Ils ont menacé le ministère des Transports: les concurrents de la SNCF ne veulent pas opérer sur les lignes TGV non rentables

C'est peut-être une très mauvaise nouvelle pour la SNCF. Selon l'Informé, les concurrents de la SNCF sur le marché des trains à grande vitesse n'auront pas l'obligation d'opérer sur les lignes ou les tronçons de ligne non rentables afin de participer aux enjeux d'aménagement du territoire. Selon nos confrères, les acteurs en présence, l'italien Trenitalia, l'espagnol Renfe et même Velvet (ex-Proxima) qui se lancera en 2028, auraient pesé de tous leur poids, de manière unie, afin de faire renoncer le ministère des Transports, menaçant pour certains de quitter le marché hexagonal si une telle obligation leur était imposée.
Cette piste ne serait donc pas retenue dans les solutions mises en avant dans les conclusions de la conférence de financement "Ambition France Transports" qui est en train de s'achever. Car, inciter ces acteurs à opérer sur ces lignes, c'est assurer des revenus supplémentaires pour financer le réseau à travers les péages. Mais ce n'est pas le plus important.
Le ministère dément toute décision
L'idée portée par le précédent ministre des Transports, François Durovray, et reprise par son successeur, Philippe Tabarot, est d'inciter, voire de forcer les nouveaux entrants à ne pas se concentrer uniquement sur les lignes les plus rentables comme c'est le cas actuellement (Paris-Lyon, Paris-Marseille, Paris-Bordeaux), un peu comme en Espagne.
Il faut dire que compte tenu des investissements colossaux à mobiliser pour se lancer, le remplissage des trains est la clé pour atteindre une rentabilité de toute manière lointaine. Exemple avec Trenitalia qui s'est ainsi positionné sur les lignes françaises les plus profitables (Paris-Lyon et Paris-Marseille) tout comme la Renfe qui souhaite proposer des Paris-Lyon et des Paris-Marseille; tandis que Velvet entend relier Bordeaux, Rennes et Nantes depuis Paris.
"Je souhaite que les nouveaux entrants participent à ces enjeux d’aménagement du territoire. Je ne vois pas au nom de quoi ils récupéreraient uniquement les dessertes les plus rentables et ne concourraient pas aux logiques d’aménagement du territoire que nous avons tous en partage", avait lancé François Durovray à l'Assemblée nationale.
"Je m'engage à garantir une concurrence saine et équitable, bénéfique pour l'usager", a renchéri le 1er juillet dernier Philippe Tabarot.
Interrogé par BFM Business, le ministère des Transports indique qe "le sujet est pleinement pris en compte. Aucune décision n’a été arrêtée, contrairement à ce que l'article de l'Informé laisse entendre. Dans le cadre de la Conférence sur le financement des transports, le groupe de travail dédié au ferroviaire a été saisi par le Ministre afin d’engager une réflexion approfondie sur ce point. Le Ministre s’exprimera à ce sujet mercredi prochain, à l’occasion de la remise officielle du rapport de la Conférence".
De son côté, la SNCF "ne fait pas de commentaires" et dit "attendre les conclusions de la conférence de financement".
Il s'agit en réalité de préserver le modèle économique de péréquation de SNCF Voyageurs. Rappelons en effet que peu de lignes à grande vitesse exploitées par l'entreprise publique sont effectivement rentables en moyenne sur une année, entre un tiers et la moitié selon les sources. Et que l'offre TGV de la SNCF n'est absolument pas subventionnée.
La péréquation permet de maintenir les lignes déficitaires
Si l'axe Paris-Lyon est ainsi considéré comme une véritable vache à lait, d'autres sont déficitaires, la demande étant inférieure à l'offre. Pour autant, l'opérateur explique depuis toujours avoir trouvé un équilibre économique entre ces lignes pour assurer sa couverture du territoire, c’est ce qu'on appelle "le phénomène de péréquation". Les lignes bénéficiaires compensent les pertes des lignes déficitaires.
"L’équilibre économique entre liaisons grande vitesse rentables et celles déficitaires d’aménagement du territoire (le principe de péréquation) est fondamental, car il engage le modèle de la grande vitesse à la française et sa contribution à l’aménagement du territoire", observe SNCF Voyageurs.
