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TOUT COMPRENDRE - Comment l'exportation de céréales depuis l'Ukraine est devenue une arme de guerre

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Plus de 20 millions de tonnes de céréales ne peuvent être exportées du fait du blocage du port d'Odessa. La situation risque de provoquer des famines et des crises alimentaires. En retour des exportations de céréales, la Russie réclame le desserrement des sanctions.

La reprise des exportations de céréales depuis l'Ukraine est "une question de vie ou de mort" et nous avons "espoir" qu'un accord soit trouvé cette semaine pour débloquer le port d'Odessa, a déclaré lundi le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

"La vie de (...) dizaines de milliers de personnes dépend de cet accord" en train d'être négocié entre la Russie, l'Ukraine, la Turquie et les Nations Unies, a-t-il expliqué à son arrivée à Bruxelles pour une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE consacrée à la guerre en Ukraine.

Lors d'une conférence, la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen accuse Vladimir Poutine d'"utiliser la nourriture comme une arme de guerre". Elle accuse le Kremlin non seulement de bloquer les ports de la mer Noire, mais aussi de détruire des infrastructures agricoles de l'Ukraine et de voler les céréales et les équipements agricoles.

Des témoignages affirment aussi que les troupes russes incendient notamment les champs de céréales ukrainiens

• Quels pays dépendent de ces céréales?

Ces exportations de blé, maïs et tournesol nourrissent quelques 400 millions de personnes dans le monde. Parmi les pays les plus dépendants des céréales d'Ukraine ou de Russie, la Somalie, le Pakistan qui importent plus de 80% de blé depuis l'Ukraine. Le Liban importe plus de 60% de son blé. En Afrique, la Tunisie, l'Algérie et la Libye sont à plus de 40% de blé en provenance d'Ukraine.

Egalement touchés, le Kazakhstan, de l'Azerbaïdjan, de la République démocratique du Congo ou Madagascar. La moitié du maïs européen importé vient d'Ukraine. Les pays africains accusent l'Union européenne de contribuer par ses sanctions à la crise alimentaire mondiale en cours.

"L’Afrique est l’otage de ceux qui ont commencé la guerre contre notre État", avait dénoncé Volodymyr Zelensky en juin dans un discours en visioconférence adressé aux membres de l’Union africaine (UA).

• Où sont bloqués ces millions de tonnes de céréales?

Les céréales sont bloquées dans les ports, mais surtout dans les centaines de silos de stockage répartis dans toute l’Ukraine. Il y a entre 20 et 25 millions de tonnes en attente. D'ici à l'automne, ce chiffre pourrait tripler. Si la situation perdure, ces stocks pourraient pourrir sur site.

Or, la flotte russe de la mer Noire bloque le port d'Odessa et paralyse les exportations. Les navires russes sont autorisés à entrer dans les ports de l'UE s'ils transportent de la nourriture ou des médicaments. Mais des courtiers ont bloqué les exportations de produits alimentaires en provenance de certains ports russes qui sont indirectement la propriété d'entreprises publiques russes sanctionnées par Bruxelles.

• Quelles conséquences?

Ce blocage menace de nombreux pays de graves crises alimentaires risquant de créer des crises politiques. Selon Anthony Blinken, secrétaire d'Etat américain, les troubles au Sri Lanka pourrait être un contrecoup du blocus alimentaire russe.

"Nous voyons l'impact de cette agression russe se manifester partout. Elle a peut-être contribué à la situation au Sri Lanka. Nous sommes préoccupés par les implications dans le monde entier", a déclaré Anthony Blinken lors d'une conférence de presse à Bangkok la semaine dernière.

L'Unicef lance un cri d'alarme pour l'Afrique et fait un appel de fonds d'urgence pour aider les populations mennacées par la famine.

L'Ukraine représente 12% des exportations mondiales de blé, près de 20% en maïs et et 20% en colza. Pour le tournesol, elle pèse près de la moitié des exportations mondiales. Enfin, l’Ukraine représente 3% des surfaces mondiales de blé et la Russie 13%. L’Ukraine exporte 18 millions de tonnes de blé et la Russie 34 millions de blé (contre 20 millions de tonnes pour la France). Depuis le début du conflit, le prix du blé a augmenté de 60%. La hausse est de 75% pour le tournesol.

Le blé n'est donc pas le seul problème. Le maïs et de l'orge sont indispensables pour l'alimentation animale. L'Ukraine et la Russie sont aussi des producteurs clés d'engrais phosphatés nécessaires dans de nombreux pays pour les prochaines récoltes.

L'Union européenne a accusé la Russie de commettre un "véritable crime de guerre" en bloquant des exportations de céréales ukrainiennes au risque d'aggraver la menace de famine dans le monde.

• Quelles options pour débloquer la situations?

L'option militaire qui consisterait à escorter les vraquiers par des navires de guerre a été écartée pour ne pas étendre le conflit.

Tant que les sanctions sur la Russie ne seront pas levées, la Russie maintiendra le blocus du port d'Odessa. Avec les Etats-Unis et en coordination avec l'ONU, l'Union européenne cherche des solutions pour permettre la livraison des céréales d'ici à la fin du mois de juillet. Les options passent bien sûr par Odessa, mais aussi par voie terrestre par la Roumanie, la Pologne ou le Bélarus.

Mais toutes présentent des risques importants pour la sécurité et impliquent une logistique complexe. L'opérateur ferroviaire allemand Deutsche Bahn s'est dit prêt à accélérer les exportations via son réseau ferroviaire pour les acheminer vers des ports en Pologne, aux Pays-Bas ou en Allemagne. Mais le rail permet seulement de faire sortir une à deux millions de tonnes d'Ukraine chaque mois.

La Turquie, membre de l'Otan et alliée des deux belligérants, multiplie depuis des mois les démarches diplomatiques pour faciliter la reprise des livraisons. Des responsables turcs ont assuré disposer de 20 cargos en mer Noire prêts à être rapidement chargés de céréales ukrainiennes.

• La proposition du Kremlin

Vladimir Poutine accuse les Occidentaux de faire du "bluff" en accusant Moscou d'empêcher les exportations de céréales d'Ukraine. Il a mentionné la possibilité d'exporter via les ports ukrainiens de Marioupol et Berdiansk, situés sur la mer d'Azov, qui donne accès à la mer Noire, et conquis par Moscou lors de son offensive.

"Il n'y a pas de problème pour exporter les céréales d'Ukraine", a-t-il déclaré, dans une interview télévisée.

Face aux risques d'insécurité alimentaire voire de famine pure et simple que fait peser la guerre en Ukraine sur certains pays, notamment africains, la Russie joue désormais l'apaisement. Tout du moins, en façade : la Russie veut obtenir en retour d'une exportation de céréales, le desserrement des sanctions.

Vladimir Poutine a ainsi appelé mardi soir à lever les restrictions occidentales sur les céréales russes, pour obtenir des avancées dans l'exportation de la production agricole ukrainienne, actuellement bloquée dans le pays à cause de l'offensive du Kremlin.

"Nous faciliterons l'exportation des céréales ukrainiennes, mais en partant du fait que toutes les restrictions liées aux livraisons aériennes à l'export des céréales russes soient levées", a affirmé le président russe, après des pourparlers à Téhéran.
Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco