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Juillard: "Je prends beaucoup de plaisir à dessiner Blake et Mortimer"

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- - © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

ENTRETIEN - Le dessinateur a accepté de revenir pour BFMTV.com sur les coulisses du Testament de William S., la nouvelle aventure du duo anglais créé par Edgar P. Jacobs.

Deux ans après Le Bâton de Plutarque, Blake et Mortimer reviennent dans Le Testament de William S. Dans cette 18ème aventure, le duo créé par Edgar P. Jacobs en 1946 part sur les traces d’un certain William Shakespeare en Italie… Le dessinateur André Juillard et le scénariste Yves Sente ne sont pas à leur coup d’essai: ensemble, ils ont déjà conçu sept Blake et Mortimer depuis 2000.

BFMTV.com a rencontré chez lui André Juillard pour évoquer sa version strip de ce nouvel album qui lui a permis de renouer avec deux de ses passions: le goût pour les époques reculées (en particulier les XVIème et XVIIème siècles) et l’Italie, où il retourne 18 ans après avoir dessiné la Toscane dans Après la pluie. Si le voyage occupe une place importante dans le cahier des charges des Blake et Mortimer, Juillard a demandé à l’éditeur et au scénariste de recentrer les futurs scénarios sur l’Angleterre. "J’aimerais dessiner une histoire qui se passe soit en Irlande, soit au Pays de Galles, soit en Cornouailles pour pouvoir dessiner la campagne anglaise", dit-il.

Après tant de temps passé auprès de Blake et Mortimer et d’un scénariste, on se risque à lui demander si l’écriture de ses propres récits, comme il le fit pour Le Cahier bleu (1996) et Après la pluie, ne lui manque pas. "Pas plus que cela", assure-t-il. "Je me laisse entraîner dans ces projets par des gens que j’aime bien. Je n’ai pas le temps de m’arrêter et de réfléchir à une histoire et de la dessiner". Avant d’enchaîner sur un nouveau Blake et Mortimer, il prépare un album avec Pierre Christin (le scénariste de Valérian) et un autre avec Yann, son scénariste de Mezek, sur la Guerre d’Espagne. "Encore un récit historique", sourit-il.

L’étiquette de dessinateur historique le gêne moins qu’à l’époque du Cahier Bleu. Il préfère aujourd’hui se consacrer à faire revivre les époques révolues, comme celle de Blake et Mortimer. "C’est un univers où je me sens bien", confie-t-il. "Graphiquement, j’y prends beaucoup de plaisir. Je prends aussi plus de temps que lorsque je travaille sur d’autres albums. Je trouve ce travail stimulant. Certains ont dit que cela avait altéré mon propre style. C’est possible. Mais je n’en ai pas l’impression. De tout façon, j’ai évolué. Je l’ai remarqué chez les plus grands auteurs. On atteint un sommet. Et on veut sans doute trop en faire... "

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

Le format strip

"Je travaille en trois strips. Je les envoie tels quels à mon éditeur au lieu de les assembler en une page. C’est plus pratique. En voyant cela, il a eu l’idée de réaliser une version dans ce format, qu’il a d’abord proposée au journal Le Soir. C’était une très bonne idée. Comme cela, le dessin est plus grand. Je l’ai offert à plusieurs de mes amis du milieu. Ils trouvent que cette lecture fonctionne très bien. Il se trouve que dans Blake et Mortimer, le scénariste s’est arrangé pour qu’il y ait à chaque page et à la fin de chaque strip une sorte d’invite à lire la suite - et quand il n’y en avait pas, je me suis arrangé pour. Il faut aussi que les planches s’y prêtent. Il était question de publier tous les albums sous cette forme. Pour La Machination Voronov [le premier Blake et Mortimer de Juillard et Sente, sorti en 2000, ndlr], ce n’est pas possible parce qu’il y a parfois des demi-pages et des strips soit trop fins, soit trop grands. Pour les trois derniers albums, sans que je fasse attention, c’est tombé parfaitement!”

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

La fiction historique

"C’était un des intérêts de cette histoire. Il y a des flashbacks qui se passent à l’époque de Shakespeare, fin XVIème début XVIIème, une période que je connais assez bien grâce à mon travail sur Les 7 vies de l’Epervier. Il y a aussi cette autre séquence qui se déroule au milieu du XIXème siècle, que je n’ai pas trop abordé pendant ma carrière et qui m’intéressait pas mal. Page 70, j’ai dessiné le Tower Bridge de Londres alors qu’il n’était pas encore construit en 1858. De nombreux lecteurs l’ont repéré (rires). Je reste encore très attaché à la bande dessinée. J’adore dessiner des costumes, des chevaux, des vieilles maisons. J’ai été un peu frustré pour cet album. Souvent, je n’avais pas beaucoup de places pour développer mon goût pour le dessin des époques disparues. Je n’aurais pas accepté de reprendre Blake et Mortimer si cela se déroulait dans les années 2000. Je ne vois pas Blake et Mortimer rouler en Twingo! Pour moi, c’est une bande dessinée historique."

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

L’action

"Il n’y a pas assez de scènes d’action dans cet album. Il y a une ou deux poursuites dans Hyde Park. C’est le genre de scènes où je me sens particulièrement à l’aise. J’ai appris l’anatomie, les proportions en dessinant des sportifs. Je dessinais des joueurs de rugby ou des lanceurs de javelot, des coureurs. Je lisais beaucoup de revues d’athlétisme et de rugby. Le sport m’a toujours passionné. J’en ai pas mal fait."

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

Les couleurs

"Je fais toujours mes couleurs en dehors de Blake et Mortimer. Le dessin me prend tellement de temps que je n’ai pas le temps de m’occuper des couleurs. Madeleine [de Mille, coloriste des albums des Blake et Mortimer de Ted Benoît et de Juillard, ndlr] ayant cette expérience, connaissant bien l’univers, s’en charge. Quand j’ai terminé une planche, je la photocopie et lui indique quelques couleurs obligatoires. Sinon, je lui laisse une marge de manœuvre. C’est elle qui a choisi la couleurs des habits des personnages. Cela me manque de m’occuper des couleurs. Si j’avais le temps, j’en ferai même de la couleur directe. Mais je n’aurais pas de si beaux aplats."

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

Le retour de Sharkey

"Ce que j’aime beaucoup dans une série - et c’est le cas d’Yves Sente aussi - ce sont les personnages secondaires. C’est un vrai plaisir de puiser dans ce fonds Blake et Mortimer et de ressortir des personnages qu’on a un peu oublié ou qui ont été inventés par d’autres, comme Honeychurch l’adjoint de Blake [apparu dans L’Affaire Francis Blake de Ted Benoît et Jean Van Hamme, ndlr]. On retrouve dans cette case Sharkey, ce vieux complice d’Olrik, et son ami Freddy, qui est assez difficile à dessiner d’ailleurs. Sharkey à l’air tout simple aussi mais Jacobs en faisait un personnage assez caricatural, notamment dans SOS Météores ou L’Affaire du Collier. J’ai essayé qu’il soit reconnaissable. J’ai toujours eu ce problème de faire à un personnage exactement la même tête d’une case à l’autre. Avec Mortimer, c’est un peu pareil."

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- © © Yves Sente et André Juillard / Dargaud

Olrik

"Olrik pose un problème. C’est un méchant qui est censé être habile, cultivé - d’ailleurs, il le montre ici en lisant un texte en latin - et malgré tout il est vaincu à chaque fois. C’est un peu ridicule. Il faut qu’il soit dans l’histoire, mais comment faire en sorte pour qu’il ne déçoive pas trop? Un de nos projets, c’est de lui donner un vrai rôle qui sera peut-être inattendu. Dans ces deux premières cases, il n’est pas mal. Il me paraît - c’est peut-être illusoire - plus facile à dessiner que les autres. Ce qui est assez curieux. Blake me pose aussi beaucoup de soucis. Il a un visage qui semble très simple et en réalité on s’aperçoit que l’épaisseur d’un trait peut changer complètement sa tête. C’est un travail de précision assez insensé."

Le Testament de William S., André Juillard et Yves Sente, Dargaud, 64 pages, 15,95 euros (version standard) ; 192 pages, 19,99 euros (version strip).
Jérôme Lachasse