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Un gardien dans un couloir de la prison des Baumettes, le 13 février 2021 à Marseille

Nicolas TUCAT © 2019 AFP

Drogues, téléphones, corruption... En prison, quand les détenus font la loi

Qui contrôle vraiment les prisons? De puissants réseaux abreuvent les établissements pénitentiaires de produits et substances théoriquement exclus de ces murs. Les équipes de Ligne Rouge de BFMTV ont enquêté sur ces trafics derrière les barreaux, où on s'arrange discrètement dans le dos de la loi.

Un mur d'enceinte de six mètres de haut, des grillages, des barbelés, des miradors et des agents armés jusqu'aux dents. D'extérieur, la prison de Bordeaux-Gradignan a des allures de forteresse. Mais à l'intérieur, qui fait vraiment la loi?

Stupéfiants à gogo, armes blanches, corruption... Les équipes de Ligne Rouge de BFMTV ont enquêté sur les trafics illégaux au cœur même des établissements censés abriter ceux que la Justice a sorti du système. Des images exclusives et des témoignages anonymes qui montrent l'envers du décor, derrière des barreaux où les détenus semblent presque avoir pris le contrôle.

La porte d'entrée des produits n'est autre que... Le ciel. Des colis sont lancés dans l'enceinte, avant d'atterrir dans la cour de promenade. En théorie, des filets empêchent les livraisons des biens illégaux. Pourtant, les gardiens font état de filets percés avec des cailloux et des objets tranchants, et totalement en lambeaux.

Les colis lancés depuis l'extérieur s'agglomèrent sur le dessus du filet. Les détenus n'ont plus alors qu'à les pousser vers les trous, comme à la fête foraine, à l’aide de bouteilles ou d’un ballon de foot. "Les projections de colis se font très souvent au début des promenades. Tout ça, c'est coordonné (...) C'est organisé, rien n'est fait au hasard", commente un surveillant pénitentiaire sous couvert d'anonymat.

Le chef de ces lieux est surnommé Tony Montana par les surveillants. Extrêmement respecté et redouté à Gradignan, il gère une bonne partie des projections et des trafics en détention. "Les prisons sont devenues des points de deal", observe le surveillant, évoquant une "petite mafia" dans l'enceinte même de l'établissement.

Certains tentent même de grimper sur les barbelés, sans gants, au mépris du danger, juste sous les yeux des gardiens. "On a interdiction d'intervenir (...) On est spectateurs de la situation, on ne peut pas agir, ils sont trop nombreux. On ne peut rien faire", témoigne-t-il, impuissant. Les gardiens ne peuvent intervenir que dans les cas extrêmes, sur l'ordre du directeur, avec une équipe spécialement formée.

"C'est un téléphone qui ne sonne pas aux portiques"

Mais que contiennent toutes ces livraisons clandestines? De la viande, des scies, des couteaux en céramique et une quantité phénoménale de drogues. Dans les 180 prisons de France, des astucieux systèmes permettent aux stupéfiants de circuler au nez et à la barbe du système carcéral. "Ça arrive de partout (...) je ne donnerais pas de chiffre", reconnaît Arnaud Moumaneix, le directeur de la prison.

Une direction, un système de livreurs, de garage, de distributeurs... De nombreuses petites mains se partageant un business juteux. "100 grammes de cannabis… Dehors ça vaut entre 300 et 500 euros, d'accord? En détention, c'est entre 1.500 et 2.000 euros", nous explique un détenu.

L'autre fléau: les téléphones. Devant notre caméra, le député Alain David (4e circonscription de la Gironde) interroge les détenus en présence du chef d'établissement. "Je ne vais pas vous demander si vous avez des téléphones portables", lance le député à des détenus. "Même si on en a, on ne va pas le dire", s'en amusent-ils, tant la problématique est connue de tous. La prison est pourtant dotée de portiques.

"Personne ne peut passer des téléphones par ici?", interrogent nos équipes. "Et bien, non", répond le directeur.

Et pourtant. En quelques clics à peine, nous avons pu nous prodiguer des appareils indétectables. Des sites arborant fièrement une promesse "site spécial détenus" mettent à la vente ces téléphones minuscules, contenant très peu de métal pour passer sous les radars. Un business qui rapporte et serait tenu par un ancien détenu. Produits en Chine, selon les modèles, ils sont revendus entre 29€ et 159€.

"C'est un téléphone qui ne sonne pas au portique, il faut qu'il soit déchargé complètement, pas de métal, pas de fermeture éclair, pas de bouton de jean, rien d'autre avec vous", explique le vendeur dont le business lui aurait rapporté 150.000€ rien qu'en 2023. Nos équipes se sont procuré deux de ces téléphones. Résultat: les appareils n'ont pas sonné aux portiques de sécurité.

Corruption, menaces: un système à bout de souffle?

Mais que se passe-t-il dans les prisons? Les surveillants ne peuvent-ils plus assurer l'ordre dans leur propre cours? Avec un revenu moyen de 2.200 euros mensuels, ils sont très nombreux à reconnaître avoir été approchés par des trafiquants, cédant à l'occasion à l'appât du gain.

"C'est arrivé dans ma carrière à plusieurs reprises que les détenus me proposent de l'argent", témoigne l'un d'entre eux, qui se souvient d'avoir été approché à la période de Noël alors qu'il était un jeune surveillant. "Le détenu a compris et je lui ai dit clairement de faire passer le message à tout le monde: je ne suis pas comme ça".

Mais tous ne tiennent pas bon. Une minorité d'entre eux craque au fur et à mesure que la somme proposée contre un service ou la promesse de fermer les yeux augmente. Des propositions de plusieurs centaines d'euros. "Ils savent vous parler, vous mettre à l'aise", commente un "maton".

L'une des victimes et complice de ce système, Gilles, témoigne d'un quotidien d'alcool et de drogues, qui l'ont poussé à craquer. "Le petit déj' c'était café-whisky, café-whisky. Et pendant que je buvais mes café-whisky, c'est pétard, pétard, pétard, pétard. Et quand j'arrive à la prison, je suis complètement éclaté (...) Tout le monde savait...", témoigne-t-il. Tout le monde le sait? Oui, même les détenus, qui lui proposent de la drogue pas chère, voire gratuite. Depuis, il a été révoqué.

Mais ce ne sont pas que des cadeaux. Ce sont aussi des menaces. Un gardien raconte avoir subi des tirs de Kalachnikov devant chez lui, sur sa voiture. Une autre a été mise sous protection policière, car trop menacée. Ces trois dernières années, les agressions de surveillants ont quasiment doublé. Près de 5.000 victimes, soit plus d'un agent sur 10.

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