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Après deux ans de récession, l'Allemagne cherche un remède pour relancer une économie en souffrance

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Entrée en récession en 2023, l'Allemagne peine à retrouver son dynamisme économique et voit son industrie s'enfoncer dans la crise. Le prochain gouvernement aura pour mission d'adapter, voire de transformer un modèle à bout de souffle.

C’est une scène peu habituelle outre-Rhin. Devant la Porte de Brandebourg le 29 janvier dernier à Berlin, quelque 400 dirigeants d’entreprises se sont rassemblés à l’appel d’une centaine de fédérations patronales. La manifestation avait pour objet d’alerter sur le "déclin" de l’économie allemande et d’exiger du personnel politique des réformes urgentes alors que se profilent des élections législatives anticipées ce dimanche 23 février, trois mois après l’implosion de la coalition d’Olaf Scholz.

Cette mobilisation inédite des patrons est révélatrice des profondes inquiétudes qui pèsent sur le moral des acteurs économiques en Allemagne. Il faut dire que la "locomotive de l’Europe" a nettement perdu de son allant ces derniers mois, elle qui a vu son PIB se contracter pour la deuxième année consécutive en 2024 (-0,2%), après -0,3% en 2023. Et le bout du tunnel semble encore loin alors que le gouvernement a abaissé sa prévision de croissance pour 2025 à 0,3%, au lieu de 1,1%. Avec un tel niveau, le pays sortirait certes de la récession, mais s’enliserait dans une "situation de stagnation" qui dure depuis 2018, a reconnu le vice-chancelier et ministre de l’Économie Robert Habeck.

Un modèle dépassé?

Pour le bureau d'études Oddo BHF, l’Allemagne a cumulé en sept ans "un retard de croissance de plus de 8 points par rapport au reste de la zone euro". Signe que les prémices de l’affaiblissement de la première économie du continent remontent au-delà de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine.

Ces événements ont néanmoins mis en lumière les fragilités structurelles d’un modèle industriel et exportateur considéré jusqu’alors comme le pilier du "miracle économique" allemand. Perte de compétitivité à l’échelle internationale face à la concurrence accrue de la Chine, fin de l’énergie bon marché et dépendance aux énergies fossiles, manque de main-d’œuvre et de compétences… L’industrie qui pèse près d’un quart du PIB outre-Rhin illustre à elle seule les faiblesses de ce modèle manifestement inadapté aux nouvelles réalités de l’économie mondiale.

Et elle en paye le prix fort. En dix ans, la production industrielle allemande a chuté de 10%. L’envolée des coûts de l’énergie (+50% pour l’électricité en 2024 par rapport à la moyenne des 10 dernières années, +90% pour le gaz) depuis le début de la guerre en Ukraine a en effet poussé de nombreuses entreprises du secteur à réduire leur activité, voire à délocaliser. Symbole de la puissance industrielle de l’Allemagne, l’industrie automobile a de son côté pâti de l’arrivée des voitures chinoises à bas prix sur le marché. "La Chine a été pendant vingt ans le marché d’exportation le plus dynamique, elle est devenue le concurrent le plus redoutable sur certains biens, comme l’automobile", souligne Oddo BHF, ajoutant que la Chine ne représente plus que 6% des exportations de marchandises allemandes, contre 10% en 2020.

L’industrie taille dans ses effectifs

À 6,2% de la population active, le taux de chômage en Allemagne est resté globalement stable ces derniers mois.

Pourtant, "la peur de perdre son emploi revient en force", assurait le magazine Der Spiegel il y a quelques semaines.

En cause: les annonces successives de grands groupes industriels contraints de tailler dans leurs effectifs pour faire face aux difficultés du secteur. Volkswagen prévoit notamment de supprimer plus de 35.000 emplois dans le pays d'ici 2030. Dans le même groupe, Porsche a dit cibler 1.900 postes. Bosch qui a déjà réduit ses effectifs de 7.000 postes vise 5.550 suppressions supplémentaires, principalement en Allemagne. De son côté, le géant pharmaceutique Bayer a déjà annoncé une "réduction significative" de ses effectifs dans le monde.

L’industrie n’est pas la seule touchée. Au dernier trimestre 2024, les défaillances d’entreprises ont atteint un record depuis 2009 outre-Rhin, à 4.215, selon l'Institut Halle pour la recherche économique. Or la progression la plus marquée des faillites s’observe dans les services (+47% sur un an), contre +32% dans le secteur industriel.

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Des finances publiques saines au service de la relance économique?

Si son modèle industriel semble à bout de souffle, l’Allemagne conserve une tradition de sérieux budgétaire qui rassure en ces temps troublés. En 2024, son déficit public était proche de 2% et sa dette estimée à moins de 63% de son PIB. De quoi faire pâlir la France. Il faut dire que notre voisin dispose d’une règle d’or qui limite les capacités d’emprunts de l’État fédéral et donc les dépenses publiques: c’est le "frein à l’endettement".

C’est ce même dispositif qui a été à l’origine de l’implosion de la coalition d’Olaf Scholz, certains membres du gouvernement souhaitant l’assouplir quitte à laisser filer les déficits, quand d’autres jugeaient cette remise en cause inacceptable. Aujourd’hui, plusieurs voix s’élèvent, en particulier du côté des sociaux-démocrates et des Verts, pour appeler à se débarrasser du "frein à l’endettement" ou, à défaut, à le réformer afin de permettre à l’État d’investir davantage dans la relance de l’économie et la transformation du modèle allemand. Parti favori des sondages pour les élections législatives anticipées, la CDU se montre beaucoup plus ambiguë sur le sujet.

Adapter ou transformer le modèle allemand

Au-delà de la question du "frein à l’endettement", le parti social-démocrate SPD comme les conservateurs de la CDU proposent, dans le cadre de la campagne des législatives, diverses mesures fiscales visant à relancer la compétitivité de l’Allemagne sur la scène internationale. Insuffisant pour Elisa Goudin-Steinmann, maîtresse de conférences en études germaniques à la Sorbonne Nouvelle: "Il y a un mal profond qui est le modèle économique allemand. Ses fondamentaux ne correspondent pas au futur: la voiture, un modèle basé sur l’énergie infinie et pas chère… Il faut se réinventer, ce n’est pas en baissant les impôts qu’on va tout résoudre", explique-t-elle sur BFM Business. Une nécessité d’autant plus urgente selon elle que le retour du protectionnisme à certains endroits du globe et les menaces de droits de douane de Donald Trump risquent de fragiliser un peu plus le modèle exportateur allemand.

Pour l’économiste Philippe Crevel, l’Allemagne peut envisager de transformer son modèle en profondeur, notamment grâce à son tissu de nouvelles entreprises capables de répondre aux "besoins changeants de l’économie mondiale". "En 2024, plus de 2.700 startups ont été créées en Allemagne, soit environ 11% de plus qu’en 2023. Entre 2015 et 2019, les investisseurs en capital-risque ont investi moins de 5 milliards de dollars (soit environ 0,14% du PIB) par an en Allemagne. Depuis, ce chiffre est passé à 11 milliards de dollars (soit 0,2% du PIB) en moyenne par an", rappelle-t-il dans une note publiée début février. D’après lui, cette transformation "risque de pénaliser les régions industrielles" mais, rappelle-t-il, "la destruction créatrice est rarement agréable". Elle est surtout "nécessaire pour garantir, à terme, la pérennité du modèle allemand".

Au contraire, Isabelle Bourgeois, chargée de recherches au Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC), estime que la relance doit se concentrer sur l’industrie. "Ces derniers temps, on assiste à beaucoup de belles paroles autour des nouveaux services, du numérique… Oui bien sûr, le numérique est important, mais la base de la croissance dans notre vieille Europe, en comparaison aux États-Unis, c’est l’industrie, et elle pèse lourd en Allemagne. (…) C’est le cœur du moteur", souligne-t-elle. Et plus que Volkswagen, Bosch et consorts, c’est le "tissu très dense de PME", parmi lesquelles "des champions mondiaux", qu’il faut soutenir car "ce sont eux qui donnent l’emploi, sont innovants et compétitifs".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco