Meurtre de Lola: en quoi consiste l'expertise psychiatrique d'un suspect dans une enquête criminelle?

Une clinique psychiatrique en France, en avril 2021 - JEFF PACHOUD © 2019 AFP
Dahbia B. est-elle pénalement responsable des faits qui lui sont reprochés? Cette jeune femme de 24 ans est mise en examen pour "meurtre" et "viol aggravé" sur Lola, l'adolescente de 12 ans retrouvée morte enfermée dans une malle vendredi 14 octobre, dans le 19e arrondissement de Paris. Toutefois, les déclarations fluctuantes de la suspecte et le portrait que certains témoins ont dressé d'elle posent la question de sa santé mentale.
En garde à vue, cette marginale "difficilement insérée", selon sa soeur, "oscille entre reconnaissance et contestation" du meurtre de Lola, explique le parquet de Paris. D'abord, elle détaille aux enquêteurs l'enchaînement des faits jusqu'à la mort de la collégienne, puis finalement elle se rétracte et explique "avoir raconté un rêve et non la réalité".
Dahbia affirme qu'elle s'est "défendue face à une agression au couteau" et soutient "s'être battue contre un fantôme", selon un document consulté par l'AFP.
"Objectiver une maladie mentale"
Ses errements sont confirmés par son entourage, qui précise que la jeune femme est en proie à "des réveils nocturnes" et qu'elle "tient des propos incohérents". Face à cette personnalité qui semble instable, une expertise psychiatrique de Dahbia B. a donc été ordonnée lors de sa garde à vue. "C'est très courant qu'un psychiatre intervienne dès le stade de la garde à vue pour évaluer la santé mentale du mis en cause", explique à BFMTV.com Roland Coutanceau, psychiatre et expert judiciaire auprès des tribunaux.
"L'enquêteur, sous la houlette du parquet, peut demander une expertise psychiatrique afin d'objectiver une maladie mentale. Il demande par exemple à l'expert d'estimer si le gardé à vue a besoin d'une hospitalisation d'office ou s'il peut être maintenu en garde à vue", comme cela a été le cas pour Dahbia B.
L'examen de la jeune femme a conclu à l'absence de "péril psychique imminent" et la suspecte a été déclarée apte à être interrogée par les enquêteurs. Au cours de l'instruction, une ou plusieurs expertises psychiatriques pourront de nouveau être réalisées pour déterminer si Dahbia B. est atteinte ou non de troubles psychiques et si, le cas échéant, son discernement a pu être altéré ou aboli lors de son passage à l'acte. Ces entretiens pourront avoir lieu en maison d'arrêt si la jeune femme est toujours en détention provisoire, à l'hôpital si elle devait être internée, ou encore au cabinet du psychiatre mandaté par la justice.
"Bouffées délirantes"
Là encore, ces examens psychiatriques au cours de l'enquête sont courants, à plus forte raison quand les faits reprochés sont aussi violents que ceux qui ont été commis contre Lola. Roland Coutanceau nous détaille le déroulé classique de ces entretiens: "D'abord, le psychiatre recherche si le sujet est atteint d'une maladie mentale telle que la schizophrénie, la psychose paranoïaque ou le délire chronique qui mettent les gens en dehors de la réalité", schématise-t-il.
"Ensuite, si une maladie mentale est décelée, on se demande si au moment des faits, cette pathologie était en poussée aigüe, c'est-à-dire: le patient était-il en proie à une bouffée délirante? Enfin, on se demande si ces éléments délirants ont sous-tendu le passage à l'acte. Ce serait l'exemple d'une personne qui a l'impression que son voisin est possédé par le diable, il ne le voit plus comme un être humain. Dans son délire, il veut s'attaquer au diable".
"Quand j'étais jeune expert, je restais le temps qu'il fallait avec le sujet pour voir ce qu'il avait dans le bide. Avec l'expérience, diagnostiquer une maladie mentale est devenu un jeu d'enfant, on décèle très rapidement les signes, même s'il existe évidemment des cas très complexes qui demandent plus de temps, avec des délirants mutiques, qui nient leurs délires et les faits reprochés", détaille le Dr Coutanceau.
Tenir compte de la douleur des parties civiles
Une fois le diagnostic dressé, se pose la délicate question de l'irresponsabilité pénale de l'accusé. Si le suspect a agi sous l'impulsion d'éléments délirants qui ont aboli son discernement, il ne peut être accessible à une sanction pénale.
Reste que, "la plupart des gens violents ne sont pas des malades mentaux", souligne l'expert psychiatre.
"Ils peuvent avoir des troubles de la personnalité mais cela n'abolit pas leur discernement. Pour être déclaré irresponsable pénalement, il faut être en poussée aigüe au moment des faits, et que ces éléments délirants aient sous-tendu le passage à l'acte. Les cas qui en relèvent sont très rares", explique le Dr Coutanceau.
Avant 2008, quand un mis en cause était déclaré irresponsable de ses actes un non-lieu ou un arrêt d'acquittement était rendu, la psychiatrie prenait ainsi le pas sur l'appareil judiciaire et laissait aux familles des victimes un lourd sentiment d'injustice. C'est pourquoi, la loi du 25 février 2008 a instauré la "déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental".
"Besoin de procès"
Cela permet de saisir la chambre de l’instruction pour qu'une audience ait lieu, avec l’interrogatoire de la personne mise en examen, des experts l'ayant examinée et des témoins. À l'issue de cette audience, la chambre de l'instruction prend un arrêt de "déclaration d'irresponsabilité pénale" pour cause de trouble mental et décide des soins psychiatriques à mettre en place pour l'accusé.
Toutefois, l’affaire Sarah Halimi a démontré que cette évolution n'était pas suffisante aux yeux des familles des victimes et de l'opinion publique. En avril 2021, le meurtrier de cette sexagénaire juive tuée en 2017 à Paris, a été déclaré irresponsable de ses actes et interné en hôpital psychiatrique sans qu'il n'y ait de procès. Si les avocats de Kobili Traoré ont salué cette décision, rappelant que "notre droit refuse le jugement des actes de ceux dont le consentement a été aboli", elle a suscité une vague de colère et d’incompréhension en France. "Le besoin de procès est là", a abondé le président de la République, Emmanuel Macron.