"Pas d'indice, pas d'information": comment les enquêteurs travaillent sur la disparition "inexplicable" d'Émile

L'enquête concernant la disparition d'Émile, 2 ans et demi, arrive à son point de bascule. "À l'heure actuelle, nous ne disposons d’aucun indice, d'aucune information, d’aucun élément qui puisse nous aider à comprendre cette disparition", mais "l'enquête continue", a précisé mardi soir le procureur de la République de Digne-les-Bains. À ce jour, toutes les pistes restent à l'étude.
"Les différentes hypothèses, celle d’un petit garçon qui s’est perdu, ou qui a eu un accident, ou celle d’un enfant qui a été victime d’un enlèvement par quelqu’un du hameau ou de l’extérieur sont en train de se redistribuer", estime sur BFMTV le général de gendarmerie, Jacques-Charles Fombonne.
Le dispositif d'enquête pour la recherche du petit Émile est passé de 15 à 25 gendarmes. La cellule dédiée d'enquête a désormais une ampleur nationale, pour tenter de faire des rapprochements avec d'autres affaires ou envisager que l'enfant se trouverait dans un autre département. C'est désormais le volet d'enquête judiciaire qui va prendre le pas dans les investigations.
N'abandonner aucune piste
"Pour les tout petits enfants, l'hypothèse privilégiée est d'abord celle d'un départ puis d'un accident", constate Jacques Dallest, ancien procureur général de la cour d'appel de Grenoble. Dès le signalement de la disparition d'Émile, d'importants moyens de recherches ont été déployés. Des dizaines de gendarmes, appuyés par des centaines d'anonymes, ont ratissé un vaste périmètre de 5 kilomètres de rayon autour du Haut-Vernet où le petit garçon a été vu pour la dernière fois.
Ce hameau d'une vingtaine de maisons a été lui aussi fouillé de fond en comble, des caves aux voitures. Même les bottes de foin ont été scrutées. Les fouilles dans la zone du Haut-Vernet vont se poursuivre pour rechercher Émile, avec le renfort de l'armée pour explorer des zones qui ne l'ont pas encore été, notamment en raison d'un accès difficile.
Lors des opérations de ratissage, qui vont se poursuivre jusqu'à mercredi soir, les gendarmes vont s'attacher à repérer le plus petit élément, "éventuellement des traces de mégots, des traces de textile, des traces de sang, de foulages, des traces diverses et variées, tout ce qui pourrait être exploité scientifiquement par la suite", a indiqué Rémy Avon, le procureur de Digne-les-Bains. D'où la fermeture du village aux personnes extérieures.
Pistes multiples
L'idée pour les gendarmes désormais va être de fermer des portes, sans pour autant les abandonner.
"Il faut être prudent, se méfier de ses propres certitudes, prévient Jacques Dallest. Le procureur, les enquêteurs doivent avoir une démarche ouverte, sans a priori, sans grandes certitudes. Il faut un certain temps pour évacuer certaines pistes sans pour autant les abandonner."
La disparition d'Émile n'est pas sans rappeler celle de Lucas Tronche en 2015. L'adolescent de 15 ans avait disparu dans le Gard alors qu'il se rendait à la piscine. Une enquête pour disparition inquiétante avait d'abord été lancée avant que, quinze jours plus tard, une information judiciaire pour "enlèvement" et "séquestration" ne soit ouverte. En l'absence d'éléments probants, aucune piste n'était privilégiée.
Des rapprochements seront faits avec d'autres affaires, notamment une possible implication de Nordahl Lelandais. Des ossements appartenant à Lucas Tronche sont finalement découverts en 2022 au pied d'une falaise. L'enquête conclut que l'adolescent a fait une chute.
Dossier complexe
"La complexité dans ces dossiers, c'est qu'il y a un champ de pistes multiples et que chaque piste peut en dégager une autre", détaille Jacques Dallest. Départ volontaire du petit garçon qui s'est perdu? Accident? Accident causé par une tierce personne, mais qui? Mauvaise rencontre? Enlèvement? Par une personne du village? Un touriste? Un rôdeur?
"Le champ des possibles est vaste, il faut travailler sur toutes les pistes, d'où l'intérêt d'avoir de nombreux enquêteurs", poursuit l'ancien procureur.
L'arrivée des enquêteurs de l'IRCGN, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, donne un nouveau rythme à l'enquête. "Quand on lance une enquête, on dit aux gens qui sont chargés des constatations qu’on peut tout recommencer, note Jacques-Charles Fombonne. La seule chose qu’on ne peut pas refaire, ce sont les constatations."
De nouvelles auditions vont avoir lieu, notamment auprès de personnes présentes ce week-end et qui sont reparties chez elles après le week-end au Vernet, mais aussi des membres de l'entourage familial. Des véhicules doivent être inspectés dans les prochaines heures. La piste familiale, comme c'est toujours le cas, va être examinée.
"Si on ne trouve rien, l'hypothèse d'un enlèvement peut être envisagée", estime Jacques Dallest, d'autant que les chiens pisteurs n'ont pas permis de retrouver la trace du petit Emile.
Analyses et auditions
Les enquêteurs vont s'attarder sur la téléphonie, les opérateurs téléphoniques sont en train de fournir leurs données alors qu'une antenne-relais se trouve tout près du Haut-Vernet. Là, il s'agit de récupérer tous les numéros, de déterminer qui se trouvait où au moment de la disparition d'Emile, de comparer ces numéris avec des fichiers de gendarmerie. Un travail titanesque puisqu'il concerne des centaines de données. Il faut aussi étudier l'ensemble des signalements fait sur le numéro mis en place par la gendarmerie.
"Plus l'énigme dure, plus l'affaire prend de l'ampleur, plus les gendarmes sont assaillies d'informations", prévient Jacques Dallest.
Enfin, il n'est pas à exclure que la communication mardi soir du procureur de la République de Digne-les-Bains ne soit pas exhaustive. "Il est tout à fait possible qu'il ait une piste en tête, mais qu'il ne dise rien pour préserver les preuves", conclut Jacques Dallest. Quoiqu'il en soit, l'enquête a été ouverte dès samedi pour "recherches des causes de disparition inquiétante. Au bout de huit jours, elle basculera soit en enquête préliminaire, soit en information judiciaire.
Le parquet de Digne-les-Bains décidera de la qualification retenue. Si celle-ci est criminelle, comme enlèvement et séquestration, par exemple, l'enquête sera dépaysée au parquet d'Aix-en-Provence, qui dispose d'un pôle criminel.