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"On voit au travers": casse-tête et inquiétudes autour du prêt de la tapisserie de Bayeux au Royaume-Uni

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Les experts de la tapisserie millénaire mettent en garde contre son transport, alors qu'Emmanuel Macron a promis de la prêter au Royaume-Uni. Trop fragile, l'œuvre souffrirait d'un tel voyage.

Un casse-tête de 70 mètres de long: promis en juillet par Emmanuel Macron, le prêt au Royaume-Uni de la tapisserie de Bayeux continue de faire des vagues et alimente des craintes de détérioration de ce chef d'œuvre millénaire, classé par l'Unesco.

Actant un prêt au British Museum en septembre 2026, le chef de l'Etat français a fait prévaloir son volontarisme - et l'objectif de "revivifier la relation culturelle" avec le Royaume-Uni - sur les mises en garde concernant le transport de cette broderie du XIe siècle.

Depuis 2020, des rapports d'experts ont minutieusement radiographié les dégradations qui fragilisent déjà la tapisserie longue de 70 mètres (24.204 taches, 9.646 trous, 30 déchirures...) ou alerté sur les "risques supplémentaires" que ferait courir un transport "au-delà d'une heure de trajet".

"La tapisserie est extrêmement fragile et fatiguée", déclare à l'AFP Aude Radosevic Mansouri, qui a dirigé en 2020-21 une équipe de sept restauratrices pour dresser l'état des lieux de cette oeuvre qui conte la conquête de l'Angleterre en l'an 1066.

"Quand on la regarde vraiment de près, on voit à travers et on n'a pas envie de la manipuler parce qu'on se dit qu'elle va nous rester dans les mains", ajoute-t-elle.

Jusqu'à récemment, les mises en garde étaient dûment relayées par les services de l'Etat.

En 2021, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Normandie assurait à l'AFP que "l'œuvre n'était pas transportable avant d'être restaurée".

Sa rénovation sur deux ans était prévue en 2025 mais a été reportée sine die cette année. Dans les prochains jours, la tapisserie, inscrite au registre "Mémoire du monde" de l'Unesco, doit en revanche être repliée dans le cadre de travaux d'extension du musée où elle est habituellement exposée à Bayeux.

"On sent une omerta"

Très récemment, dans une vidéo postée début 2025 par la préfecture du Calvados, une conseillère patrimoine de la Drac assurait que la tapisserie était "trop fragile pour être déplacée sur une grande distance", en raison notamment des vibrations causées par le voyage.

Depuis l'annonce d'Emmanuel Macron, la vidéo a toutefois été retirée de YouTube et les institutions sont devenues mutiques: la préfecture tout comme le musée de Bayeux, la Drac ou la mairie n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

"On sent une omerta", assure à l'AFP une professionnelle proche du dossier, qui tient à conserver l'anonymat.

Une autre source anonyme, qui exerce dans la restauration d'art, se dit, elle, "sidérée" que les expertises sur la tapisserie aient été balayées "d'un revers de main pour des considérations diplomatiques".

Son inquiétude n'est pas isolée.

Plus de 71.000 personnes ont signé une pétition qualifiant le prêt de "crime patrimonial". "C'est inadmissible de prendre le risque que cette peuvre absolument unique soit détériorée", a dénoncé son initiateur, Didier Rykner, directeur de la rédaction du site La Tribune de l'Art.

"Tout dommage serait irréversible", prévient Aude Radosevic Mansouri.

Du côté de l'Elysée, le chargé de mission pour le prêt de la tapisserie se veut rassurant.

"C'est mon rôle de convaincre que la tapisserie peut être déplacée sans danger pour qu'elle puisse être présentée au public britannique et soit largement connue à l'étranger", explique à l'AFP Philippe Bélaval.

Selon le haut-fonctionnaire, une étude réalisée début 2025 par les services du ministère de la Culture a déjà listé les préconisations en vue d'un transport "longue durée" de la tapisserie. "La question d'un prêt éventuel à la Grande-Bretagne commençait alors à se poser", affirme-t-il.

Contacté par l'AFP pour en savoir plus sur cette étude confidentielle, le ministère de la Culture n'a pas donné suite.

Malgré les oppositions, le processus suit son cours.

Un appel d'offres vient d'être lancé pour procéder à un "voyage à blanc" vers le Royaume-Uni et tester "des solutions anti-vibratoires", en complément d'études plus anciennes où était envisagé le déplacement, à des fins de rénovation, de la tapisserie dans un rayon d'une centaine de mètres.

Une des professionnelles interrogées par l'AFP l'assure pourtant: "Il n'y aura pas de solutions sans risques."

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M. R. avec AFP