Midnights Trains, European Sleeper: l'essor des trains de nuit freiné par le manque de voitures-couchettes

De nouvelles lignes en Europe vont être ouvertes en 2023 et 2024 mais se heurtent à la pénurie de matériel roulant.

Le train en général et les trains de nuit en particulier suscitent un engouement important dans toute l'Europe. Le rail est aujourd'hui perçu un mode de transport écologique, avec lequel on prend son temps, et devient même source de fierté, ce qu'on appelle le "train bragging".

Les Etats investissent enfin à nouveau dans le ferroviaire, et les liaisons ou les projets de liaisons de nuit se multiplient à travers l'Europe notamment de Bruxelles vers Prague et Graz, en Autriche, de Hambourg vers Stockholm et même en France avec la réouverture de lignes autrefois sacrifiées sur l'autel de la rentabilité (voir encadré).

Reste que les opérateurs sont confrontés à un problème de taille: la disponibilité du matériel roulant.

Mur d'investissement, frilosité des banques

D'occasion ou neuf, il est difficile à trouver, long à obtenir et cher, retardant mécaniquement les projets de nouvelles lignes et asséchant les financements, les banques sont très frileuses face à ces murs d'investissements et à une rentabilité difficile à démontrer.

"Pour des nouveaux opérateurs, c'est vraiment compliqué parce que trouver du matériel roulant d'occasion en Europe c'est pas simple et donc ça veut dire que le ticket d'entrée est beaucoup plus élevé." explique le spécialiste du transport ferroviaire, Gilles Dansart.

"D’un point de vue opérationnel, il faut réussir à trouver des rames de train. L’occasion qui permet d’avoir des trains rapidement mais qui nécessitent un important travail de rénovation. En général, les trains d’occasion de bonne qualité sont rares et sont souvent conservés par les exploitations nationales" confirme Adrien Aumont, cofondateur du français Midnight Trains qui entend d'abord relier Paris à Venise et Barcelone avec des rames haut de gamme et qui ne se lancera finalement pas avant 2024.

Midnight Trains veut se lancer sur Paris-Venise © Midnight Trains

"Il n'y a pas que nous qui avons des problèmes avec ça" explique à nos confrères du Guardian, Chris Engelsman, le co-fondateur du nouveau service European Sleeper, une liaison de nuit de Bruxelles vers Berlin (avec la possibilité de partir de Londres avec un changement dans la capitale belge) qui sera lancée en mai prochain.

"Rien n'a été investi dans le matériel roulant"

"C'est la même chose avec d'autres initiatives, même les grands opérateurs de chemins de fer. Ils ont le même problème que les chemins de fer autrichiens, ils font circuler beaucoup de trains de nuit, bien sûr, à travers l'Europe, et ils ont les mêmes problèmes" poursuit-il.

"A cause de toutes les nouvelles offres, il ne reste plus que très peu de voitures, et pendant de nombreuses années, rien n'a été investi dans le matériel roulant" regrette l'entrepreneur.

Pour le moment, European Sleeper loue des voitures-lits et prévoit de moderniser des voitures normales dans un proche avenir. La première rame de 10 voitures reliant Berlin à Bruxelles partira le 25 mai, la liaison Bruxelles-Berlin étant prévue le lendemain soir.

Il y aura trois rotations par semaine avec des prix à partir de 49 euros pour un siège, 79 euros pour une couchette et 109 euros pour une couchette dans un compartiment plus confortable.

La SNCF rénove d'anciens trains mais devra acheter de nouvelles voitures

Malgré tout, les trains de nuit gagnent du terrain dans toute l'Europe, car ils constituent l'alternative respectueuse du climat aux vols court-courriers.

Ainsi, ce qui semblait improbable il y a cinq ans devient une possibilité. La SNCF et son homologue allemand DB veulent par exemple lancer en 2023 une nouvelle liaison TGV entre Paris et Berlin.

"Ça fait sens parce qu'on constate que les gens acceptent de faire des trajets de plus en plus longs. Il y a vraiment des gens qui sont prêts à rester cinq heures, six heures, sept heures dans un train", expliquait il y a quelques mois Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF. En l'occurrence, Paris-Berlin, c'est sept heures.

Encore faudra-t-il donc trouver des voitures. En France, où les rames utilisées sont anciennes, on fait le pari de la rénovation pour aller vite. Cette modernisation a débuté en 2021 dans le Technocentre SNCF de Périgueux en Dordogne qui emploie 500 personnes environ.

Jean-Baptiste Djebbari au Technicentre de Périgueux © SNCF

Il y a du travail, au moins pour au moins deux ans. Il s'agit d'améliorer l'isolation des rames, d'y intégrer de nouveaux sièges et de nouvelles couchettes mais aussi le Wi-Fi ou encore de nouveaux systèmes d'alerte incendie.

Mais pour opérer de nouvelles lignes (comme le gouvernement le prévoit) et les hisser au niveau de qualité de service de certains opérateurs européens (comme OBB en Autriche qui propose une offre premium), il faudra passer par la case matériel neuf.

D'autant plus que les clients veulent du confort et de la modernité et pas forcément voyager dans des trains des années 1980 même rafraîchis. Un sondage de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports mené en février 2020 montrait que 36% des personnes interrogées souhaitent par exemple des compartiments lits avec douches et toilettes.

Voiture couchettes 2 lits des NightJet d'ÖBB © Siemens Mobility

Nouveau train couchettes d'ÖBB © Siemens

Le rapport TET (trains d’équilibre du territoire) publié en mai 2021 par le gouvernement préconisait ainsi l'achat de 600 voitures neuves pour un investissement de 1,5 milliard d’euros.

"Vu la pénurie qui se fait sentir dans toute l’Europe de l’Ouest, la construction du matériel prendra 4 à 6 ans avant sa mise en service, il convient donc de ne pas perdre d’année supplémentaire" s'alarmait déjà fin 2021 le collectif français "Oui au train de nuit".

Trains de nuit en Europe, l'emballement

-En France, l'offensive nocturne a été poussée par le gouvernement au sein du programme France Relance. Elle a bénéficié d'une enveloppe de 100 millions d'euros notamment affectée à la rénovation des rames. Le gouvernement a demandé à la SNCF de rouvrir au total une dizaine de liaisons nocturnes d'ici 2030.

Sont désormais proposés: Paris-Nice, Paris-Toulouse, Paris-Rodez/Albi, Paris-Latour-de-Carol/Cerbère, Paris–Briançon, Paris-Lourdes (prolongée l'été jusqu’à Hendaye) et Paris-Vienne (en Autriche). Paris-Berlin arrivera en 2023.

L'opérateur privé Midnight Train promet de faire rouler des "hôtels sur rail" mi-2024 avec un aller-retour quotidien entre Paris et Venise.

-En Europe, fin 2020, les transporteurs ferroviaires français, allemand, autrichien et suisse ont annoncé de nouvelles liaisons de nuit longues distances transfrontalières.

En résumé, il s'agit de relancer le mythique Trans-Europ-Express avec les lignes Vienne-Munich-Paris, Zürich-Cologne-Amsterdam suivies l'année prochaine des liaisons Vienne-Berlin-Bruxelles et Vienne-Berlin-Bruxelles-Paris, puis fin 2024 de la ligne Zurich-Barcelone.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business