La France freine-t-elle l'arrivée des trains espagnols Renfe à Paris?

Nouveau bras de fer entre l'Espagne et la France dans le domaine du ferroviaire. Le gouvernement espagnol a accusé ce mardi les autorités françaises de freiner l'arrivée à Paris des trains de son opérateur national Renfe, dénonçant une nouvelle fois un manque de "réciprocité" de Paris en matière de libéralisation du marché ferroviaire.
"Il est clair pour tout le monde que la France met tout en oeuvre pour empêcher un véritable processus de libéralisation sur son marché. Cela signifie que nous jouons selon des règles différentes", dénonce le ministre des Transports Oscar Puente dans un entretien accordé au quotidien El Pais.
"C'est pourquoi je suis sceptique quant à la possibilité" que les trains de la Renfe puissent assurer des liaisons avec Paris "avant décembre, ou même que nous y soyons en 2025", poursuit Oscar Puente, un socialiste proche du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez.
Des liaisons avec Paris repoussées
Dans le cadre de la libéralisation du rail européen, la Renfe a lancé en juillet 2023 des liaisons directes à grande vitesse entre Barcelone et Lyon puis Madrid et Marseille. Elle est ainsi devenue le deuxième opérateur étranger à concurrencer la SNCF, après Trenitalia depuis 2021.
L'objectif affiché était alors de pouvoir faire circuler des trains entre l'Espagne et Paris à l'été 2024, pour les Jeux olympiques. La Renfe, qui a acheté pour cela une trentaine de trains au constructeur espagnol Talgo, a depuis revu cet objectif, évoquant une arrivée en décembre.
Ces critiques ont été rejetées par la France, qui a évoqué des problèmes d'homologation de matériel roulant et de signalisation non conformes pour justifier ces lenteurs.
En effet, la Renfe aura mis presque deux ans à boucler son projet après avoir souvent lutté contre la compagnie française et l'administration.
En 2021, l'agrément que la Renfe a déposé auprès de la SNCF a ainsi été retoqué en raison "d'interférences électromagnétiques" que provoqueraient ses rames, pourtant conçues sur le même modèle que le TGV, sur le rail français. De quoi retarder son projet de plus d'un an.
L'homologation du matériel roulant constitue pour un nouvel entrant qui possède déjà ses trains à grande vitesse, à l'image de Trenitalia ou de la Renfe, une première épreuve de taille. Une épreuve qui se répète pour les nouvelles ambitions de Renfe.
Des problèmes d'homologation de trains, justifie la SNCF
Alain Krakovitch, directeur des TGV/Intercités à la SNCF rejette depuis plusieurs mois la responsabilité des difficultés de son concurrent sur Talgo, le constructeur de sa nouvelle flotte de trains à grande vitesse, dont cinq à destination de la France.
"Renfe et Talgo ont choisi de travailler avec une équipe de techniciens de sécurité autres que celle avec laquelle la SNCF avait l'habitude de travailler. Pas étonnant que ça prenne plus de temps pour approuver les nouveaux trains. Nous travaillons avec les équipes Talgo et Renfe pour résoudre ces problèmes et homologuer les trains", dit-il selon des propos repris par El Economista.
"Il m’est difficile de comprendre les accusations dont nous faisons l’objet alors que tout est très réglementé, contractualisé et transparent", poursuit-il.
De son côté, SNCF Réseau qui est l'interlocuteur des opérateurs étrangers pour réserver les sillons de circulation, assure tout faire pour accueillir la concurrence (tout en augmentant ses péages, ce qui peut être au contraire dissuasif).
"Tout ne dépend pas de nous mais nous mettons en place des conditions favorables d'accueil pour les opérateurs étrangers", explique-t-on. Selon nos informations, la procédure d'homologation pour que Renfe circule entre Paris et d'autres villes est en cours.
La SNCF opère de son côté sur le marché espagnol, via sa filiale Ouigo, depuis le printemps 2021. Ces trains à bas coût desservent notamment Barcelone (nord-est), Valence et Alicante (est) et Valladolid (centre). Des liaisons avec l'Andalousie (sud) doivent également être lancées à l'automne.
En Espagne, Ouigo accusé de dumping
L'arrivée de Ouigo - qui a été suivie fin 2022 par le lancement d'une troisième compagnie, Iryo, sur le réseau espagnol - a bouleversé le marché ferroviaire dans le pays, entraînant de fortes baisses de prix et une hausse de fréquentation sur les liaisons concernées.
Mais elle a suscité de vives crispations avec Madrid, pour qui Paris ne joue pas en retour le jeu de la concurrence.
"C'est l'un des problèmes de la libéralisation ferroviaire: il n'y a pas eu de réciprocité", insiste dans son entretien Oscar Puente, qui dénonce par ailleurs depuis plusieurs mois la politique tarifaire de Ouigo, accusée de vendre à perte ses billets pour accroître sa part de marché en Espagne.
"C'est la première fois qu'on nous reproche des prix bas", avait alors ironisé Alain Krakovitch.