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Projet de supermarché halal à Vénissieux: la maire dénonce "la partie de Monopoly" du groupe Casino

Le Casino des Minguettes.

Le Casino des Minguettes. - BFM Lyon

Michèle Picard fustige le "cynisme capitaliste" du groupe, qui ne prendrait pas en compte le fait que la cession à Triangle risque d'exclure du magasin une partie des clients du plateau des Minguettes.

Un chapitre long d'un demi-siècle touche à sa fin dans le plateau des Minguettes. En proie à d'importantes difficultés financières, l'enseigne Casino quittera prochainement ce quartier populaire de Vénissieux (Rhône). Mais l'identité probable du repreneur fait depuis quelques jours l'objet d'une polémique.

Selon toute vraisemblance, l'entreprise Triangle héritera des locaux. L'enseigne ne propose que des produits halal, et donc pas de viande de porc et d'alcool. Ce qui risque d'exclure une partie de la clientèle du futur ex-Casino, alerte Idir Boumertit, député insoumis du Rhône. Il y a quelques semaines, l'élu élevé aux Minguettes a écrit à Françoise Gatel, ministre déléguée chargé de la Ruralité, du Commerce et de l'Artisanat, pour l'informer de la situation.

Ce mercredi 15 octobre, Michèle Picard a emboîté le pas au député. La maire communiste de Vénissieux ne digère pas les conditions dans lesquelles la cession du magasin s'opère.

"L'offre d'alimentation générale doit être préservée"

Dans un communiqué au vitriol, l'édile adresse ses premiers mots à Casino en usant d'une métaphore. "Avec Casino, si vous passez par la case cession, vous touchez un fonds de commerce de 3.000 m2 au prix symbolique de 1 euro… Voilà en substance la partie de Monopoly que le groupe stéphanois dépecé par la finance a engagé sur le plateau des Minguettes. Merci pour ces 50 ans de vie commune et au revoir!", s'indigne-t-elle. "La loi du marché s’impose à nous avec tout le cynisme capitaliste qui l’accompagne."

Cet argumentaire se rapproche de celui de Farid Ben Moussa, pourtant conseiller municipal d'opposition à Vénissieux. "Ce n'est pas qu'une population musulmane qui vit sur place, c'est la population la plus pauvre du Rhône", rappelle-t-il. "Intermarché n'a aucun intérêt à vendre ici que des produits de premiers prix, la viande est achetée ailleurs, ils ne font pas de marges... C'est du capitalisme pur et dur."

Michèle Picard "refuse catégoriquement cet état de fait et insiste: "L’offre d’alimentation générale doit être préservée sur les quartiers du plateau. C’est essentiel pour le vivre ensemble et l’intérêt général. Chaque habitant doit pouvoir trouver ce qu’il souhaite dans son magasin de proximité".

L'offre de la mairie peu considérée?

Dès le printemps dernier, elle avait eu vent de l'intention du groupe de plier bagages et avait manifesté son intérêt. "En septembre, j’apprenais dans la presse que l’enseigne Triangle pourrait s’installer prochainement. Entre les deux, silence radio…", raille-t-elle par écrit. "Il faut dire que le principe de liberté du commerce et de l’industrie confère une large autonomie d’actions et cela nous a été rappelé lors de nos échanges. Les marges de manœuvre des collectivités, en particulier des communes, sont minces".

Comme l'espérait Idir Boumertit, la collectivité assure avoir effectué une nouvelle approche malgré tout. "Avec la métropole de Lyon, nous avons travaillé en quelques jours une autre possibilité: l’installation de deux enseignes dans une surface réaménagée, l’une d’alimentation générale et l’autre avec une offre commerciale nouvelle et complémentaire. Les contacts établis confirment l’intérêt des deux enseignes pour s’inscrire dans cette solution multiple, qui garantit la reprise de tout le personnel".

Mais de la part de Casino, elle assure n'avoir reçu qu'une "froide fin de non-recevoir" le 14 octobre. Ce jour-là, l'entreprise lui aurait rétorqué que Triangle était la "seule enseigne à répondre à l'ensemble des critères requis" avant de conclure une promesse de vente. "Quelle fourberie!", s'emporte Michèle Picard.

Michèle Picard lance un appel

Au vu de la "longue histoire" tissée entre la ville et l'entreprise, la maire espérait plus de considération. Elle n'entend pas baisser pas les bras pour autant.

En fin de communiqué, l'édile invite Casino a faire preuve de "sens civique" et à toutes les parties prenantes à s'emparer du sujet.

"J’en appelle aux pouvoirs publics partenaires de la politique de la ville, pour user de toute leur autorité. J’en appelle au procureur de la République pour examiner les conditions de cette cession au plus bas prix. Ne disposons-nous pas de moyens légaux pour agir?", insiste l'élue.

Michèle Picard s'interroge sur l'égalité de traitement entre les candidats à la reprise: "Tous les éventuels repreneurs ont-ils eu la même opportunité sur les conditions de rachat, en particulier le prix de cession? Concurrence déloyale? J’en appelle aux habitants à se mobiliser nombreux dans les jours à venir à nos côtés dans toutes les actions entreprises."

En difficulté financière, le groupe Casino a mis en vente l'an dernier ses grandes surfaces. Encore début juillet, l'enseigne a annoncé qu'elle vendait 66 magasins de grand format au groupe Les Mousquetaires et à Auchan Retail France. Plus de 400 magasins ont été rachetés mais une vingtaine n'ont pas trouvé preneurs et ont fermé définitivement, soit un millier d'emplois supprimés.

À terme, à l'échelle du pays, plus de 3.000 postes pouraient être supprimés dans le cadre du plan social de l'entreprise.

Casino récuse tout "silence radio" et assure avoir procédé dans les règles

Sans toutefois souhaiter "entrer dans un conflit médiatique", le groupe livre à BFM Lyon sa version des faits. D'une part, selon le groupe, "aucune proposition de la part des acteurs publics ou du bailleur social pour ce site" n'a été déposée. "Les seuls appels téléphoniques que nous avons reçus étaient destinés à prendre des nouvelles de notre procédure de recherche. Aucune initiative émanant de la métropole ne nous est parvenue", insiste Casino.

L'entreprise récuse tout "silence radio" et assure avoir "régulièrement échangé avec un représentant de la ville pendant tout ce temps pour les tenir informés".

"Nous avons contacté 280 enseignes alimentaires, puis non alimentaires dans un second temps (courriers, relances téléphoniques, envoi de dossiers de présentation de tous les sites concernés). Aucune enseigne n’a déposé d’offres pour ce site, malgré quelques marques d’intérêt initiales", souligne encore Casino.

D'après l'enseigne, "il semblerait que les questions d’insécurité et les coûts d’occupation (montant du loyer) aient constitué de réels freins à une reprise".

D'autre part, est-il précisé, "l’enseigne Triangle est la seule à avoir formulé une offre sérieuse et viable", répondant "à toutes les obligations légales". Cette session "nous permet de ne pas laisser de friche commerciale et de pérenniser l’emploi de 28 salariés", l'essentiel d'entre eux habitant la commune et étant favorables au projet de reprise."

"Il ne nous appartient pas à nous, Casino, de porter un avis sur la nature de l’offre proposée", renchérit l'entreprise stéphanoise. "Il appartient à la ville de rencontrer l’enseigne, et de faire les efforts nécessaires en ce sens. Le site Casino n’est pas l’unique site garant de la diversité commerciale de la commune."

Florian Bouhot Journaliste BFM Régions