'AfD d'Alice Weidel n'a aucune chance d'arriver au pouvoir dimanche dans la mesure où aucune autre force n'est prête à former une coalition avec elle. Favori pour la chancellerie, le leader de la CDU Friedrich Merz a fermement exclu ce genre d'alliance à plusieurs reprises, notamment en janvier dernier où il affirmait que "sous (sa) direction, il n'y aura pas de coopération entre la CDU et l'AfD".

Mais pour combien de temps? Car les lignes ont tout de même bougé pendant la campagne: un texte des conservateurs a été voté pour la première fois avec les voix de l'AfD.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV