"On dirait une blague de 2011 sur Facebook": plongée dans Threads, le réseau social rival de Twitter qui cultive son ennui mortel

"Threads". Le mot s'affiche en lettres capitales sous la petit icône noire en forme d'arobase. Ce logo, c'est celui du réseau social Threads, petit frère d'Instagram, lancé il y a un peu plus d'un an par Meta pour concurrencer X (anciennement Twitter).
Après un départ en trombe, 100 millions d'inscrits dès la semaine de lancement en juillet, le flot de nouveaux utilisateurs a largement ralenti. Le dernier-né de Meta compte désormais 200 millions d'utilisateurs actifs mensuels dans le monde. En comparaison, X compte environ 251 millions d'utilisateurs actifs quotidiens. Pour mieux comprendre ce qui se passe sur cette plateforme, Tech&Co a eu envie de s'y plonger.
Une plateforme liée à Instagram
A force de voir les centaines et centaines de suggestions de publications Threads qui se glissent entre les publications de notre fil d'actualité sur Instagram, la curiosité se fait ressentir d'aller au bout d'un message.
Va pour ce vague sujet sur le raccordement de fibre. "Le maître a complètement abandonné le fait de montrer à son apprenti. Je lui demande 'Bah pourquoi ça se passe mal?'", peut-on lire. La publication intrigue. Ni une, ni deux, on clique sur ce message pour avoir la suite de l'histoire.

D'un clic, nous voilà donc arrivés sur Threads, prêts à lire la réponse du technicien. "Il confond toujours visser et dévisser sur la visseuse, du coup il fait des trous partout et il n'y a rien qui tient", rapporte l'utilisateur.
Petite déception, l'histoire n'a finalement rien d'exceptionnel. Pourtant, elle récolte plus de 140 likes, grâce à l'algorithme de recommandation d'Instagram qui suggère des "threads", équivalent des "tweets".
Plus d'une centaine de likes pour une anecdote un peu fade: c'est un peu la marque de fabrique de Threads. En effet, la plateforme privilégie les discussions du quotidien, les bavardages familiaux et les potins sur les dernières séries plutôt que les contenus violents, photos pornographiques et autres actualités politiques de son principal concurrent X (ex-Twitter). Peut-être un peu trop. Car, disons-le franchement: le réseau social est d'un ennui mortel. Et c'est d'ailleurs ce que je recherche l'application.
Il suffit de jeter un oeil à l'interface. Une copie presque conforme de celle de X. Les publications (images, vidéos ou liens) se succèdent en scrollant de haut en bas dans le fil d'actualité. Il est possible de les "liker", de les partager ou de les envoyer, exactement sur le même principe que X. Quant à la longueur des publications, elle est ici fixée à 500 signes maximum, presque le double des 280 actuellement en vigueur sur X. Bref, rien de très révolutionnaire.
Psy, gynéco et moules frites
Ce qui étonne à première vue, c'est le nombre de threads où les utilisateurs racontent des anecdotes du quotidien. Au programme, des récits d'un entretien d'embauche qui se sont mal passés, la dernière crise des enfants, ce fameux rendez-vous gênant chez le gynécologue ou encore ces confessions chez le psychologue.
Comme l'histoire de cette petite fille à la plage qui se fait détruire son château de sable par son père. "Je vous jure ça m'a fait trop mal au coeur, j'avais les larmes aux yeux. Je me suis revue petite quand je faisais des choses et que mes parents les jetais à la poubelle." La publication a été likée près de 1.000 fois.

Ou cette anecdote d'une "grosse déception au resto qui propose des moules frites". Malheureusement, le plat n'est plus disponible, place donc à une salade césar, pratique pour une intolérante au gluten. Mais surprise: la salade arrive avec du poulet frit.
"Pour faire de la friture, il faut de l'oeuf, de la FARINE et de la CHAPELURE deux éléments que je ne peux pas manger. (...) Sauf qu'à aucun moment, c'est écrit sur les menus qu'il y a du poulet frit !", peste l'autrice.

Une question d'algorithme?
Quand les utilisateurs ne partagent pas leurs anecdotes de leur propre initiative, ils sont invités à le faire par d'autres internautes. "Vous pensez qu'on est encore attirante après 25 ans???", questionne l'un d'entre eux. "Le soir, vous faites quoi après une journée de travail? Je veux trop savoir", lance un autre. 56 réponses: "Je promène mon chat Noisette", "Je geek", "Je fais mon linge"...

