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Les proches d'Alexis Renner, Paul Tavano et Céline Descroix estiment avoir été victimes d'une mauvaise prise en charge du Samu.

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"On ne lui a pas donné sa chance": des familles endeuillées dénoncent à leur tour les défaillances du Samu

La mort du jeune Esteban Vermeersch après plusieurs appels infructueux au Samu ravive la douleur de l'entourage d'autres victimes. Des familles endeuillées dénoncent les "dysfonctionnements" de la chaîne médicale auprès de BFMTV, après des appels pris à la légère, avec des conséquences dramatiques.

Lorsque son fils de 5 ans perd connaissance et se met à convulser, le 7 mars 2023, Pierre Tavano compose immédiatement le 15. "Son coeur ne bat plus, il ne respire plus", vocifère le père de famille désespéré au bout du fil, avant de proférer un massage cardiaque à l'enfant. Le petit Paul revient à lui quelques minutes plus tard, permettant au médecin régulateur au bout du fil d'évaluer son état à distance lors d'un appel vidéo.

"À ce moment-là, le médecin me rassure et me dit que les pompiers et le Samu sont en route mais que mon fils est en train de récupérer et qu"il va désormais aller de mieux en mieux", raconte cet entraîneur de basket professionnel.

Quelques minutes plus tard, les pompiers arrivent au domicile de la famille à Morand (Indre-et-Loire) mais sans le matériel nécessaire pour les enfants, ils ne parviennent pas à prendre ses constantes et ne peuvent opérer d'acte médical. L'équipe du Samu, elle, n'arrivera jamais sur place, sommée de faire demi-tour par le médecin régulateur, qui jugeait encourageant l'état du jeune garçon.

La veille de son décès le 7 mars 2023, Paul avait déjà perdu connaissance.
La veille de son décès le 7 mars 2023, Paul avait déjà perdu connaissance. © Pierre Tavano

Les pompiers emmènent alors l'enfant aux urgences pédiatriques de Clocheville, mais à leur arrivée 40 minutes plus tard, Paul n'a toujours pas récupéré contrairement à ce qu'avait prédit le médecin régulateur.

"Là ils lui font un électrocardiogramme qui se révèle catastrophique, une échographie cardiaque est effectuée. On m'informe alors que la situation est extrêmement grave et que le pronostic vital de mon fils est engagé...", se souvient Pierre Tavano.

"Une demi-heure plus tôt on me disait que tout allait bien"

Il est immédiatement transféré en réanimation pédiatrique afin d'être pris en charge par une équipe spécialisée. Mais malgré les soins prodigués, le coeur de Paul ne tient pas et quelques minutes plus tard, il s'arrête une fois pour toute.

"Je ne comprends pas: une demi-heure plus tôt on me disait que tout allait bien. On faisait confiance au personnel médical mais on l'a laissé en souffrance et on ne lui a procuré aucun soin. On ne lui a pas donné sa chance", estime cet homme.

La veille de son décès, Paul avait déjà perdu connaissance. Ce jour-là, le médecin du Samu au bout du fil lui avait posé quelques questions auxquelles l'enfant avait réussi à répondre, avant d'être emmené aux urgences par les pompiers. Mais malgré une petite anomalie à l'électrocardiogramme, les équipes ont laissé sortir l'enfant sans examens complémentaires, estimant qu'il s'agissait d'une crise d'épilepsie.

Une enquête pour "homicide involontaire" a été ouverte par le parquet de Tours le 11 mars, classée sans suite pour "insuffisance d'infractions". L'avocate de la famille a engagé une nouvelle procédure judiciaire contre l'hôpital en avril dernier. Deux ans après les faits, le père du petit Paul ne comprend toujours pas pourquoi le Samu n'a pas pris la mesure de la gravité de la situation, et il ne cache pas sa colère en apprenant la mort d'Esteban Vemeersch, à 24 ans en janvier dernier, malgré plusieurs appels au Samu.

"Il y a peut être des choses à revoir à ce niveau-là", lance-t-il. "Des gens en détresse appellent le Samu pour essayer d'avoir de l'aide, ils font confiance et on ne les prend pas au sérieux en leur disant que ce n'est pas grand chose sans avoir pris le temps de vraiment s'en assurer... Ce n'est pas sérieux."

"Ce n'est probablement pas trop grave"

Cette récente tragédie, survenue au Mans dans la Sarthe, rappelle également ce qui est arrivé à Alexis Renner en mai 2022. Le jeune homme de 28 ans, qui n'avait pas de pathologie connue, est mort après avoir souffert de fortes douleurs thoraciques pendant deux jours sans que personne ne prenne la mesure du danger. Malgré les appels au Samu et sa visite chez le médecin, le père de famille est mort le samedi 14 mai à son domicile de Châlons-en-Champagne, probablement d'une angine de poitrine selon son médecin traitant.

Son épouse Margaux Malpart se souvient, amère, du "ton dédaigneux" du médecin régulateur au bout du fil, lors de son coup de téléphone au Samu du mercredi. La jeune femme explique les symptômes de son conjoint: qu'il vomit, a de grosses douleurs thoraciques, qu'il est faibles et a de grosses difficultés à respirer mais la personne veut tout de même lui parler directement.

Malgré son état, Alexis s'efforce de répondre aux questions qu'on lui pose, permettant au médecin régulateur de juger, "d'un ton assez léger", que "ce n'est probablement pas trop grave", que "ça n'inquiète pas" le professionnel de santé au bout du fil. Lorsque celui-ci demande si le fait d'avoir pris un Doliprane était une bonne idée, on lui répond négligemment "'oh ça je ne peux pas vous dire Monsieur'".

Deux jours après, le jeune homme convulse et fait un arrêt cardiaque chez lui, devant ses enfants et sa conjointe. Celle-ci lui fait un massage cardiaque pendant 15 minutes, le temps que les pompiers arrivent, mais il est déjà trop tard.

Alexis Renner, 28 ans, est mort en mai 2022 après de fortes douleurs thoraciques.
Alexis Renner, 28 ans, est mort en mai 2022 après de fortes douleurs thoraciques. © Margaux Malpart

Une plainte au pénal a été déposée par Margaux Malpart et la famille d'Alexis il y a trois ans, mais le dossier est toujours en cours d'instruction. Une expertise médicale mettant en cause l’ensemble de la chaîne de soins a déjà été réalisée à la demande du tribunal administratif. En revanche, sur le plan pénal, le magistrat instructeur a refusé d’en tenir compte et a décidé d’ordonner une nouvelle expertise. Celle-ci reste toutefois en suspens, dans l’attente de la désignation d’un expert en cardiologie.

L'hôpital de Châlons-en-Champagne, contacté par nos confrères du Parisien, ne souhaite pas commenter les procédures en cours mais estime que "ce décès, dont la cause exacte demeure inconnue en l’absence d’autopsie, est un événement tragique qui a bien évidemment beaucoup attristé la communauté médicale". "L’établissement se tient à la disposition de la famille de Monsieur Renner pour la rencontrer et l’accompagner dans ce deuil difficile". Contacté, le SAMU n'a à ce jour pas répondu à BFMTV.

Selon un compte rendu disciplinaire, la médecin traitante estime avoir été mise en cause injustement et sans respect du contradictoire. De son côté, le conseil départemental de l’Ordre a jugé que les reproches adressés à la cardiologue ne constituaient pas une violation des règles déontologiques.

"Ce ne serait pas 'hystériforme' son affaire?"

Une autre affaire, survenue quelques années plus tôt, illustre également les défaillances reprochées à la chaîne de régulation médicale. En milieu d'après-midi le 28 février 2018, le conjoint de Céline Descroix appelle les pompiers en urgence pour signaler que sa femme a des difficultés respiratoires, des douleurs à la poitrine et des nausées depuis qu'elle s'est réveillé de sa sieste.

L'appel est alors transféré vers le régulateur du Samu qui interroge la patiente de 38 ans et décide de ne pas envoyer d'équipe de secours. Au bout du fil, il conseille à Céline Descroix de prendre rendez-vous dans un centre de consultations ou d’appeler SOS Médecins. Au cours de cet échange bref, d’à peine quatre minutes, cette femme de 38 ans précise qu’elle est enceinte de six mois et qu’elle souffre d’un souffle au cœur.

Après un nouvel appel, une équipe de SOS Médecins fait le déplacement mais démunie, elle compose à nouveau le 15 car son état empire. Au téléphone, le médecin réexplique la situation au Samu et demande une équipe de toute urgence alors que l'état de la femme enceinte se dégrade: elle se met à convulser et fait désormais des pauses respiratoires - une série de mouvements respiratoires anormaux qui traduisent une souffrance cérébrale due au manque d'oxygène.

Céline Descroix est morte en mars 2018 après des difficultés à respirer, des douleurs à la poitrine et des nausées.
Céline Descroix est morte en mars 2018 après des difficultés à respirer, des douleurs à la poitrine et des nausées. © Jason Nicolas

À l'autre bout du fil, le médecin du Samu prend alors une attitude perplexe et répond: "ce ne serait pas un peu 'hystériforme' son affaire?". Une expression autrefois utilisée en psychiatrie mais datée, sous-entendant que la patiente puisse faire preuve d'une émotivité excessive et d'une recherche d'attention. Une équipe du Samu fera finalement le déplacement, mais trop tard puisque Céline Descroix n'est emmenée à l'hôpital de Saint-Etienne qu'en début de soirée, afin d'être opérée du coeur, puis placée dans un coma artificiel.

Un peu moins d'une semaine après les faits, la jeune femme est déclarée en état de mort cérébrale en raison du manque d'oxygénation de son cerveau, qui a été estimé à 45 minutes. L'enfant qu'elle portait n'a pas non plus survécu.

Personne "n'a pris la mesure de son état"

"Ma soeur était consciente au moment des faits. Elle a alerté comme elle le pouvait mais malheureusement aucun maillon de la chaîne n'a pris la mesure de son état", déplore son frère Jason Nicolas, "on sait pourtant que lors d'un arrêt cardiaque chaque seconde est comptée".

Après une tentative de médiation de la part de l'hôpital, la famille de Céline Descroix a demandé l'accès aux enregistrements téléphoniques avant de lancer une quelconque démarche judiciaire. Mais lorsqu'ils ont découvert qu'elle et son conjoint avaient bien énoncé tous ses symptômes et antécédents à multiples reprises, ils ont porté plainte contre X. Mais au terme de sept ans de procédure judiciaire, un non-lieu a été prononcé le 12 septembre 2024 par la cour de cassation de Lyon.

Désormais, Jason Nicolas évoque un "sentiment de mépris" de la justice vis-à-vis de sa soeur. "On ne s'attendait pas à un tel résultat", confie-t-il, mais "aujourd'hui on a un peu baissé les armes, on s'est résigné". Quelques jours après le dépôt de plainte par la famille d’Esteban Vermeersch, le jeune homme de 29 ans déplore que de tels événements se reproduisent.

"Esteban, ça me rappelle beaucoup ce qu’a vécu ma sœur. L’issue est la même, et on a le sentiment qu’au final, lorsqu’on appelle le 15, peut-être que beaucoup de gens le font pour de la 'bobologie', mais quand il y a des symptômes aussi graves, ça doit être pris au sérieux".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV