Tech&Co
TikTok

"La pression devient insupportable": quand la Gen Z se rebelle contre les tendances sur Tiktok

placeholder video
Avec "Propaganda I'm not falling for", de nombreux internautes sur Tiktok s'organisent pour ne pas se laisser influencer par les tendances sur les réseaux sociaux.

Le thé matcha, les cours de Pilates ou encore les injections dans les lèvres et le lait cru. Le point commun de tous ces éléments? À force de voir ces tendances partout sur les réseaux sociaux, Tiktok en tête, les internautes, souvent les plus ciblés, ceux de la "Gen Z" (entre 15 et 30 ans), en ont marre.

À tel point que certains d’entre eux ont décidé de se rebeller en lançant une tendance sur... Tiktok pour dénoncer les tendances. L’idée peut paraître paradoxale. Pourtant, elle cartonne.

Son nom? "Propaganda I'm not falling for", ou "la propagande à laquelle je ne céderai jamais". Concrètement, les internautes partagent, face caméra, une liste de toutes les trends, ces accessoires ou loisirs qui cartonnent en ligne, auxquelles ils ne succomberont jamais.

Et la liste des sujets est plutôt longue. Certains internautes évoquent des sujets politiques comme l’instinct maternel chez les femmes, le contrôle des naissances, le racisme anti-blanc ou la cancel culture. Mais la majorité des utilisateurs pointent du doigt des modes, des accessoires ou encore des tendances food. Au programme, la marque de sport Lululemon, le retour des jeans skinny, les esthétiques "clean girl" ou "old money" ou encore le Pilates.

Matcha, santiags et Labubus

"Le mot propagande peut paraître un peu fort", admet Julie, 23 ans. "Mais certaines tendances tournent tellement sur les réseaux que ça y ressemble."

Dès fois, j'ai l'impression qu'on est vraiment obligé d'aimer Charlie XCX ou de boire du matcha", explique Julie.

Justement. Les boissons au matcha, Thomas les a en horreur. "Sur Tiktok, dans mes amis… Tout le monde en boit. Pourtant, quand je pose la question, personne ne trouve ça réellement bon", observe le jeune homme. "Quand tu dois verser des tonnes de sucre pour avaler ton verre… il y a un problème." Pour Lea, ce sont les santiags en été. "Il fait 40°C, c’est la canicule, et on veut nous faire porter des bottes avec un short? Ça n’a aucun sens", souffle-t-elle.

Mais ce qui agace le plus les internautes en ce moment, ce sont les Labubus, ces porte-clés chinois à collectionner tout droit venus de Chine. "C’est moche", tranche Solène, 17 ans. "Je ne comprends vraiment pas l’engouement. Il y a un mois, personne n’en avait et maintenant, c’est devenu incontournable." Pourtant, la lycéenne en est certaine: "Dans quelques semaines, plus personne n’en parlera."

Et, effectivement, les preuves ne manquent pas. "Les pâtes tomate/ feta que tout le monde faisait il y a quatre ans, je ne vois personne en faire aujourd’hui", observe Gaïa, 23 ans. "Pourtant, on les voyait partout sur les réseaux sociaux." Même constat pour les Stanley Cups, ces gourdes vendues 50 euros devenues virales en 2024. "Les gens en ont acheté plein, et un an plus tard, elles se retrouvent en vente sur des sites de seconde main." Il faut dire que l’accessoire, qui n’est pas étanche, est particulièrement encombrant et cher.

"C'est énormément de pression sociale"

Et les trois utilisateurs sont loin d’être les seuls à se rebeller contre les tendances omniprésentes sur les réseaux sociaux, comparées à de la propagande. Au total, le hashtag Propaganda compte pas moins de 240.000 publications sur Tiktok. Avec un objectif: critiquer les effets néfastes des tendances sur les plateformes.

"Avec toutes ces trends, la pression à l’achat sur les réseaux sociaux devient insupportable. Tu as l’impression que si tu n’as pas certaines pièces, tu ne pourras pas être à la mode", regrette Gaïa, qui pointe une "injonction à être cool".

"On a parfois l’impression qu’on est obligés de suivre ces tendances ou ces façons de penser hyper populaires sur les réseaux sociaux pour ne pas être rejetés et faire partie d’un groupe ou d’une communauté", confirme Danaë, 24 ans. "La trend 'Propaganda' permet justement de dénoncer cette pression sociale."

