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Procès de Jean-Marie Bernard: Marcel Cannat dans le viseur des proches du président

Jean-Marie Bernard, président du conseil départemental des Hautes-Alpes, le 28 avril 2021 dans son bureau à Gap.

Jean-Marie Bernard, président du conseil départemental des Hautes-Alpes, le 28 avril 2021 dans son bureau à Gap. - BFM DICI

Me Philippe Neveu, l'avocat du président du conseil départemental des Hautes-Alpes, a exhumé un document prouvant selon lui que le maire de Réotier connaissait l’irrégularité de primes versées à Alexandra Butel et Catherine Reboul. En coulisse, le temps semble à l’orage.

Un pavé dans la marre. Voilà ce qu’a lancé Me Philippe Neveu jeudi 5 décembre sur le plateau de BFM DICI. Invité exceptionnel de la rédaction, l’avocat de Jean-Marie Bernard a voulu démonter point par point les reproches formulés par la justice à l’encontre de son client. Notamment ceux liés aux primes irrégulières versées à deux co-directrices du centre de gestion des Hautes-Alpes du temps où Jean-Marie Bernard en assurait la présidence (2008-2020).

S’il reconnaît le versement de "deux primes irrégulières", Me Philippe Neveu refuse en tout cas l’idée "que Jean-Marie Bernard puisse l’avoir fait intentionnellement dans le but d’enrichir quiconque". Et le ténor aixois d’assurer que l’erreur n’est pas celle uniquement de Jean-Marie Bernard, mais bien du centre de gestion dans sa globalité "qui contestait l’irrégularité des primes".

Derrière cette flèche, un homme est visé: Marcel Cannat. L’actuel président du centre de gestion est même cité directement par Me Philippe Neveu sur BFM DICI.

"Qui signe ce courrier de novembre 2015?"

"En 2015, le comptable public du centre de gestion s’interroge sur la régularité de cette prime et fouille en interrogeant le contrôle de légalité, qui en déduit que la prime est irrégulière. Le comptable public interroge le centre de gestion pour mettre fin à la prime et récupérer les sommes versées.  Le centre de gestion répond alors que les sommes ne seront pas récupérées. Qui signe ce courrier de novembre 2015? Jean-Marie Bernard?", fait mine de s'interroger l'avocat.

Et d'ajouter: "Non. C’est le vice-président de l’époque, Marcel Cannat, actuel président du centre de gestion, qui assume le caractère irrégulier de ces indemnités, le conteste et demande au comptable public de les payer jusqu’au dernier centime. Aujourd’hui, seul Jean-Marie Bernard est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour répondre de ces actes", regretté Me Philippe Neveu.

Marcel Cannat aurait-il dû être jugé lui aussi? "Marcel Cannat n’avait pas plus vocation à être renvoyé devant le tribunal correctionnel que Jean-Marie Bernard. La vérité de ce dossier, c’est que, collectivement, une institution s’est trompée. Le centre de gestion a cru en toute bonne foi que ces primes étaient régulières", conclut l’avocat aixois.

Une plaidoirie qui fâche

La bombe est lâchée et l’étendue des déflagrations n’est pas encore connue. Selon les informations recueillies ce vendredi, cette sortie cinglante n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat d’une tension entre Jean-Marie Bernard et Marcel Cannat, qui ne redescend pas depuis mercredi et le procès lyonnais du président du conseil départemental.

Marcel Cannat, le maire de Réotier, tout d'abord, était furieux que son nom soit cité lors de cette audience. Il l'a fait savoir à l'entourage du président. Jean-Marie Bernard, lui, a bondi pour une autre raison.

"L’ami de 30 ans a lâché Jean-Marie en rase-campagne, voilà la situation", vulgarise un proche du Dévoluard. Ce qui ne passe pas? Les conclusions de Me Élodie Ducrey-Bompard, l’avocate du centre de gestion des Hautes-Alpes. Dans ce dossier, la structure présidée par Marcel Cannat s’est constituée partie civile. Et le réquisitoire de l’avocate gapençaise a fait bondir le clan Bernard.

"Ses conclusions étaient surréalistes"

"Ses conclusions étaient surréalistes. Allant jusqu’à dire que l’on avait organisé la désorganisation pour justifier des primes irrégulières", raconte une source qui a assisté au procès.

"Elle n’a pas franchement été sympathique avec Jean-Marie. Pendant ce temps où il était président avec les deux co-directrices, c’était un bordel organisé et depuis 2020 et l’arrivée de Cannat, tout va bien dans le meilleur des mondes. Elle n’avait pas besoin de faire ça", renchérit un autre témoin de la scène.

Marcel Cannat était-il au courant de la plaidoirie de l’avocate du centre de gestion? L’intéressé a juré qu’il n’y était pour rien lors d’un échange téléphonique musclé avec Jean-Marie Bernard ce jeudi. Mais l’entourage du président n’y croit pas. "Quel est le président qui, dans un dossier si sensible, envoie un avocat prétendument avec une feuille de route sans savoir?", demande, agacé, un soutien de Jean-Marie Bernard.

Une réunion de l’exécutif en toute discrétion

Mais ce n’est pas tout. Les proches du Dévoluard ne comprennent pas pourquoi le centre de gestion n’a jamais fourni des documents importants pour la défense de l’ancien président de la structure. "Maître Neveu les a demandés à de nombreuses reprises. Cannat a dit: 'Oui, oui'. Et on attend toujours…", relate une source qui a suivi ces discussions de près.

"La situation est tendue, tout le monde est crispé", reconnaît un conseiller départemental.

Selon nos informations, tous les vice-présidents du département se sont réunis en début de semaine, juste avant le procès. Une seule question était à l’ordre du jour: faut-il oui ou non que le département se constitue partie civile face à Jean-Marie Bernard dans l’autre affaire, celle relative aux marchés et aux appels d’offres? Toutes les personnes présentes s’y sont opposées. Marcel Cannat compris.

"Marcel a même défendu bec et ongles le président. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas de guerre entre les deux", analyse un élu qui a pris part à ce vote. Il poursuit: "Nous avons besoin de resserrer les liens et la gouvernance du département ne doit pas se faire qu’avec Jean-Marie (Bernard), Patrick (Ricou) et Marcel (Cannat). La gouvernance doit être un peu plus éclatée. La façon de faire doit évoluer pour que nous ne parlions que d’une seule voix".

L’union, oui. Mais jusqu’à quand? Le vendredi 14 mars 2025, le délibéré sera rendu à 9h30 au tribunal de Lyon. Ce jour-là, la carrière politique de Jean-Marie Bernard pourrait s’arrêter nette en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité. Et si personne n’ose parler de sa succession, tout le monde avoue y penser.

Le poids des "Gapençais"

Pour assurer l’intérim jusqu’en 2028, date des futures élections départementales, trois élus apparaissent comme les plus légitimes: Patrick Ricou, le "rigoureux" vice-président en charge des finances. Arnaud Murgia, le "talentueux" maire de Briançon. Et Marcel Cannat, le "besogneux" vice-président en charge des routes.

Selon plusieurs sources, le dernier cité aurait avancé ses pions en se rapprochant du sénateur Jean-Michel Arnaud et récemment du maire de Gap, Roger Didier. Comme pour chaque élection, l’édile aura un poids considérable au moment de faire basculer un vote. En 2028 comme en mars si les choses venaient à s’accélérer au département. Habile, le maire de Gap a déjà posé ses conditions pour accorder une bénédiction: le financement d’une partie de la rocade.

Mercredi, alors que le procès Bernard battait son plein, Roger Didier a envoyé un communiqué de presse pour annoncer que la ville allait ajouter deux millions d’euros supplémentaires au projet routier qui en coûtait déjà soixante. "Je demande au département de revenir parmi les financeurs pour la suite du chantier. La ville n’a pas les moyens de supporter seule un tiers du coût des deux sections à venir. La solidarité territoriale implique que le conseil départemental soit à nos côtés pour enfin achever ce projet dans sa totalité", concluait-il.

Entre les lignes, le message est clair: celui qui renouera le dialogue avec la ville de Gap sur ce sujet balayé par Jean-Marie Bernard pourrait avoir le soutien de Roger Didier et des "Gapençais". Car s’il ne vote pas, Roger Didier pourrait faire voter lors de l’élection d’un nouveau président au département. Alexandre Mougin et Catherine Asso (Gap-1), Maryvonne Grenier et Jean-Louis Brochier (Gap-2), Christian Hubaud et Ginette Mostachi (Gap-3), Lionel Para et Evelyne Colonna (Gap-4) pourraient faire ou défaire une élection si le maire de Gap venait à le demander.

"Au sujet de la rocade de Gap, c’est Jean Marie tout seul qui a quitté la table. Marcel n’a pas été mis dans le processus de décision. Jean-Marie est très personnel. Marcel, lui, pourrait parler à tout le monde. En tout cas, lors des prochaines élections, c’est nous qui feront la bascule", jure un élu gapençais.

Bernard-Cannat, une relation "courtoise"

Alors, Marcel Cannat a-t-il échangé avec Roger Didier pour préparer l’après Bernard? "Pas du tout", répond le maire de Réotier. 

"Il n’y a pas de suite. Le département tourne. Nous attendons le jugement de mars et nous verrons bien comment ça se passe", poursuit l’élu, qui promet qu’il n’y a "aucune guerre entre lui et Jean-Marie Bernard".

Pour autant, Marcel Cannat n’a pas du tout apprécié la sortie de l’avocat de son président sur le plateau de BFM DICI. "Je rencontre les avocats du centre ce vendredi après-midi. Nous verrons la stratégie à mettre en place", annonce l’actuel président du centre de gestion des Hautes-Alpes. L’avocate de la structure qu’il préside a-t-elle été trop virulente avec Jean-Marie Bernard au procès mercredi?

"L’avocate a fait son travail concernant, non pas Jean-Marie Bernard, à qui un euro symbolique est demandé, mais les co-directrices. Si la co-direction (ndlr.Alexandra Butel est déjà condamnée, Catherine Reboul sera fixée le 14 mars 2025) est reconnue coupable, on veut récupérer les sommes indûment perçues. C'est tout ce que nous voulons", explique Marcel Cannat.

Et ces documents que l’entourage du président Bernard assure ne pas avoir reçu à temps pour préparer sa défense? "Nous n’avons plus rien retrouvé entre 2015 et 2019 au niveau des archives du centre de gestion", répond Marcel Cannat. S’il précise que "sa relation avec Jean-Marie est courtoise", le vice-président en charge des routes au département avoue "qu’un procès comme celui-ci laisse des traces".

"Une ambiance qui n'est pas saine"

"Cela créé une ambiance qui n’est pas saine. On fait confiance à la justice là-dessus. Moi, je continue à travailler avec mes délégations pour le département", conclut Marcel Cannat.

De son côté, Jean-Marie Bernard joue l’apaisement: "Non, je ne me sens pas trahi par Marcel Cannat". En forme malgré la semaine éprouvante qu’il vient de passer, le président du conseil départemental refuse que les rôles soient inversés.

"Marcel est président du centre de gestion et il était vice-président quand j’étais président. Il a signé un courrier que tout le monde a oublié à l’époque. Il se sent personnellement attaqué aujourd’hui mais ce n’est pas lui qui était à la barre du tribunal". Les deux hommes doivent se voir lundi à la première heure.

Valentin Doyen