BFM Business
Entreprises

"Leur mission c'est l'intérêt de l'entreprise": l'appel du gouvernement au "patriotisme économique" face à Trump a-t-il des chances d'être entendu?

Le ministère de l'Économie et des Finances, dans le quartier de Bercy, à Paris (photo d'illustration).

Le ministère de l'Économie et des Finances, dans le quartier de Bercy, à Paris (photo d'illustration). - -

Les nouveaux droits de douane américains imposés par l'administration Trump ont été le sujet de frictions entre le pouvoir politique et de grandes entreprises.

Droits de douane, fiscalité en France, rôle de Bruxelles... Ces dernières semaines plusieurs grands patrons français ont donné de la voix face à l'exécutif à Paris et à Bruxelles, le gouvernement français préférant évoquer une "discussion de vieux couple", tout en appelant les entreprises au "patriotisme". Interrogé sur un divorce entre les patrons qui critiquent la fiscalité française et le gouvernement, le ministre de l'Économie et des Finances, Éric Lombard, estime dans La Tribune Dimanche qu'il s'agit "plutôt d'une discussion de vieux couple".

Cette semaine, alors que les publications de résultats trimestriels de sociétés et les assemblées générales se sont enchaînées, des grands patrons ont pris le contre-pied du président Emmanuel Macron, qui a demandé aux entreprises de suspendre leurs investissements aux États-Unis en attendant d'y voir clair dans la négociation commerciale avec Washington. Plusieurs grands groupes qui avaient annoncé des investissements importants n'ont depuis pas pris position sur une éventuelle suspension.

"Nous sommes dans une bataille qui vise en réalité à nous affaiblir. Nous devons protéger le modèle européen. Alors, oui, j'en appelle au patriotisme des chefs d'entreprise", a lancé Éric Lombard.

"Ils doivent travailler avec les États pour que cette bataille soit gagnée. Si elle était perdue, peut-être que telle ou telle entreprise en tirerait profit à titre individuel - ce dont je doute. Mais toute l'Europe serait perdante. Et son tissu économique aussi", estime le ministre.

Pour autant les entreprises seront-elles réceptives à cette invitation du gouvernement?

“Les dirigeants d'entreprise, leur mission c’est de faire ce qui est dans l’intérêt de l’entreprise et pas dans l’intérêt du pays d’origine de l’entreprise, explique sur RMC Alexandre Delaigue, professeur d'économie à l'université de Lille. Ça donne une certaine limite à ce qui peut être fait pour des raisons patriotiques.”

Zone de libre-échange

Bernard Arnault, PDG du numéro un mondial du luxe LVMH, qui avait dénoncé en février une taxation française pénalisant le "made in France", a mené la charge jeudi contre l'Union européenne et les "bureaucrates" de Bruxelles. L'Union européenne, selon lui, "n'est pas dirigée par un pouvoir politique (...) mais par un pouvoir bureaucratique qui passe son temps à éditer des réglementations", rendant "pas facile" la création d'une "zone de libre-échange" entre les États-Unis et l'UE – une zone à laquelle il s'est dit "favorable".

En marge de l'assemblée générale de LVMH, il a appelé les dirigeants européens à régler "à l'amiable" les tensions commerciales entre l'UE et les Etats-Unis. "Ces négociations sont vitales pour beaucoup d'entreprises en France, et malheureusement, j'ai l'impression que nos amis britanniques sont plus concrets dans l'avancée des négociations", a-t-il déploré.

En février le directeur général de L'Oréal, Nicolas Hieronimus, avait demandé que "l'État français soit au soutien de ses entreprises sur la scène internationale et en particulier face à la réglementation européenne". "Le domaine de la cosmétique est le seul domaine au monde où dans le Top 7 mondial, il y a cinq Européens", avait-il déclaré à l'AFP, "pourtant, notre industrie fait l'objet d'une multitude de réglementations qui sont handicapantes et qui peuvent le devenir de plus en plus" face à la concurrence de la Chine et des États-Unis.

Jeudi, en marge de la présentation du chiffre d'affaires de L'Oréal au premier trimestre, il a évoqué parmi les pistes pour faire face aux droits de douane américains la possibilité de relocaliser "une partie" de la production aux Etats-Unis.

"Millefeuille administratif"

Dans une interview au Figaro Magazine cette semaine, le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné s'est lui attaqué au "millefeuille administratif du pays". "Quand il faut trois ans pour faire une ferme solaire aux États-Unis, cela prend sept ans en France. Et pour un projet dix fois plus petit!", selon lui.

"Au fil des années, un État profond s'est créé en France. Les fonctionnaires ne font plus confiance aux politiques. Cela s'accélère avec les gouvernements qui chutent tous les six mois. Pourquoi écouter un ministre qui ne va pas rester? C'est un vrai problème car cela renforce le poids d'une administration qui a tendance à compliquer les choses", ajoute le PDG.

Michel-Édouard Leclerc, le président du comité stratégique des centres E.Leclerc, s'est lui positionné à rebours des acteurs industriels pré-cités: "ll ne faut pas que Bernard Arnault, que (Rodolphe) Saadé le président de CMA CGM et propriétaire du groupe RMC-BFM (qui s'est affiché début mars dans le bureau ovale avec Donald Trump pour annoncer 20 milliards d'investissements aux États-Unis sur quatre ans, ndlr) ou Schneider Electric (qui avait dit fin mars compter investir plus de 700 millions de dollars d'ici 2027 aux États-Unis, ndlr) aillent signer leur accord avant que l'Europe n'ait négocié, sinon on a l'air minable".

"Je lance un appel à Bernard Arnault: fais société, fais nation", a-t-il ajouté.

J. Br. avec AFP