Et de poursuivre: "or cet équilibre est mis à mal par l’arrivée de nouveaux opérateurs ferroviaires sur le marché qui vont naturellement ne se positionner que sur les dessertes rentables."
"La réponse n'est pas entre nos mains mais l'ouverture à la concurrence ne doit pas être antinomique avec l'aménagement du territoire", ajoute Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs. Le risque est de voir la SNCF abandonner certaines dessertes trop dans le rouge comme Paris-Chambéry, Paris-Nancy, Paris-La Rochelle... à cause de la concurrence des nouveaux opérateurs qui font baisser mécaniquement ses profits sur les lignes rentables.
"Il est impératif de garantir le maintien des lignes à grande vitesse desservant les villes moyennes, sous peine d’accentuer la fracture territoriale", souligne ainsi Jean-François Longeot, sénateur du Doubs (Union Centriste) et président de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
"Le gouvernement prend la SNCF pour la vache à lait du système ferroviaire"
Si ce renoncement se confirme, c'est un scandale pour Sud Rail. "Une concurrence dont les règles ne sont pas les mêmes pour tous, fera de nombreux dégâts. Or, obliger la SNCF à assurer des missions de service public en desservant des gares et des lignes TGV non rentables, tout en autorisant ses concurrents à se limiter aux lignes et dessertes qui le sont, c'est une grave distorsion a la concurrence", nous explique Fabien Villedieu.
"Au final, c'est l'opérateur histoire qui se retrouve volontairement affaibli. Pour y faire face la SNCF risque de n'avoir d'autre choix que de supprimer des gares et lignes TGV (on estime que 66 gares sont non rentables soit un tiers des gares TGV en France), tout en accentuant la pression sur les prix, comme sur les conditions sociales des cheminots. Le gouvernement prend clairement la SNCF et ses cheminots pour les vaches à lait du système ferroviaire".
Pour autant, la concurrence a des arguments à faire valoir. D'abord, le cadre de l'ouverture à la concurrence des lignes à grande vitesse est dite "en open access". Un nouvel opérateur fait en résumé ce qu'il veut du moment qu'il possède ses certificats de sécurité et de circulation nécessaires, du matériel roulant et des sillons réservés auprès de SNCF Réseau.
"C'est un marché libre", souligne Trenitalia
Bref, obliger les nouveaux entrants à opérer sur des lignes déficitaires est un changement des règles du jeu en cours de route et peut faire voler en éclat des modèles économiques très fragiles qui génrent des pertes d'exploitation importantes pendant les premières années.
"C'est un marché libre, s'il y a des contraintes, il faut trouver l'équilibre mais c'est un marché de libre-service", rappelle ainsi Trenitalia.
Par ailleurs, si ces nouveaux acteurs sont clairement positionnés sur les lignes les plus rentables, ils jurent dans le même temps faire ou envisager des dessertes de villes moyennes.
"La grande vitesse a vocation à relier les grandes cités mais la desserte des territoires est importante pour nous. Il faut un équilibre entre le nombre d'arrêts et le temps de parcours", explique à BFM Business, Marco Caposcuitti, président de Trenitalia France.
"On aura cette notion pour chaque ligne qu'on envisage. Ça fait partie de notre stratégie, une contribution à la dynamique des territoires. Sur nos lignes, c'est possible. On s'arrête déjà dans des villes plus petites. Cette question est présente dès le départ", poursuit-il.
Mais en réalité, ces arrêts intermédiaires restent encore limités chez l'opérateur italien. Exemple avec son Paris-Marseille qui s'arrête à Lyon-Saint Exupéry, Avignon, et Aix-en-Provence. Ils sont un peu plus nombreux vers Milan avec des arrêts à Chambéry, Saint-Jean-de-Maurienne, Modane et Oulx.
De son côté, Rachel Picard, à la tête de Velvet assure que son réseau va s'étendre et que l'opérateur "ira chercher les gens". Reste que pour le moment, seules des grandes villes seront a priori desservies (Bordeaux, Rennes, Nantes et Angers) sans s'arrêter dans les communes moyennes en cours de route puisqu'il s'agit de réaliser le plus de rotations possibles dans la journée afin de parvenir à la rentabilité.