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Police-Justice

"C'est dur à encaisser": 30 ans après, les policiers qui ont découvert le massacre de l'Ordre du temple solaire témoignent

Les corps découverts dans le charnier de Cheiry (Suisse), le 5 octobre 1994.

Les corps découverts dans le charnier de Cheiry (Suisse), le 5 octobre 1994. - Damien Meyer

La découverte en octobre 1994 de chalets incendiés en Suisse ont révélé au public l'existence de l'Ordre du temple solaire, une secte qui fera plusieurs dizaines de victimes également en France et au Canada.

Un incendie pour camoufler des massacres. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1994, les pompiers et autorités suisses interviennent sur le secteur de la commune de Cheiry, dans le canton de Fribourg. Sur place, une ferme - La Rochette - est en proie aux flammes. Dans le sous-sol de celle-ci, ce sont 23 corps qui sont découverts, dans un lieu totalement réaménagé en crypte.

Deux enquêteurs racontent à La Tribune de Genève leur expérience sur le lieu du drame et l'impact de cette découverte sur leur carrière.

Pierre Nidegger, ancien chef de la police judiciaire du canton, décrit son arrivée à la ferme. Lorsqu'il entre dans le garage "transformé en local aménagé", il y découvre des vêtements, des accessoires et aussi des pièces d'identité. "Mais personne" n'est présent.

"On a sondé les murs. D'un coup d'épaule, j'ai ouvert une porte dérobée. Et là, j'ai aperçu un corps. Je me suis écrié: ils sont tous là! J'ai encore cette phrase dans la tête, elle m'a marqué", décrit-il encore à La Tribune de Genève.

"Meurtre de masse"

Christian Brügger, à l'époque chef du service d'identification judiciaire, est alors dépêché sur place. Il pense au départ à "un accident, un chauffage au monoxyde de carbone qui aurait mal fonctionné ou à un suicide collectif" mais une fois arrivé sur les lieux, il est interpellé par l'environnement "glauque et particulier (...) l'endroit, près d'une forêt, était isolé."

Sur place, des systèmes de mise à feu à distance sont retrouvés ainsi que des douilles. Les victimes, elles, gisent dans le local secret découvert par Pierre Nidegger.

"Il y avait des protocoles pour des barrages qui sautent, pour tout ce qu'on veut. Mais pour un constat de meurtre de masse avec 23 cadavres, il n'y avait rien", témoigne-t-il.

"Dur à encaisser"

Christian Brügger se souvient de la mise en scène: des cadavres aux capes et symboles particuliers, disposés par terre "de façon à former une étoile". Dans d'autres salles découvertes, des jeux de miroir sont révélés aux enquêteurs.

Au même moment, un incendie se déclare dans trois chalets, cette fois-ci à Salvan dans le canton du Valais. Là bas, ce sont non pas 23 mais 25 corps qui seront découverts. Tous les déclenchements de départs de feu ne fonctionnent pas et les enquêteurs font un lien entre ces deux incendies: l'ordre du Temple solaire (OTS), un groupe religieux considéré a posteriori comme une secte et réunissant plusieurs centaines d'adeptes en Suisse mais aussi en France et au Québec.

"Si l'affaire de l'OTS éclatait aujourd'hui, les policiers auraient des débriefings avec des psychologues (...) 23 victimes d'un coup, c'est dur à encaisser", reconnaît Pierre Nidegger.

"Nous étions nombreux sur cette affaire: près de 160 entre Fribourg, Vaud et le Valais. Autant d'occasions pour partager notre émotion, pour discuter, même pour rire parfois", confie Christian Brügger qui évoque "l'enquête d'une carrière". Pour Pierre Nidegger, lui, ce sera même "l'enquête d'une vie".

Des liens seront établis avec de précédents faits divers et deux suicides collectifs surviennent même quelques années plus tard, dont celui du Vercors qui fera 16 victimes en 1995. Au total 74 adeptes de l'ordre du Temple solaire trouveront la mort entre 1994 et 1997.

Hugues Garnier Journaliste BFMTV