TOUT COMPRENDRE. Qu'est-ce que l'"instrument anti-coercition", ce "bazooka commercial" de l'UE que la France voudrait dégainer contre les États-Unis?

Les jours passent et toujours pas de fumée blanche. Agacé de voir les négociations avec l'Union européenne patiner, Donald Trump a menacé la semaine dernière le bloc des 27 de droits de douane de 30% sur toutes les importations venant de l'UE à compter du 1er août si aucun accord n'est trouvé d'ici-là.
Une intimidation à laquelle Bruxelles n'entend pas céder. Si la Commission européenne espère toujours une solution négociée, elle a déjà préparé sa riposte en listant 100 milliards d'euros de produits américains (avions, voitures, bourbon...) qu'elle pourrait taxer en retour. Insuffisant toutefois pour la France qui plaide pour une réaction beaucoup plus forte de l'UE qui devrait selon elle dégainer l'arme ultime: "l'instrument anti-coercition" (ACI).
"La position de l'Europe doit être une position de négociation mais également une position de fermeté. (...) Nous devons désormais changer de méthode", a déclaré ce mardi le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, évoquant la nécessité de "déclencher un certain nombre de mesures de riposte" contre les États-Unis en l'absence d'accord.
"Cela signifie mobiliser des outils qui n'ont pas été mobilisés jusqu'à présent et en particulier l'outil anti-coercition (...)", a-t-il dit.
Surnommé "bazooka commercial", l'ACI dont s'est dotée l'UE fin 2023 n'a en effet jamais été utilisé. Il faut dire qu'il s'agit avant tout d'une arme "de dissuasion" visant à contraindre les pays tiers à régler les conflits commerciaux par la négociation, comme l'explique le Parlement européen sur son site. Mais dans le cas où les voies diplomatiques seraient épuisées, l'ACI peut être utilisé en guise de représailles. Le dispositif prévoit dès lors une série de mesures parfois très lourdes (priver un pays de l'accès de au marché unique) qui doivent permettre une réaction rapide, ciblée et proportionnée dans le cas où les 27 seraient la cible de "coercition économique".
• Qu'entend-on par "coerciation économique"?
La Commission européenne précise que la "coercition économique" correspond à "une situation dans laquelle un pays tiers cherche à faire pression sur l'Union européenne ou un État membre pour qu'ils fassent un choix particulier en appliquant ou en menaçant d'appliquer des mesures affectant le commerce ou les investissements".
"De telles pratiques interfèrent indûment avec les choix souverains légitimes de l’Union européenne et de ses États membres", poursuit l'institution. Dans le cas du litige avec les États-Unis, les menaces de droits de douane de Donald Trump semblent entrer dans le cadre de cette définition.
• Combien de temps pour le mettre en place?
Pour statuer sur le caractère coercitif d'une politique menée par un pays tiers contre l'UE, la Commission européenne doit d'abord mener une enquête. "La question de savoir si une mesure d’un pays tiers remplit ces conditions (de coercition économique) sera déterminée au cas par cas", précise-t-elle.
Si elle décidait d'activer l'ACI pour riposter face aux États-Unis, cela prendrait donc sans doute plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant d'être pleinement opérationnel, rappelle Bloomberg. Notamment parce que la Commission devra soumettre sa proposition de dégainer cet outil au Conseil européen qui aurait alors dix semaines pour valider ou non sa décision.
Ces mesures de rétortion devront par ailleurs être adoptées à la majorité qualifiée. Autrement dit recueillir l'accord d'au moins 55% des États membres représentant au moins 65% de la population de l'UE.
• Quelles mesures possibles à l'encontre des États-Unis?
L'instrument anti-coercition permet de recourir à un large éventail de mesures. Si elle juge que les États-Unis exercent une pression injustifiée contre l'UE, la Commission pourrait, en plus de l'application de droits de douane, imposés des quotas visant plusieurs secteurs, y compris les services dont les services numériques.
Elle peut aussi aller beaucoup plus loin en restreignant voire en interdisant l'importation de certains produits américains, en suspendant l'autorisation d'exercer à certaines entreprises américaines sur le marché unique qui demeure le plus grand du monde en nombre de consommateurs, en limitant les investissements de ces entreprises ou encore en restreignant ou en gelant l'accès aux marchés publics européens.
Le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, a lui évoqué ce mardi la possibilité de mettre en place des "restrictions sur la publicité en ligne pour les plateformes numériques".
• D'où vient l'ACI?
L'instrument anti-coercition vient du règlement adopté par le Conseil européen en octobre 2023. Il a été adopté alors que l’UE est confrontée depuis quelques années à des situations de coercition économique. Notamment lorsque la Chine a exercé des pressions commerciales sur la Lituanie après que celle-ci a renforcé ses liens avec Taïwan. Ou encore lorsque la Russie a utilisé des leviers économiques comme l’énergie pour tenter d’influencer des décisions politiques européennes.