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Squeezie, Michou, Inoxtag... Pour rajeunir son audience, la télévision mise (sans succès) sur les youtubeurs

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Depuis quelques années, les chaînes de télévision comptent sur les stars d'internet pour rajeunir leurs audiences vieillissantes. Malgré les nombreuses tentatives, les jeunes restent fidèles à leurs usages et peinent à retourner sur la bonne vieille télé à papa.

"Nous allons créer l'événement", expliquait début juillet Delphine Ernotte, la patronne de France Télévisions, lors de la conférence de présentation de la rentrée du groupe public. Pour la première fois, la finale du troisième GP Explorer, la course de formule 4 organisée en octobre par le youtubeur Squeezie, sera retransmise sur France 2.

Et, sur la plateforme france.tv, "les fans auront accès à toutes les voitures et toutes les écuries, et nous diffuserons la finale sur France 2", a-t-elle ajouté. Squeezie, Anyme ou encore Gotaga: les 24 apprentis pilotes seront tous en direct sur le petit écran dès 18 heures.

Autant de stars d'internet qui drainent des millions de fans. Squeezie, deuxième youtubeur de France, est suivi par 19,6 millions d'abonnés et Mister V par 6,39 millions d'abonnés. Lea Elui, elle, compte plus de 18,1 millions d'abonnés sur Tiktok, plateforme plébiscitée par les 16 et 24 ans.

Dos au mur, les chaînes misent sur les youtubeurs

Une aubaine pour France 2 qui, comme les autres chaînes, tente désespérément de séduire les jeunes de les faire revenir sur la bonne vieille télévision à papa. Car désormais, les moins de 30 ans n'allument leur téléviseur que pour regarder Netflix.

"Les chaînes de télévision sont dos au mur", analyse Jonathan Condessa, planneur stratégique à l'agence OTTA. "Elles ont besoin de séduire les jeunes générations qui regardent de moins en moins la télévision."

Selon la dernière étude de l'Arcom, en 2024, les 15-24 ans ont regardé en moyenne 5 heures et 21 minutes de contenus vidéos, dont seulement une heure de télévision gratuite en direct. Un chiffre divisé par deux en dix ans. À l'inverse, les audiences des chaînes ont pris des rides. En 2022, la moyenne d'âge de l'ensemble des chaînes est de 57 ans. Elle était de 48 ans en 2010. Il est donc urgent de recruter les nouvelles idoles des jeunes.

Groupes publics et privés tâtonnent pour trouver la recette du succès et tentent plusieurs formats. Dans certains cas, les chaînes diffusent simplement les vidéos Youtube ou Twitch en linéaire. C'est par exemple le cas de France TV, qui propose depuis octobre 2023 "l'interview face cachée d'Hugo Décrypte". Et en octobre prochain, c'est donc le GP Explorer qui aura le droit à son moment sur le petit écran.

Côté privé, TF1 a diffusé le documentaire Seb en Papouasie sur TFX en 2020. En octobre dernier, Kaizen: un an pour gravir l'Everest, le documentaire événement d'Inoxtag a été diffusé sur TF1. Avant cela, le long-métrage a attiré 44 millions d'internautes sur Youtube... ce qui en fait la vidéo la plus regardée de la plateforme en 2024. Canal+ proposera également la série documentaire Souvenirs: le fabuleux voyage de Seb et Sofyan dès octobre prochain.

"Hugo Décrypte sur France 2, il fait un flop"

À l'inverse, d'autres font venir des influenceurs pour co-présenter des émissions. "Les chaînes tentent de rajeunir leurs figures incarnantes", ajoute Jonathan Condessa. Une stratégie particulièrement en vogue chez M6. Le groupe a proposé en juillet à la youtubeuse fitness Juju Fitcats de co-présenter son nouveau jeu 99 à battre et la deuxième partie de La France a un incroyable talents. En 2023, c'est Amixem qui animait Lego Master.

À ce rythme, on pourrait presque croire que le téléviseur a basculé tout seul sur Youtube. Mais la stratégie peine à atteindre ses cibles. Les interviews "Face cachée" d'Hugo Décrypte au format irrégulier ne trouvent pas leur public, sauf quand elles sont diffusées dans la foulée des JT. Au gré de sa programmation, ce format sans grille fixe n’a séduit que 10,8% du public. Certains chiffres sont même catastrophiques. Le face à face avec Tahar Rahim, en février 2024 n'a réuni que 311.000 personnes, soit 2,7% du public. L'avant-dernière édition, avec François Civil, a ressemblé 572.000 personnes, soit 4% du public.

"Squeezie, c’est un des youtubeurs français numéro 1. Hugo Décrypte, c’est le youtubeur français de l’info. Pourtant quand Hugo interviewe Squeezie sur France 2 juste après le journal de 20h, il fait un flop. Plus de la moitié des spectateurs décident de quitter la chaîne", observe Antonin Marin. "Pire, un grand nombre reviennent après l'interview."

Même constat sur FranceTV. L'an dernier, l'événement Aux Jeux Streamers, une compétition ou 32 stars d'internet se sont affrontés dans des épreuves olympiques, n'a pas séduit. L'émission, peu mise en avant par la chaîne et les vidéastes après les nombreuses polémiques n’a attiré en moyenne que 36.000 spectateurs sur France Tv Slash. Même constat pour TFX. Le youtubeur Seb avait essuyé un vif échec fin 2019. Son documentaire en Papouasie n'a rassemblé que 278.000 téléspectateurs, contre 6 millions de vues sur Youtube.

Fracture générationnelle et usages différents

Pourtant, les vidéos des stars du net ressemblent de plus en plus à des super production dignes du petit écran. Mais le chemin inverse est plus hasardeux. "Le passage de Youtube à la télévision n'est pas encore évident", confirme Antonin Marin, rédacteur en chef du média Le Crayon et créateur de contenus. "Et pour une raison toute simple: la fracture générationnelle."

Il faut dire que les usages sont opposés. D'un côté, les plus de 60 ne connaissent pas les youtubeurs. "On ne peut pas leur en vouloir de zapper un programme destiné aux 13-17 ans", observe le journaliste. De l'autre, les plus jeunes générations ont d'autres usages. Selon Médiamétrie, les 15-24 ans passent près de deux fois plus de temps sur internet que devant la télévision.

"On ne peut pas forcer des jeunes habitués à regarder les informations via des storys à venir sur un créneau fixe", rappelle Jonathan Condessa. Car même si la télévision s'est modernisée, en misant sur le replay et les réseaux, "il faut être au rendez-vous".

"La télévision reste un média rigide. Il faut prendre le réflexe de l'allumer. Pour le replay, il faut se créer un compte. Et ce n'est pas adapté à la consommation sur le téléphone", poursuit-il. "C'est beaucoup de barrières pour une jeune audience habituée à se voir suggérer des contenus via un algorithme sans fournir beaucoup d'efforts."

Face à ces échecs, certains groupes testent donc de nouveaux formats, plus hybrides. "Les chaînes doivent faire confiance aux youtubeurs", insiste Jonathan Condessa. "Il ne suffit pas de prendre un vidéaste pour lui faire présenter une émission. Il faut laisser de la liberté aux créateurs de contenus afin qu'il puisse garder leur ton et leur liberté." Deux éléments qui ont fait leur succès sur Youtube ou Twitch, donc.

Laisser la liberté aux youtubeurs

TF1 a été l'une des premières à miser sur cette stratégie. En mars 2024, la finale de Danse avec les stars d'internet (DALSI), une variante du célèbre concours de danse avec des influenceurs, a été diffusée en direct sur TF1. Un tournant dans l'écosystème audiovisuel puisqu'il s'agit d'une coproduction entre les équipes de Michou et de TF1/BBC.

"DALSI a été un grand pas en avant de la télévision vers les créateurs de contenus", tranche l'expert des réseaux sociaux. "Ils ont eu l'idée de laisser carte blanche à Michou. TF1 a mobilisé ses équipes et ses plateaux, tout en laissant les vidéastes animer l'émission." Résultat, la finale de la compétition de danse made in internet a attiré 800.000 téléspectateurs sur la tranche minuit / 1h30. Soit 20% de part de marché. Un pari gagnant-gagnant puisque l'émission a séduit en moyenne 300.000 viewers sur la chaîne de Michou.

France TV Slash semble également avoir compris la leçon. La chaîne a coproduit en novembre dernier un nouveau talk-show avec ZeratoR, diffusé sur Twitch et sur France Tv Slash. Dans cette émission, baptisée The Boat, youtubeurs et streamer s'affrontent sur des questions de culture générale. "Là, ZeratoR ne vient pas animer un jeu sur France 3 à la Nagui. France Tv a donné les clés, et le budget, à ZeratoR pour qu'il crée le jeu à sa façon."

Là encore, le succès est au rendez-vous. Une deuxième saison serait déjà en discussion. "On fera, on l’espère, revenir Boat pour une saison 2. Peut-être pas cette année mais l’an prochain, le temps de voir ce qui a fonctionné et ce qui a moins fonctionné. On est très excité de revenir avec ce jeu", précise le streamer.

Salomé Ferraris