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Police-Justice

Violences conjugales: quel suivi pour les enfants, victimes silencieuses des drames familiaux?

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Image d'illustration - Janek Skarzynski - AFP

Les violences exercées au sein du couple font des enfants les victimes collatérales de ce chaos au milieu duquel ils sont trop souvent oubliés.

Ils sont la face immergée des affaires de violences conjugales. Dans ces drames, les enfants se retrouvent "condamnés à la douleur à perpétuité", comme l'a rappelé mi-juin l'avocate des deux garçons de Julie Douib, tuée en 2019 par son ex-compagnon. Entre 2010 et 2015, 143.000 enfants vivaient dans un foyer terni par les violences conjugales, selon l’enquête Cadre de vie et sécurité de l'INSEE.

Aujourd’hui encore, ils sont trop souvent les témoins de ces drames familiaux. Lundi, un homme a été mis en examen à Vauvert, dans le Gard, pour "meurtre sur conjoint". Il est soupçonné d'avoir poignardé à mort sa compagne, mère de trois enfants, sous les yeux de l'adolescente du couple. Le 27 mai, une fillette de 2 ans et demi a été réveillée par les cris de son frère de 11 ans qui voyait sa mère recevoir plusieurs coups mortels de marteau.

Ces violences au sein du couple ont rendu 111 enfants orphelins au cours de l’année 2018, selon le rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rendu en octobre 2019.

La vision de ces scènes de chaos et leurs conséquences dramatiques déstabilisent profondément les enfants: 97% des femmes victimes de violences conjugales disent constater des sentiments de peur, d’anxiété, d’angoisse et de stress chez leurs enfants, et 19% relèvent chez eux une perte d’estime de soi et un sentiment de culpabilité. Pour 10% d’entre elles, leurs enfants manifestent également des signes de dépression, de lassitude et de fatigue.

Dans ce contexte, "60% des enfants présentent des troubles de stress post-traumatiques. C’est 10 à 17 fois plus de troubles comportementaux et anxio-dépressifs que pour la population enfantine en général. Et en cas de féminicide, le taux atteint 100%", souligne dans ce rapport la docteure en psychologie clinique, Karen Sadlier.

Récemment, le ministère de la Justice encourageait donc, via une circulaire du 28 janvier 2020, à développer davantage la prise en charge médicale - et notamment psychologique - de ces victimes silencieuses:

"Dans les cas les plus graves, en cas d’homicide d’un parent par l’autre, il apparaît opportun, lorsque c’est possible, de prévoir la prise en charge de l’enfant victime par un service pédiatrique hospitalier."

L’enfant n’est pas victime devant la loi

Paradoxalement, à l’heure actuelle, l’enfant n’est toujours pas considéré dans les textes de loi comme une victime directe, comme le déplorait récemment dans les colonnes du Figaro Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de Bobigny:

"Les violences conjugales sont, pour l'enfant, de l'ordre de l'exposition à une scène de guerre ou de terrorisme. Elles vont perturber toute sa vie. (...) Mais sur le plan pénal, il n'a pas de statut."

Ce dernier juge que la poursuite du conjoint “à la fois pour violence contre sa conjointe et pour mauvais traitement contre l'enfant” serait une bonne piste d’amélioration, mais elle n’a, pour l’heure, pas été étudiée par le gouvernement.

235 retraits d’autorité parentale pour violences

Toujours sur le plan légal se pose la question du retrait de l’autorité parentale afin d’éloigner, temporairement ou définitivement, le parent violent des enfants. La loi dispose en effet que lorsqu’un parent est condamné pour un crime à l’encontre de l’autre parent ou de l’enfant (article 378-1 du Code civil), le retrait de l’autorité parentale peut être prononcé par la juridiction pénale. En 2020 selon le ministère de la Justice, les juges ont ainsi ordonné 235 retraits complets de l’autorité parentale à un parent violent ou meurtrier.

Ce chiffre n’était que de 9 en 2017, ce qui témoigne d’une réelle prise de conscience de l’institution judiciaire. Mais c’est encore loin d’être satisfaisant aux yeux de Solenne Jouanneau, qui a dirigé le rapport Violences conjugales – Protection des victimes, Mission de recherche Droit & Justice.

"72,6% des mères d’enfants mineurs obtenant une ordonnance de protection [ont été] contraintes d’exercer leur autorité parentale avec le conjoint, qui selon les mêmes autorités judiciaires, les a vraisemblablement violentées et mises en danger, elles et leurs enfants", peut-on lire dans ce travail de recherche de 2019.

Surtout, les associations, comme la Fédération nationale des victimes de féminicides jugent que le retrait de l’autorité parentale devrait être "automatique", sans la décision d'un juge, en cas de meurtre sur conjoint.

Le placement des enfants, un double traumatisme

Dans les cas les plus tragiques tels que celui de Julie Douib, morte sous les coups de son ex-conjoint, se pose également la question du placement provisoire, puis définitif des enfants. Lors du féminicide à Metz que l’on évoquait plus haut, les trois enfants ont été placés chez la sœur de la victime "pour assurer l’éducation et l’hébergement", selon le procureur de la République, Christian Mercuri. Dans l’intérêt de l’enfant, la justice tente toujours de placer l’enfant dans le cercle familial proche.

"C'est le juge des enfants qui en décide. Ils peuvent être confiés à des oncles, tantes ou grands-parents, ou bien, si aucun parent proche ne se propose, à l'ASE [Aide sociale à l'enfance, NDLR]", expliquait à l'Agence France-Presse (AFP) Isabelle Steyer, avocate spécialiste du sujet.

Mais il arrive que les proches de la mère ne soient pas en état psychologique - ou financier - d’accueillir l’enfant, qui sera alors placé en famille d’accueil. C’est le cas des petits cousins d’Adelina, dont le témoignage a été recueilli par nos confrères de France 2. Ces triplés ont perdu leur mère en 2018 et ont depuis été placés séparément dans trois familles différentes. Un nouveau traumatisme pour ces enfants déjà écorchés vifs: "Je sais que leur mère n’aurait pas voulu ça, qu’ils soient séparés. Pour moi, aujourd’hui, [leur mère] ne se repose pas dans sa tombe", regrette la jeune femme.

Ambre Lepoivre et Esther Paolini