Émile, 1 an après (3/5): au hameau du Haut-Vernet, méfiance et suspicion s'installent

"Émile, l'impasse du Haut-Vernet": une série de podcasts de BFMTV. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
"Les rumeurs, c'est probablement ce qu'il y a de pire". Pauline Revenaz est cheffe du service police-justice de BFMTV. Elle travaille depuis le début sur l'affaire de la disparition puis de la mort du petit Émile, 2 ans et demi, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Aux côtés de Boris Kharlamoff, reporter BFMTV et Valentin Doyen, chef de bureau de BFM DICI, elle raconte dans la nouvelle série originale de podcasts de BFMTV, "Émile, l’impasse du Haut-Vernet", les coulisses de son travail pour couvrir l'affaire.
À mesure des semaines qui passent, les pistes s'ouvrent et se referment les unes après les autres. Le petit Émile reste introuvable et un climat de méfiance et de suspicion généralisée gagne le hameau du Haut-Vernet.
"Le village vit un peu claquemuré, les volets sont fermés, les rues sont désertes", explique Pauline Revenaz.
Le hameau est un cul de sac: on ne vient pas au Haut-Vernet par hasard. C'est un village isolé, dans la vallée du Bès, au cœur des Alpes de Haute Provence. "Ce qui est très important dans les disparitions, c'est la topographie des lieux", ajoute la cheffe de service. "On comprend qu'il y a une rue en pente. On comprend qu'un garçon de deux ans et demi marche, mais ne marche pas très bien. On comprend qu'il y a une maison familiale", détaille-t-elle.
"L'ère du soupçon va s'installer"
Dans ce tout petit hameau, tout le monde se connaît. L'arrivée en masse de dizaines de journalistes va bouleverser la vie des habitants. Boris Kharlamoff, envoyé spécial pour BFMTV, connaît bien le village. Depuis la disparition d'Émile, il y passe une semaine chaque mois.
"Tout le monde a dû donner son emploi du temps. Tous les habitants ont été auditionnés, parfois enfin, certains à plusieurs reprises. Ils ont passé vraiment au peigne fin l'identité, le passé, l'emploi du temps de chaque personne qui était présente au moment de la disparition d'Émile", expose-t-il.
Après des semaines sans réponses, sans pistes, "l'ère du soupçon va s'installer" au Haut-Vernet, selon les mots de Pauline Revenaz.
"Nous avons acquis la certitude que notre petit Émile a été victime d’un enlèvement ou d'un accident". Dans le message audio diffusé par les parents d'Émile à la veille de son anniversaire, Colomban et Marie sont persuadés que le garçonnet ne s'est pas perdu. Chaque vernetois devient un suspect. Émile, a-t-il été victime d’un enlèvement? Peut-on faire confiance à son voisin?
Sur place, les journalistes, eux, tentent de nouer des liens avec les habitants, très méfiants. "On va dire que le village est coupé en deux parties, donc il y a les habitants qui souhaitent beaucoup parler et puis il y a ceux qui en ont ras-le-bol des journalistes", explique Boris Kharlamoff, qui est encore en contact "toutes les semaines" avec "quatre ou cinq" habitants du Haut-Vernet.
"On nous dit: 'intéressez-vous à monsieur, à madame', donc on s'y intéresse un peu. On s'aperçoit rapidement que ce sont des éléments infondés qui sont totalement mis hors de cause. On fait donc un peu le même travail que les enquêteurs sur place et parfois les enquêteurs nous disent: 'mais comment est-ce que vous avez trouvé cet élément alors que nous, on ne l'avait pas encore reçu?'.
"On se méfie évidemment des voitures qui montent et qui descendent. Et surtout les voitures blanches de journalistes (...) C'est difficile à vivre. Tout le monde se regarde un peu du coin de l'œil et puis la rumeur nourrit la rumeur, ce n'est pas très bon", analyse la cheffe du service police-justice de BFMTV.

Les pistes se multiplient
Dans ce huis-clos, "une bonne partie [des habitants] devient suspect". Par exemple, à la mi-septembre, deux mois après la disparition d'Émile, les policiers, marteaux piqueurs à la main, détruisent une dalle en béton coulée aux abords d'une bergerie au hameau. Le propriétaire de la maison était absent le 8 juillet mais des ouvriers bulgares réalisaient des travaux sur sa terrasse.
Cette dalle a été coulée par des "ouvriers bulgares", rapidement "soupçonnés" par les habitants. "Au village, on nous disait: 'intéressez-vous à ces ouvriers'. Mais quand on leur demandait: 'quels sont vos éléments pour qu'on puisse s'y intéresser?", ils nous disaient: 'c'est quand même bizarre qu'ils étaient là", se remémore Boris Kharlamoff.
Un sonar détecte une anomalie à la surface de cette dalle quelques jours après la disparition d'Émile. La terrasse est en partie détruite. Il s'avère finalement que la dalle ne cache pas de nouvel indice, seulement un bout de polystyrène oublié.
Dans un village voisin du Vernet, le suicide d'un homme ouvre une nouvelle piste. Florent Crouhy, le procureur de la République de Gap, explique que "l'homme était poursuivi pour corruption de mineur et atteinte sexuelle sur mineur" et placé "sous contrôle judiciaire "jusqu'à son procès qui devrait se tenir le 30 novembre". Il s'agit également d'une fausse piste. "Son téléphone bornait loin du Vernet au moment de la disparition", souffle un policier de Gap.
"Je vous rappelle qu'on a eu aussi la piste agricole: 'est ce que le gamin est pas tombé dans les pales d'une moissonneuse batteuse?'. Ce dossier, évidemment, a nourri 1000 questions, 1000 fantasmes. Et notre travail, ça a été aussi de déconstruire tout ça et de dire: 'les faits, les faits, les faits'", souligne Pauline Revenaz.
Un jeune de 16 ans concentre les soupçons
Dans la tête des enquêteurs, une autre piste est envisagée: l'accident involontaire. Le climat de suspicion va alors se porter sur un jeune agriculteur du hameau. "On entend parler du comportement de Romain* dès le mois de juillet, se rappelle l'envoyé spécial de BFMTV. On nous dit: 'il y a un adolescent qui n'est pas vraiment dans l'esprit du village, qui tranche un peu avec le comportement des autres. Il a tendance à rouler vite. Il a déjà eu des accidents'". Les enquêteurs reçoivent également des appels, les exhortant à s'intéresser à ce garçon.

Des témoins ont vu un tracteur passer, celui d'un jeune agriculteur de 16 ans. On l'appellera Romain*, il est connu pour avoir eu plusieurs accidents avec des voisins et des touristes. Le 8 juillet, le jour de la disparition d’Émile, Romain et son cousin s'appellent. Son cousin est l'un des derniers témoins à avoir vu Émile vivant.
"On se rend compte que cette piste, elle est en train de s'étioler. Mais au début, quand elle nous arrive, cette piste de l'agriculteur, on est obligé de l'explorer", relate Pauline Renevaz. "Quand entre cinq et dix personnes me disent qu'un jeune agriculteur roule vite avec un tracteur dans le village et qu'il a eu des problèmes avec son tracteur, ça met la puce à l'oreille et la rumeur devient une information si on la vérifie", explique de son côté le chef du bureau de BFM DICI, Valentin Doyen, qui travaille depuis le début sur l'affaire du petit Émile.
La rumeur du village s'attaque donc à Romain. Il se serait fâché avec le grand-père d'Émile pour des travaux de terrassement chez son cousin, une maison voisine de celle des grands-parents du petit garçon. Le grand-père s'est emporté car les travaux auraient abîmé son terrain. Les 17 et 18 octobre, la maison de la famille du jeune agriculteur est perquisitionnée, un acte "très mal vécu par la famille de Romain et par sa maman".
"On a fait l'objet de diffamations, de dénonciations calomnieuses. C'est clair que l'injustice est là. Il y a des choses qui ont été faites qui ne doivent pas être faites et qui n'ont pas lieu d’être surtout dans une enquête de disparition ou choses comme ça", a dénoncé la mère du jeune homme dans l'enquête Ligne Rouge de BFMTV, "Émile: la vallée du soupçon".
"Ça fait ressortir peut-être des mauvais côtés chez certaines personnes. De dire des choses qui ne sont pas très sympathiques envers les voisins (...) Les gens qui font ça ne se rendent pas compte de l'impact de leur parole ou alors c’est des inconscients pathologiques""
Finalement, à l'issue de la perquisition, "on va vite s'apercevoir qu'il n'y a aucun élément probant contre ce jeune adolescent" et "aucune charge n'a été retenue contre lui", détaille Boris Kharlamoff. Mais "ce traumatisme a été énorme" pour le jeune homme.
"On en a trop fait!"
Au fur et à mesure de l'enquête, tous les habitants et les habitantes du Haut-Vernet sont auditionnés par les gendarmes. Ce qui est très dur à vivre pour eux. "Je suis très en colère contre les gendarmes", a ainsi confié à Valentin Doyen, Éliane, une octogénaire qui a été entendue plusieurs mois après la disparition d'Émile et qui a rleaté à BFM DICI son interrogatoire.
"Toutes ces questions et sous-entendus durant une audition qui a duré de 14 à 18 heures. J'en suis ressortie épuisée, à la limite de la crise de nerf. À la fin, je pleurais comme une madeleine dans ma voiture", a-t-elle raconté.
En novembre, près de quatre mois après la disparition du petit garçon, trente maisons du Haut-Vernet sont perquisitionnées. Celle d'Alain en fait partie. "Ils ont tout regardé de A à Z. Ils n'ont rien trouvé", a-t-il relaté dans un reportage de BFM DICI, diffusé le 8 novembre 2023.

"Avec ma collègue Célia, on s'est dit: 'bon, ça y est, on y est, ils ont quelque chose pour fouiller l'ensemble du hameau cinq six mois après la disparition, c'est qu'il y a un élément clé qui est ressorti l'enquête et qu'on est proche du but'", se souvient l'envoyé spécial de BFMTV.
La maison des grands-parents d'Émile est aussi perquisitionnée, sans résultats. "À chaque fois, c'est autant une déception pour la famille. C'est autant une déception pour les journalistes qui passent énormément de temps sur place", soupire Boris Kharlamoff.
Une autre théorie a attiré l'attention des enquêteurs, et des journalistes: la thèse de l'animal. Un aigle a-t-il pu s'emparer du petit garçon? Un loup? "Il y a eu beaucoup choses farfelues puisqu'on avait aucun indice, aucun élément, et le fait de n'avoir rien, mais ça alimente un peu les fantaisies", concède Boris Kharlamoff. "C'est sans cesse. En fait, tant qu'on n'a pas retrouvé cet enfant, on tourne autour. Ça devient assez obsessionnel", ajoute Pauline Revenaz.
"On en a trop fait!", admet de son côté le chef de bureau de BFM DICI.
Les pistes farfelues ne s'arrêtent pas là. Car l'affaire émeut la France entière et certains se donnent comme mission de retrouver Émile.
* Le prénom a été modifié
"Émile, l'impasse du Haut-Vernet": une nouvelle série originale de podcasts en 5 épisodes pour revenir sur le mystère judiciaire qui a agité la France. Un récit enrichi d’entretiens croisés avec la participation des journalistes de BFMTV Pauline Revenaz, Boris Kharlamoff, Maxime Brandstaetter et de Valentin Doyen, chef de bureau de BFM DICI. Ils racontent les coulisses de leur travail et la façon dont ils ont suivi cette histoire hors normes.