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SNCF, régions, concurrence, salariés: l'amiante empoisonne encore les trains

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De nombreuses rames, assez anciennes, comportent encore de l'amiante. Problème, la réglementation européenne interdit le transfert ou la revente de ces trains, obligeant les opérateurs à acheter du matériel neuf dans le cadre de l'ouverture à la concurrence.

Le dossier amiante est loin d'être refermé dans l'univers ferroviaire. On le sait, ce composant a été massivement utilisé par les secteurs du bâtiment et de l'industrie à la fin du XXe siècle, notamment pour isoler. Jusqu'au jour où ses effets délétères sur la santé ont été démontrés par la communauté scientifique.

Depuis 1997, l'usage de l'amiante est proscrit mais ce composant est encore présent un peu partout. Certains immeubles, comme des universités ou des hôpitaux ont dû être désamiantés à grands frais.

Les fabricants de trains ont également massivement utilisé ce composant dans les années 80. Problème, si la grande majorité de ces rames ont été retirées du service, on trouve encore des TER avec des traces d'amiante en circulation dans plusieurs réseaux régionaux.

Pourquoi n'ont-ils pas été désamiantés? Le composant est présent dans des isolants placés dans des compartiments fermés qui ne sont pas en contact avec le public ou les agents de la SNCF.

Une facture potentielle à 1 milliard d'euros pour les Hauts-de-France

Mais l'ouverture à la concurrence des lignes régionales est une nouvelle donnée dans l'équation. Car elle peut donner lieu au transfert des trains à un nouvel opérateur.

Or, une réglementation européenne de 2006 (n°1907/2006 REACH), qui a donné lieu à un arrêté en France, interdit la vente (ou même la cession) de n'importe quel bien contenant de l'amiante dans l'Union, trains inclus.

Impossible donc de transférer ces trains à un nouvel opérateur qui serait choisi par une autorité organisatrice. Les régions, qui sont propriétaires du matériel roulant, peuvent se retrouver dans l'obligation de remplacer ce matériel dans le cadre de cette ouverture à la concurrence.

Dans la région Hauts-de-France, pas moins de 40 rames sont concernées, et les remplacer coûterait potentiellement à la collectivité pas moins de 1 milliard d'euros. Une facture inenvisageable pour la région.

"On peut comprendre cette directive, mais les biens de très grande consommation, à la durée de consommation très longue comme les trains (40/45 ans) n'ont pas été pris en compte", explique à BFM Business Christophe Coulon, vice-président de la région Hauts-de-France.

"Puisque la moitié des régions françaises semble être concernée par ces séries de matériels qui contiennent de l'amiante, on parle là d'une restriction très importante du volume de service public rendu par le TER si jamais la solution n'était pas trouvée", ajoute-t-il.

Dérogation demandée à la Commission européenne

Dans une impasse, la région a demandé une dérogation à la Commission européenne, d'une à deux années. "L'État français est le seul en Europe à n'avoir pas l'avoir demandé pour les trains", ajoute-t-il à France Bleu.

Il y a néanmoins d'autres pistes. Les régions concernées peuvent demander à la SNCF de désamianter les rames dans le cadre des contrats de maintenance, mais c'est très coûteux et très long.

La solution la plus logique est d'inclure dans les appels d'offres l'obligation pour le nouvel entrant d'acheter et d'exploiter des rames neuves. Comme c'est le cas dans le Sud-Est pour la ligne Marseille-Toulouse-Nice. La région a choisi de ne pas transférer les trains en exploitation, de toute manière trop anciens. Le nouvel entrant, Transdev qui débute ses opérations en juin prochain, a ainsi acheté 16 rames à Alstom.

Mais il y a la question du volume. En Hauts-de-France, le problème concerne 40 rames, ce qui exige un investissement très important pour un nouvel opérateur, sans parler des délais de livraison qui sont aujourd'hui de plus en plus longs (jusqu'à trois ans). D'ailleurs, Transdev ne recevra pas tous ses trains neufs à temps.

Le risque de cette solution est de refroidir les ambitions dans les appels d'offres, brider la concurrence et au final protéger le monopole de la SNCF.

Reste que cela semble, pour les observateurs, la solution la plus simple pour contourner le problème. D'autant plus que les trains amiantés sont généralement très anciens, plus de 30 ans, or la durée de vie d'une rame est de 40 ans. Du côté de la SNCF, on ne souhaite pas commenter la problématique, la compagnie se retranche derrière l’application de la réglementation européenne.

Problème aussi pour les lignes nationales

Mais si la concurrence en région pourra être freinée à cause de ces trains amiantés à remplacer, c'est également le cas au niveau de la concurrence sur les lignes nationales. Pour un nouvel opérateur, l'achat de matériel neuf exige un investissement colossal. Proxima mobilise ainsi 800 millions d'euros pour l'achat de trains à grande vitesse à Alstom mais peu d'acteurs bénéficient de tels financements.

D'où l'idée d'opter pour du matériel d'occasion (matériel réformé) comme l'envisageait la future compagnie Le Train qui entend desservir le Grand Ouest. L'entreprise souhaitait acheter des TGV d'occasion à SNCF Voyageurs mais ces anciennes rames contiennent aussi de l'amiante. Impossible donc de répondre à cette demande.

"Ce n'est pas le choix de SNCF Voyageurs mais bien la réglementation européenne qui nous interdit toute vente ou cession de matériel du type recherché. Cette interdiction a été formellement confirmée par les services de l’État", nous explique un porte-parole de la SNCF.

Conséquence, Le Train a du revoir son modèle économique et a commandé des rames neuves à l'espagnol Talgo pour 300 millions d'euros, ce qui a eu pour conséquence de retarder son calendrier.

Des salariés de la SNCF exposés

L'absence de marché de l'occasion ferroviaire plombe également les ambitions des acteurs qui souhaitent lancer des trains de nuit qui ont pourtant le vent en poupe.

"Pour des nouveaux opérateurs, c'est vraiment compliqué parce que trouver du matériel roulant d'occasion en Europe c'est pas simple et donc ça veut dire que le ticket d'entrée est beaucoup plus élevé." explique le spécialiste du transport ferroviaire Gilles Dansart.

Enfin, l'amiante dans le ferroviaire a également de lourdes répercussions sur certains salariés de la SNCF. En septembre dernier, deux juges d'instruction parisiens ont décidé de renvoyer en procès pour mise en danger d'autrui, l'ex-directeur de l'Établissement industriel de maintenance du matériel (appelé aujourd'hui Technicentre) de Saintes, indique Europe 1.

La plainte avait été déposée en 2001 par le syndicat Sud-Rail et trois cheminots de Saintes, estimant que la SNCF ne les avait pas assez protégés de l'amiante. En cause, le retard de la mise en application de recommandations à suivre pour protéger les employés. D'ailleurs, le directeur poursuivi est lui-même victime d'une pathologie liée à l'amiante.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business