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"L'Europe arrive demain": après le Japon, Trump pense pouvoir convaincre l'UE de rapidement signer (avec un taux de droits de douane qui risque de faire mal)

Le président américain Donald Trump sur le perron de l'Elysée avec Emmanuel Macron le 7 décembre 2024.

Le président américain Donald Trump sur le perron de l'Elysée avec Emmanuel Macron le 7 décembre 2024. - JULIEN DE ROSA

Les discussions entre Bruxelles et Washington entrent dans une phase décisive alors qu'elles doivent s'achever avant le 1er août. La France et l'Allemagne menacent clairement Donald Trump de riposter à une hausse unilatérale des droits de douane.

"L'Europe arrive demain, et le lendemain, nous en avons d'autres qui arrivent", a glissé Donald Trump ce mardi 23 juillet, après avoir annoncé la conclusion d'un accord avec le Japon sur les droits de douane.

Sous pression depuis plusieurs semaines et dans une situation économique délicate en raison d'une inflation persistante (3% en 2024), Tokyo a finalement consenti à payer des droits de douane de 15% sur la plupart des produits, dont les automobiles, sauf l'acier et l'aluminium qui resteront ponctionnés à 50%.

Le président américain avait menacé le Japon, première source d'investissements étrangers aux États-Unis et dépendant de Washington sur le plan militaire, de droits de douane à 25%.

Les termes de cet accord pourraient servir de cadre de discussion entre Washington et Bruxelles, alors que les discussions doivent s'achever d'ici le 1er août.

"Les droits de douane de 15 % imposés au Japon constituent un modèle bien plus probable pour l'UE que l'accord entre les États-Unis et le Royaume-Uni", observe sur X l'économiste Sander Tordoir, du Center for European Reform (CER), un institut de recherche européen.

"Le Royaume-Uni est un nain industriel (avec des têtes couronnées et des terrains de golf que Trump apprécie). L'UE ressemble davantage au Japon: le bloc se verra imposer des droits de douane plus élevés, sous peine de devoir prendre le risque de riposer", poursuit l'économiste.

Trump ne cède rien

Il y a encore quelques semaines, Bruxelles espérait pourtant obtenir un deal plus favorable que celui trouvé par le Royaume-Uni, avec des droits de douane de 10% sur la plupart des produits. "Je n'appellerais pas cela un accord commercial du tout", réagissait mi-mai le ministre suédois du Commerce, qui menaçait l'Oncle Sam de mesures de rétorsions.

Mais la défense des intérêts européens n'a pas progressé depuis. Pire, la position américaine s'est durcie et l'UE ne semble pas avoir réussi à obtenir de concessions majeures.

Dans un brutal coup de pression, Donald Trump a même menacé l'Union de porter les droits de douane à 30% dès le 1er août, quand ils n'étaient que de 2,5% en moyenne avant son retour au pouvoir. Selon Goldman Sachs, cela pourrait causer une baisse d'1,2% du PIB européen d'ici à la fin 2026 et donc gripper très sérieusement une croissance déjà fragile.

"Les États-Unis cherchent un accord asymétrique", a leur seul avantage, a rappelé mardi Marc Ferracci, le ministre de l'Industrie, en pointant le "danger mortel" que cela pourrait représenter pour certaines filières industrielles françaises.

Riposte suspendue

Les Européens sont désormais devant un choix complexe. "L'UE préfera-t-elle se contenter d'un tarif de base similaire de 15 % ou tenter sa chance le 1er août et risquer un cycle d'escalade?", résume l'économiste Brad Setser, spécialiste du commerce international au Council on Foreing Relations, un centre de recherche américain, sur X.

Donald Trump a déjà assuré qu'il porterait les barrières douanières au-delà de 30% si l'UE tentait de se défendre.

Depuis plusieurs semaines, la France pousse toutefois en ce sens, réclamant notamment l'usage de "l'instrument anti-coercition", créé en 2023 par l'UE précisément pour ce type de situation. L'Allemagne, qui était jusqu'ici partisane d'une ligne plus accomodante avec Trump, se serait désormais rapprochée de la position tricolore selon le Financial Times.

Le quotidien britannique relève toutefois "qu'une majorité silencieuse" d'États membres semblent opposés au déclenchement de ce qui est présenté comme un "bazooka commercial".

Ces positions différentes s'expliquent largement par la structure de l'économie des différents pays européens.

La France, en voie de désindustrialisation avancée, affiche un solde commercial déficitaire avec les États-Unis (elle importe plus qu'elle n'exporte), contrairement à l'Allemagne qui a dégagé l'an passé un excédent record, et qui a besoin du marché américain pour assurer la survie de son industrie de plus en plus fragilisée.

Des listes de produits américains susceptibles d'être frappés de contre-mesures ont été préparées. Si un riposte était décidée, 90 milliards d'euros de marchandises seraient concernés, surtout dans l'aéronautique, l'automobile et le matériel médical. Selon Bloomberg, ils pourraient être soumis à une taxe de 30% si aucun accord n'était trouvé.

Un coût plus élevé pour l'Europe

Avant l'UE, la Chine a réussi à infléchir la fureur du président américain. Pour cela, elle a notamment restreint l'exportations de terres rares, sur lesquelles elle dispose d'un presque monopole. Ces matières premières sont absolument essentielles au fonctionnement de l'économie américaine et même à sa puissance militaire. Pékin produit la quasi-totalité du samarium utilisé dans les missiles et les avions de combat américains a rapporté une enquête du New York Times.

L'UE n'a probablement pas de moyen de pression de ce type. Et elle est dans une situation très différente de la Chine, qui s'est préparée de longue date à une escalade des tensions avec les États-Unis et a engagé des efforts colossaux pour réduire ses dépendances.

Certains observateurs estiment malgré tout que l'Europe devrait répondre. Olivier Blanchard a ainsi appelé à "des représailles intelligentes même si elles conduisent à des situations économiques et géopolitiques dangereuses à court terme".

Dans cette entreprise, l'ancien chef économiste du FMI a plaidé pour que l'UE s'associe avec d'autres pays comme le "Japon, le Canada, le Brésil et quiconque souhaite y participer" afin "d'amener les États-Unis à une position raisonnable".

Quoi qu'il arrive, il est probable que l'UE subira un tribut plus important que son allié américain.

"Sans représailles, le coût du protectionnisme américain est pour les États-Unis faible, proche de zéro. Avec les représailles européennes, ce coût devient significatif pour les États-Unis, même si le dommage reste au final deux fois plus élevé pour l’Union européenne", relevait le Cepii (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) dans une note publiée en mai dernier, qui envisageait les effets d'économique d'une réponse de l'UE.

Pierre Lann