"Threads est un espace de discussion où les utilisateurs veulent échanger, et débattre", observe Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social média OTTA. "C'est ça qui plaît."
Un autre fait marquant sur Threads, c'est la négativité des messages. Colis livré au mauvais destinataire, train bloqué pendant 3 heures entre Marseille et Paris, histoires d'infidélité et dispute sur Vinted... Rares sont les récits relatant une bonne nouvelle. Un aspect qui tranche avec Instagram, dont les publications positives et les clichés de lieux paradisiaques ont fait le succès, mais qui reste toujours plus rafraichissant que X.
Le réseau social d'Elon Musk est souvent qualifié d'anxiogène par les utilisateurs, en raison des nombres messages agressifs, les vagues de cyberharcèlement et la multitude de contenus violents. La plateforme se rapproche d'ailleurs d'une amende de l'Union européenne pour manquement aux règles européennes en matière de modération des contenus et de transparence. Le réseau est accusé de ne pas lutter assez efficacement contre la haine en ligne.
Ici, peu ou pas de grands discours sur le conflit israélo-palestinien donc, mais des anecdotes de grossesse ou des brouilles de voisinage interminables.
La faute à l'algorithme. "L'algorithme met en avant des postes qui ne plaisent pas forcément aux habitués d'Instagram", son grand frère, reconnait Stéphanie Laporte.
Un réseau loin de la politique et de l'actualité
En effet, le fil "pour vous" de la plateforme suggère aux internautes des messages d’autres personnes susceptibles de les intéresser, en fonction des comptes auxquels ils sont abonnés. L'utilisateur se retrouve alors confronté à une série d'anecdotes très personnelle d'inconnus, qui relèvent parfois du journal intime, ou encore à des actualités de la semaine passée.
Chez Tech&Co, nous sommes en effet tombés sur une publication humoristique sur la composition du nouveau gouvernement de Michel Barnier... une semaine après l'annonce officielle. Un contenu découvert un peu (trop) tardivement. Car si l'application de Meta est semblable sur la forme à celle d'Elon Musk, elle veut s'en détacher sur le fond. Dès son lancement, le directeur d'Instagram Adam Mosseri a prévenu que l'actualité et la politique n'étaient pas des sujets de prédilection du nouveau réseau social, contrairement à X.
"La politique et l'actualité seront inévitablement présentes sur Threads, mais nous n'allons pas faire quoi que ce soit pour encourager ces verticales", détaille-t-il.
Ici pas de débats politiques interminables. L'accent est mis sur les communautés autour d'une passion "qui sont intéressées par un espace de conversation moins colérique" et sur les anecdotes du quotidien.
Une plateforme de boomers?
Résultat, pour beaucoup d'utilisateurs ayant testé Threads, le réseau social est un repère de boomers. Pour preuve, les nombreux commentaires qui comparent le dernier-né de Meta, au plus vieux réseau social du groupe. "On dirait une blague de 2011 sur Facebook", écrit un internaute devant un mème.

"Du coup Threads, c’est devenu un repère de personnes sans ambition, qui récupèrent de vieilles trends (tendances, ndlr) Facebook pour les publier 10 ans après sur une nouvelle plateforme, c’est ça?", questionne une autre.
Une cible cruciale manque en effet à l'appel sur Threads: la Gen Z. Selon le blog du modérateur, plus de deux tiers des internautes ont plus de 24 ans. Les anecdotes familiales et la réputation de "boomer" de Threads attirent peu les moins de 25, qui lui préfèrent Tiktok. La nouvelle plateforme de Mark Zuckerberg trouve plutôt son public du côté des trentenaires ou des internautes à la recherche d'un contenu plus policé que sur X, grâce à des algorithmes et des équipes de modération très présentes.
Threads a d'ailleurs fait de la modération son cheval de bataille pour séduire de nouveaux utilisateurs. Le groupe Meta s'est engagé à vérifier les informations propagées sur Threads. Un avantage de taille face aux dérives de son concurrent X. Le réseau social s'est séparé d'une bonne partie de ses équipes dédiées à la modération depuis l'arrivée d'Elon Musk, occasionnant une forte hausse de la désinformation sur le réseau social. Et surtout, une fuite massive des utilisateurs... pour le plus grand bonheur de Threads.
Le dernier-né de Meta a connu un démarrage en fanfare. Cinq jours après son lancement en juillet 2023, il comptait déjà 100 millions de téléchargements, un cap jamais atteint en si peu de temps par un réseau social.
Un chiffre impressionnant, donc, qui doit beaucoup à la synergie avec Instagram. En effet, Threads a été lancé comme un prolongement de l'application. Il est donc très facile de se créer un compte depuis Instagram. Les identifiants des deux plateformes sont d'ailleurs liés. Un moyen d’inciter les 1,8 milliard d'utilisateurs d'Instagram, qui voit sa moyenne d'âge augmenter un peu plus chaque année, à tester ce nouveau service.
"Une tentative semi-concluante"
Un afflux suffisant pour dépasser la "place publique" d'Elon Musk? Rien n'est moins sûr. "Threads est une tentative semi-concluante", tranche Stéphanie Laporte. Mais l'experte en est convaincue, tout n'est pas à jeter dans l'application. L'aspect communautaire de la plateforme est porteur. "Threads peut devenir un réseau qui unit les communautés de niche et les passionnés", s'avance Stéphanie Laporte. "Par exemple, j'ai vu beaucoup de fans de la série Bridgerton ou d'Emily in Paris discuter d'un épisode ou d'un personnage. Ca commence à bien prendre." Chez Tech&Co, le débat autour des unpopulars opinions (opinions inpopulaires, ndlr) sur la saison de 3 de Bridgerton nous a effectivement tenu éveillé jusqu'à tard dans la nuit.
Aux États-Unis, la publication en direct des scores des matchs de basket de la NBA est par exemple en cours de test. Une façon d’inciter les internautes à échanger sur les résultats de leurs équipes favorites directement sur l'application.
Mais la plateforme pourrait tout aussi bien disparaître. En effet, dans son histoire, Meta a sorti une myriade d'applications tests, que l'entreprise a fini par intégrer directement dans Instagram ou Facebook.
"Les utilisateurs d'Instagram ont envie de communiquer autrement qu'en vidéo ou en photos. Ils sont demandeurs de publications textes. Alors pourquoi ne pas intégrer celles-ci directement dans l'application?", suggère-t-elle.