Un avis partagé par Justine, 23 ans, assistante de production. "Il faut se lever à 7 heures, faire du yoga avant d’aller bosser, avoir le dernier sac à la mode… C'est énormément de pression sociale", déplore-t-elle. "Et tu as beau tenter de t'y conformer, c'est hyper culpabilisant car ça ne sera jamais assez bien ou assez parfait."

Mylène, elle, tombe régulièrement sur des vidéos CleanTok, cette tendance qui regroupe toutes les Marie Kondo et autres maniaques de la poussière et du rangement. Dans ces vidéos, les utilisateurs mettent en avant leurs meilleures techniques et routines pour nettoyer dans les moindre recoins de leur lieu de vie.

Overdose de tendances

"C’est devenu une obsession. Dès que je vois de la poussière ou une trace, je suis obligée de l’enlever", reconnaît la mère de famille. Pourtant, il y a quelques années, elle n’hésitait pas à laisser un torchon ou quelques miettes. Mais la tendance CleanTok a changé la donne.

Comme toutes les influenceuses, elle aussi aimerait avoir une maison "nickel". "J’ai l’impression d’être obligée de nettoyer à fond tous les jours (…) Mais c’est impossible d’avoir le temps de tout faire tous les jours. Je ne suis pas influenceuse ménage moi (…) Ça me stresse beaucoup de ne pas y arriver", poursuit-elle.

L’autre point qui agace les internautes, c’est l’impact environnemental de ces tendances. "Tiktok renforce l’idée qu’il faut toujours acheter et surconsommer pour entrer dans le moule", note Solène. Dernier exemple en date avec la skincare coréenne. "Pendant longtemps, tout le monde s'est jeté sur les produits The Ordinary. Maintenant, la tendance, ce sont les produits coréens. Et pour prendre soin de sa peau, Tiktok nous dit qu'il faut plus d'une dizaine de produits.

"Je n'ai pas envie d'acheter des tonnes de produits qui ne seront plus à la mode la semaine prochaine", rétorque Audrey. "Je n'en ai pas les moyens en ce moment. En dehors du coût économique, il y a le coût écologique."

Il suffit de jeter un oeil du côté des influenceurs pour s’en rendre compte. "Des vidéastes conseillent un gloss différent par jour", s’offusque Léa, 22 ans. "C’est indécent (…) Et je ne parle pas des hauls Shein et Temu." Car si vous n’aviez pas suivi, la tendance de cet été n’est plus au rose ou au léopard, mais au jaune beurre.

Certaines tendances food sur Tiktok ont même entraîné des pénuries. C'est le cas des pistaches à cause du chocolat de Dubaï, du matcha à cause de la célèbre boisson éponyme et même... du concombre à cause d'une recette de salade devenue virale sur l'application de vidéos courtes.

Refuser d'être un mouton

"Ce que j’aime bien avec la trend 'propaganda', c’est qu’elle met en avant les tendances qui ne tiennent pas sur le long terme. Elle permet de prendre du recul sur les tendances et de voir que, même si parfois on peut être tentés, elles n’ont pas forcément d’intérêt", ajoute Audrey.

Les vidéos "Propaganda I'm not falling for" suscitent justement de nombreux débats dans les commentaires entre les internautes. "Ça permet de discuter pour parfois se rendre compte de la bêtise de certaines tendances (…) Ça fait du bien de mettre des mots sur ce qu’on ressent", insiste Julie, qui refuse d’être "un mouton".

Et certains internautes vont encore plus loin. C’est le cas de Gaïa. Excédée par l’accumulation de tendances, l’étudiante s’est désabonnée de nombreux profils. "J’ai tellement fait une overdose des tendances à suivre que ces derniers temps, je me suis désabonnée de nombreux comptes. J’essaye vraiment de me détacher des trends qui nous rendent toujours malheureux de ce qu’on a", conclut-elle, soucieuse de développer son propre style, sans être trop influencée.

Même son de cloche pour Léa, qui, pour se rebeller, a tout simplement supprimé Tiktok. "Tout ce que je voyais sur Tiktok me devenait indispensable. J’ai assez de vêtements à porter, de livres ou de bijoux. Alors je vais faire avec, car non, je n’ai pas besoin de la dernière veste virale ou d’un énième gloss", lance-t-elle.

Le hic, c’est que les vidéos qui critiquent les tendances sont elles-mêmes devenues tendances. Le phénomène a même eu le droit à une variante: "propaganda I'm falling for", où les internautes listent leurs tendances préférées. La rébellion sur Tiktok n’est peut-être pas totalement en marche.

Salomé Ferraris